Pierre Villeret
Tête de jazz
Depuis le 1er avril, sans blague, Pierre Villeret dirige le label belge Igloo, spécialisé en jazz. Entré en fonction en pleine crise sanitaire, cet Angevin est rompu à la diffusion numérique, toujours peu lucrative, où, selon lui, « il n’y a pas de solution miracle » mais « un ensemble de petites choses à faire ». Du Palais des Papes à la placedu Châtelain, parcours.
Nouveau directeur du belge label Igloo depuis peu, Pierre Villeret est originaire d’Angers, dans l’ouest de la France. Le jazz, il l’a découvert vers l’âge de 15 ans : « Ça a changé ma vie », dit-il. D’abord, il se destinait à devenir musicien, guitariste suite à une passion reinhardtienne tenace, mais, par le hasard des rencontres, il a découvert le métier d’organisateur de spectacles. Cela l’a décidé à reprendre des formations. Dans ce cadre, a lieu son premier contact avec la Belgique, entre avril et juillet 2002, comme stagiaire polyvalent aux Lundis d’Hortense, association belge des musiciens de jazz. Le premier et donc pas le dernier. Après avoir dirigé pendant huit ans l’association rémoise Djaz51 ainsi que Vents d’Est, structure de production de disques et de concerts comme le fameux Reims Jazz Festival, Pierre Villeret s’est retrouvé à la tête de l’Association pour le Jazz et la Musique Improvisée (AJMI), en Avignon. Avec pour voisin d’en face, le Théâtre des Doms, chargé de promouvoir les artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles. À ce titre, il y eut plusieurs partenariats entre l’AJMI et les Doms, comme lors de l’événement Têtes de Jazz qui, de 2013 à 2017, a permis à des artistes belges invités de se produire dans le cadre du Festival d’Avignon.
Un label entièrement dématérialisé
Avignon où l’association a aussi une activité de label, AJMiSeries, créée en 2000 « et qu’on a diversifiée en présentant des disques avec des pochettes sérigraphiées. » Autre initiative originale et novatrice, le label AJMiLive, dédié à des enregistrements dans la salle avignonnaise, uniquement dématérialisés et audiophiles, avec une distribution commerciale mondiale et un travail graphique de pochette. On y trouve notamment le saxophoniste Manuel Hermia et le batteur Teun Verbruggen au sein de L’Orchestra Nazionale della Luna, enregistré le 1er décembre 2017 (AJMiLive #23). Dans ces conditions, « atteindre le niveau audiophile dépend de la haute qualité du fichier, du master réalisé avec un ingé son, Bruno Levée, qui a développé la captation en haute définition, explique l’Angevin. Ensuite, c’est mixé et masterisé comme tous les enregistrements que l’on peut trouver. »
Un scandale !
La question de la numérisation est bien sûr cruciale pour la diffusion de la musique. « Malheureusement, le numérique ne garantit des revenus ni aux artistes, ni aux producteurs, relève le nouveau patron d’Igloo, c’est assez scandaleux, seul le pressage de disques est lucratif. » Alors, que ce soit dans la production de masse ou dans un marché de niche, tout le monde cherche des pistes. « Il n’y a pas de solution miracle, mais un ensemble de petites choses à faire. C’est l’enjeu du moment. Les outils développés sont intéressants, voire passionnants. Il y a un travail sur l’objet et sa distribution. Comment arrive-t-on à l’acheteur ? Penser les objets, traditionnels ou pas, cela reste à imaginer. »
Rien ne vaut le contact direct
Pierre Villeret a pris ses fonctions en pleine crise sanitaire, avec le confinement généralisé à la clé. « Même si beaucoup de gens essaient de faire la même chose en ligne qu’en direct, l’échange lui-même est difficilement remplaçable. Il est essentiel. Une activité de label ne peut être séparée de la scène, des artistes. Surtout quand de musique vivante il est question. » Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il est toujours possible d’aller sur le site d’Igloo commander des disques sous divers formats. Même si les présentations sur scène sont interrompues, les parutions continuent. Comme le récent et excellent album Archeology, du pianiste d’origine bulgare Sabin Todorov, avec Sal La Rocca à la contrebasse et Lionel Beuvens à la batterie. Avec la garantie de Pierre Villeret que ces albums « seront livrés dans les meilleurs délais ! »
Pierre Villeret
Il y a un travail sur l’objet et sa distribution. Comment arrive-t-on à l’acheteur ?
