Claude Ledoux, Nao Momitami
Japanese e-mails
Cypres
La pianiste japonaise Nao Momitani rêvait de célébrer les œuvres du compositeur Claude Ledoux, dont elle partage la vie depuis 20 ans. Mais en gravant ces huit pièces pour piano solo, composées entre 1994 et 2017, elle signe bien davantage que ce qu’elle appelle trop modestement son “cadeau”. Ce qu’elle fête ici, au-delà de l’hymne à l’amour, c’est la puissance inspirante d’un entre-deux culturel où chacun enrichit son propre imaginaire d’un univers qui n’est pas le sien. De quoi nourrir la « condition joyeuse d’être humain », souligne Ledoux dans un livret dont on goûtera la dimension philosophique. Car le sacre de cette altérité universelle, précise-t-il, exige d’abord d’entrer en résistance contre ce que Gilles Deleuze appelait les mots d’ordre du quotidien. “Communiquer” est, aujourd’hui, l’un de ces diktats que l’on assène à tout crin, déléguant à l’email un rôle essentiel. Or, déplore Ledoux, « un blanc d’écran rempli à la va-vite dans l’espoir d’une réponse immédiate ainsi que des besoins d’échanges binaires trop frénétiques finissent par rendre le proche et l’intime de plus en plus lointain. » D’où le titre a priori étonnant de ce CD, Japanese e-mails – pièces qu’il composa entre 2015 et 2017 –, et qu’il faut au contraire prendre pour une invitation à la redécouverte de la lenteur. Tel est le prix d’un partage authentique tel que le vivent Nao et Claude, source d’une inspiration créatrice aux accents parfois japonisants autant que d’une interprétation qui séduit dès les premières mesures par sa puissance évocatrice. Hors du temps…