J.-S. Bach / Julien Libeer
A well-tempered conversation
Harmonia mundi
Le confinement a au moins eu cela de bon : nombre de virtuoses privés de concert ont enfin eu le temps d’enregistrer le très exigeant Jean-Sébastien Bach. « Quand tout tangue, il faut s’accrocher à un bloc de granit », résume Julien Libeer. Qui a mis à profit ce moment suspendu pour mener une passionnante “conversation” autour du Clavier bien tempéré, « humble œuvre pédagogique devenue la plus universelle encyclopédie des styles, utilisée par tous ceux qui ont suivi Bach. » Voici donc en deux CD très généreusement fournis une succession de préludes et fugues du Premier livre parmi lesquels se sont glissés Beethoven, Chopin, Fauré, Rachmaninov, Shostakovich et quelques autres du même calibre. Le voisinage peut surprendre, mais le résultat s’impose. En désirant « briser l’aura a priori hermétique de ce fameux “Clavier” », Libeer dépasse la redoutable technicité de l’œuvre et prouve qu’elle fut à la fois « un panorama du passé autant qu’un point de départ pour la suite de l’histoire de la musique ». Le legs de Bach est immense – il est aujourd’hui l’un des compositeurs les plus enregistrés ! –, mais il est des évidences qu’il est bon de rappeler. Ce que Julien fait avec un talent éclairé, construisant un dialogue étonnant entre Bach et ses successeurs, entre le maître et ses élèves. Désireux de conserver à cette œuvre « la structure en béton » qui en fait sa force, le jeune pianiste a agi « de façon méthodique. Je n’ai gardé, dit-il, que les fugues en tonalité majeure, leur opposant en miroir les pièces en mineur de compositeurs inspirés dans leurs propres œuvres par l’esprit du Clavier bien tempéré. » C’est cette rigueur conceptuelle qui lui permet d’éviter le piège de l’album fourre-tout et de mener cette “conversation” avec une rare et parfaite éloquence.