Créer, inventer, explorer les mondes sonores
« Jusqu’à la fin du 19e, on n’a jamais pu entendre deux fois la même musique, puisqu’il n’y avait pas de support. Depuis lors on peut entendre, de façon compulsive : on recherche le déjà vu, le déjà éprouvé, l’émotion qu’on a vécue, on veut la retrouver à tout prix, identique. La musique contemporaine sort de ça, elle nous permet d’entendre une musique dans son caractère virginal, inouï, de "jamais entendu". C’est une expérience radicale en soi d’aller écouter la musique de création. » (Jean-Paul Dessy)
Une musique de création
Pendant des siècles, une esthétique musicale chasse l’autre et l’art du temps est le critère premier de jugement. Mais, dès le début du 19e siècle, la musique ancienne trouve une place à côté de la musique contemporaine. Dans la foulée, esthétiques et langages se multiplient – et s’entrechoquent –, alors que médias et supports d’enregistrement assurent une diffusion auparavant inégalée… mais qui laisse toutefois le compositeur belge parmi les négligés du progrès. En 1959, Robert Wangermée (il crée ce qui deviendra Musiq3 avant de devenir Administrateur général de la RTBF – il est aussi le fondateur d’Ars Musica et du Conseil de la Musique) dresse un bilan sans équivoque de la musique contemporaine : quelques associations confidentielles, rien en édition musicale ou firme de disques locale, très peu de concerts en dehors des prestations radiophoniques, aux auditeurs clairsemés, l’État mécène soutient une musique qui peine à trouver son public et l’artiste crée une œuvre que personne n’attend. La faute à qui ? Au compositeur qui, depuis le romantisme, s’affranchit du public et se fiche de lui plaire ? Au public qui, s’élargissant avec la diffusion de masse, "moyennise" les goûts comme le McDo’ les saveurs ?
Jean-Paul Dessy - Ensemble Musiques Nouvelles
La musique contemporaine nous permet d’entendre
une musique dans son caractère virginal, inouï, de "jamais entendu".
Pour mieux comprendre, et retracer le parcours, chez nous, de cette musique depuis le tabula rasa des années 50, posons trois questions, simples : comment la musique contemporaine s’est-elle construite chez nous ? Où en est-elle aujourd’hui ? Comment la relève se met-elle en place ?
Premier écueil, l’appellation, que remet en cause et précise Jean-Paul Dessy (il dirige l’Ensemble Musiques Nouvelles – voir l’encadré –) : la "musique contemporaine" se réfère à la Seconde École de Vienne, qui explore, au début du 20e siècle, le sérialisme et l’atonalité. C’est une musique savante, complexe, qui se sépare radicalement d’une part de l’histoire de la musique qui est, elle, liée à la tonalité, l’harmonie, la mélodie, le rythme. Elle ne rend donc plus bien compte de la pluralité de la "musique de création" actuelle, résultat d’un apprentissage exigeant et qui a un caractère de musique d’auteur (comme on parle de cinéma d’auteur ou d’art et d’essai), en opposition à la musique commerciale – en substance, « une musique d’aujourd’hui, de création et qui s’écrit ». Précision utile, sachant que la réputation d’élitisme de la musique contemporaine suscite l’appréhension d’une partie du public alors que « les passerelles entre les musiques populaires et les musiques savantes sont de plus en plus fréquentes », poursuit Jean-Paul Dessy.
Les pionniers
N’empêche, c’est par là que tout commence, avec le Séminaire des Arts à Bruxelles où André Souris, dès 1944, anime un "laboratoire musical d’analyse et de composition" dont l’esprit ouvert, fouineur et adogmatique, initie de jeunes compositeurs au dodécaphonisme, dans un monde encore voué au néoclassicisme et au post-romantisme. Parmi ceux-ci, l’organiste Pierre Froidebise relaie l’expérience à Liège, avec conférences et récitals auxquels assiste notamment Henri Pousseur. Avec quelques musiciens, théoriciens ou intervenants culturels, Pousseur forme un cénacle, restreint et radical dans ses idées, qui évolue en marge des institutions et qui se doit de proposer, en même temps que ses musiques expérimentales, des circuits pour les produire, les interpréter et les diffuser.
Ainsi se crée, en 1957, la très éphémère Société des Concerts d’Aujourd’hui. Peu après, Hervé Thys (défenseur de l’avant-garde musicale), Henri Pousseur et Raymond Liebens (ingénieur) fondent le Studio de Musique Électronique de Bruxelles, destiné à la recherche expérimentale et aux musiques appliquées (cinéma, radio-télévision, spectacle vivant). Avec la collaboration régulière de Léo Kupper et d’André Souffriau, le Studio organise conférences et ateliers, et voit défiler quasi tous les compositeurs locaux intéressés par l’utilisation de l’électronique. L’Exposition Universelle de 1958 accueille les Journées Internationales de Musique Expérimentale, cinq jours de concerts (retransmis en radio), de causeries et débats : la première diffusion d’ampleur de ces esthétiques nouvelles. En 1962, Thys et Pousseur réunissent des amateurs éclairés dans l’association Musiques Nouvelles, qui devient une interface incontournable pour les conférences et les concerts. Tout cela reste malgré tout assez confidentiel, parfois toisé avec le dédain de la méconnaissance par les conservatoires ou les institutions, et un axe majeur fait encore défaut : qui pour interpréter ces esthétiques nouvelles ?