Émule de Django, fan du Gaume Jazz
L’envie du jazz, chez Pierre Villeret, est venue lorsqu’il pratiquait la guitare. Il avait déjà entendu les derniers Miles Davis, ceux de l’époque funk, et trouvait ça superbe. « On me disait que c’était du jazz. » Ensuite Louis Armstrong. « On me disait que c’était du jazz. » De quoi ne guère s’y retrouver. Finalement, une fois encore, c’est Django Reinhardt, le manouche né à Liberchies, en Belgique, qui a mis tout le monde d’accord. « C’est ça qui m’intéressait », renchérit le nouveau patron d’Igloo. « Le blues, c’est un peu étranger pour un jeune Français des années 1990. Django a un son, une musique indémodable ; c’est du jazz et c’est indéniablement européen. Et puis j’ai remonté l’histoire, c’était le point d’accroche pour découvrir un siècle de musique. »
Des guitaristes et Bill Evans
Parmi les disques de chevet de Pierre Villeret, personne ne sera étonné d’y trouver « tout Django, y compris la dernière période, électrique. Le pianiste Bill Evans aussi, notamment « son dernier trio, avec le bassiste Joe LaBarbera et le batteur Marc Johhson », formation avec laquelle il donna l’un de ses derniers concerts, début août 1980, au festival de Gouvy. Et puis deux guitaristes encore, Marc Ducret, « toutes périodes », et encore Kenny Burrell, « absolument tout ». Le nouveau directeur du label Igloo se dit aussi fan de Pink Floyd, Led Zeppelin et Steely Dan : « J’y reviens en permanence, dit-il, les arrangements, la réalisation artistique sont la résultante d’un travail incroyable. On écoute Aja qui a quarante ans, et ça sonne actuel. » Cet éclectisme électif n’est pas sans conséquence logique : « Je suis un collectionneur qui se soigne, confesse-t-il, je suis passé au numérique pour des raisons pratiques, mais je reste acheteur de disques compulsif. Que voulez-vous, on aime, on a envie d’acheter la musique dématérialisée, et puis le vinyle. »
Dans les lignes noires
La table de chevet de Pierre Villeret montre aussi un grand amateur de littérature. « J’ai une passion pour les polars, avoue-t-il, les romans noirs américains, français, scandinaves, japonais, sud-africains. Il y avait une librairie fabuleuse à Avignon, Lignes noires, qui arrivait à dénicher des auteurs du monde entier. » Il y a aussi l’auteur irlandais John Connolly, avec son personnage qui s’appelle Charlie Parker, « ce qui n’est pas fortuit. Avec lui, on est dans le roman noir, le thriller, et on ne sait jamais si c’est de l’ordre du fantasme ou du fantastique. » Autre passion, l’auteur français Bernard Minié, originaire de Bézier, dont les romans Glacé et Le cercle sont parcourus de l’ œuvre de Gustav Mahler : « Il y a une bande-son, Minié pourrait être critique musical, à sa lecture j’ai réécouté les symphonies. » Ce qui fait vibrer Pierre Villeret ? Le fait d’être père d’une petite fille d’un an et demi maintenant : « Il n’y a pas grand-chose de plus exaltant ». Ce qui le fait hurler ? « L’injustice ». Sinon, il se définit comme « plutôt bon vivant, bonne chère, bonnes bières », et là, il est bien tombé, notamment dans une certaine trappiste. Quand il vivait dans le sud, il aimait passer ses vacances dans le nord, ce qui le menait régulièrement au Gaume Jazz Festival : « C’est une très belle région, un peu différente des Ardennes. » Eh oui, vu de France, Ardennes est au pluriel, mais Gaume reste unique !