C’est… Henri Pousseur qu’on retrouve à l’origine de la création de ce qui deviendra l’Ensemble Musiques Nouvelles (avec le temps, le pluriel va et vient), lorsqu’il propose à de jeunes musiciens de deux ensembles (Alarius et Musica Viva) de jouer son Répons, une œuvre pour laquelle ils doivent être « prêts à travailler très longtemps pour jouer une pièce injouable »… tout un programme (et un an de travail) ! L’Association et l’Ensemble se complètent et collaborent ponctuellement mais le vrai point de départ se situe lors du premier concert, sous le nom Ensemble Musiques Nouvelles, au programme entièrement neuf, avec des pièces d’Henri Pousseur et de Pierre Bartholomée qui assume la direction de l’orchestre. Les intervenants culturels constatent le succès. La Société Philharmonique propose plusieurs engagements. L’orchestre se déplace en Belgique et en Europe, son répertoire s’élargit, en ménageant une place importante aux compositeurs nationaux : Philippe Boesmans, Raymond Barvoets, Lucien Goethals… L’ensemble, indépendant mais sans subsides, s’acoquine avec l’Institut National de Radiodiffusion pour pouvoir répéter, cherche inlassablement des occasions de se produire ou d’être diffusé, et se bat avec les agendas de musiciens bien obligés de privilégier l’emploi principal qui les nourrit.
Les occupants des lieux
S’il est ballotté au gré des péripéties institutionnelles, intégré, puis détaché du Centre de Recherches et de Formation Musicales de Wallonie (le futur Centre Henri Pousseur), relocalisé à Bruxelles, puis à Mons quand il se lie à l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie (puis s’en délie)… et reste longtemps sous-financé, l’Ensemble Musiques Nouvelles joue un rôle majeur dans la transition de la musique contemporaine vers la musique de création, une musique multiple et refusant tout intégrisme : travaux collectifs, libération de l’interprète, séries prospectives (où l’ensemble explore les arts électroniques, l’expérience réflexive et participative, le commentaire direct sur la création), recherches sur de nouveaux travaux sonores (notamment avec Art Zoyd), résidences de compositeurs et collaborations, avec l’Atelier Sainte-Anne (ouverture vers l’international et programmes thématiques originaux), l’Orchestre Philharmonique royal de Liège (partage de musiciens), le Conservatoire royal de Liège (d’où émerge une nouvelle génération d’élèves) et… le festival Ars Musica (voir encadré).
Jean-Paul Dessy - Ensemble Musiques Nouvelles
Depuis 10 ans, on a créé des œuvres de plus de 40 compositeurs
de la génération millennials – sans compter tous les autres.
Fondé en 1989, Ars Musica présente un état des lieux de la création musicale : biennale depuis 2014, sa programmation thématique (InOuïe, le Pays du Sonore Levant, Mini Maxi…), riche (plus de 800 compositeurs joués) et plurielle (de chez nous et du monde, sans frontières esthétiques) se veut à la fois ambitieuse et accessible : « il n’y a rien de plus simple que d’être dogmatique, la pluralité est beaucoup plus dangereuse. L’enjeu d’Ars Musica est de présenter les facettes de ce qu’est la création aujourd’hui au sens large. », défend son directeur, Bruno Letort. Une saison musicale prend place les années impaires, qui (c’est une nouveauté) se concentre dès 2023 sur de petits opéras (commandes ou one shots avec de nouveaux moyens), en même temps que le programme s’exporte, via sa déclinaison Hors-les-murs (à Paris, à Montréal) ou par l’échange d’œuvres mis en place avec le réseau européen de festivals de musique contemporaine. Les œuvres des compositeur·trice·s de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) y tiennent une place importante, valorisées par le partage de l’affiche avec des compositeurs reconnus à l’international.
Jean-Paul Dessy, qui a un œil sur pratiquement toutes les classes de composition de la FWB, se réjouit : « Je vois combien cette musique suscite beaucoup de vocations, de talent et d’inspiration. On peut affirmer sans chauvinisme déplacé que notre territoire est un territoire très riche, par le nombre de compositeurs qui œuvrent dans ce domaine des musiques d’art et d’essai, nombreux et de grande qualité, bien plus que lors de la naissance de l’Ensemble Musiques Nouvelles. D’ailleurs, depuis 10 ans, on a créé des œuvres de plus de 40 compositeurs de la génération millennials – sans compter tous les autres que nous jouons toujours ». Le coffret édité par Cypres à l’occasion des 50 ans de Musiques Nouvelles en témoigne, avec 6 albums consacrés à 25 musicien·ne·s de chez nous et le Forum des Compositeurs, point de rencontre de tous les acteurs concernés par la musique de création, est fort d’une cinquantaine de membres, dont il promeut les œuvres.
À l’origine, des personnalités fortes insufflent une énergie ahurissante dans les conservatoires et développent de nouvelles pédagogies, que relaient depuis leurs propres élèves, tels Michel Fourgon, Claude Ledoux, Benoît Mernier, Jean-Luc Fafchamps ou Fabrizio Cassol (pour n’en citer que quelques-uns), dans des classes de composition attrayantes et riches en matière de talents, où « l’idée de faire de la musique de création est beaucoup plus plausible aujourd’hui qu’il y a 50 ans » selon Jean-Paul Dessy. Une création pour elle-même, libre de toute entrave par rapport au monde du commerce, enseignée dans des structures qui se diversifient, favorisent les échanges (Jean-Philippe Collard-Neven s’intéresse par exemple aussi au jazz ou au tango) et accueillent les musiques appliquées, les musiques électroniques ou l’improvisation – cette pratique « très émancipatrice, régénérescence de l’art de jouer un instrument ». À cela s’ajoute une accessibilité jamais égalée de la « pluralité des mondes sonores ; pour autant évidemment, qu’on continue à faire entendre qu’il y a à trouver quelque chose là-dessous et qu’on ne doit pas forcément se référer aux algorithmes de Spotify ou des autres pour se laisser guider par un flux qui vous emmène où vous êtes déjà allés » poursuit encore le directeur artistique de l’ensemble Musiques Nouvelles.
Quant aux interprètes, dont les conservatoires nourrissent l’apprentissage avec un répertoire datant essentiellement de plus de 100 ans, ceux qui maîtrisent et ont le goût d’une esthétique inventive et exigeante en gestuelles et virtuosités nouvelles sont peu nombreux mais d’un niveau élevé (citons les ensembles Fractales, Hopper, Sturm and Klang, Quatuor MP4…). « La musique de haute complexité, née avec la Seconde École de Vienne, devenait d’un abord technique tel qu’elle requérait un investissement surhumain, extraordinaire, énorme, par rapport à la digestion d’œuvres du passé. Il a fallu générer une dévotion chez les instrumentistes, des Ninjas qui défendent une musique corps et âme, une musique qui est très difficile, qui est très exigeante, qui vous a demandé un travail incroyable. Et, forcément, vous allez donner à entendre quelque chose qui est de cette énergie-là, en scène, ce qui donne lieu à des performances qui rompent avec le "ronron" d’une musique classico-romantique qui a déjà été entendue maintes fois par celui qui va l’écouter, qui ressemble donc plus à une comptine qu’à une musique qu’on découvre », analyse Jean-Paul Dessy.
L’enseignement général fait peu de place aux arts et à la musique en particulier, alors que les enfants s’enthousiasment dès qu’ils se confrontent aux musiques nouvelles, comme en témoigne Apolline Jesupret, compositrice, pianiste et enseignante en Académie : « Quand on fait jouer de la musique contemporaine à des enfants, ils adorent ça, parce qu’ils n’ont pas de préjugés, ils ne se sont encore mis aucun filtre par rapport à ce qui sonne bien ou pas. La dissonance, par exemple, ils vont l’associer à un monstre étrange et prendre ça comme un jeu ».
Ce qui manque le plus, ce sont probablement les lieux de diffusion, ainsi que l’incitation à aller au concert, insufflée par la presse ou les médias. Les premiers sont rares et, chez nous comme ailleurs, les ensembles ne tournent plus guère, ni au pays, ni en dehors. À Mons, Arsonic est l’exception : lieu de résidence de Musiques Nouvelles, une relation de confiance s’y crée au fur et à mesure avec un public qui prend le risque de la découverte et qui a soif d’y revenir. Quant aux événements, outre une place aux Belgian Music Days, au Festival Osmose ou au Festival de Wallonie, la musique de création est mise en avant par le Festival Loop et, surtout, via Ars Musica dont le rôle est fondamental pour les compositeurs et les ensembles de la FWB. La presse suit l’érosion globale des journaux généralistes et des magazines spécialisés et, même si l’édition en ligne a moins de contrainte d’espace, elle laisse peu de place à la musique « que l’on écoute assis, sans faire autre chose »(Jean-Paul Dessy). Le constat est similaire pour la radio (hormis l’émission Présent composé sur Musiq3) et encore plus pour la télé. Alors que la consultation de concerts en ligne, si elle a décollé lors des premières prestations de Solid Ars, elle est rapidement redescendue à des niveaux plus terre à terre : « Ce qui atteste de l’irremplaçable importance du spectacle vivant », tranche Bruno Letort. Quant aux firmes de disques, même si la division "jeunes solistes délicieusement jolies" reste un atout marketing, la mise en avant d’un label de référence s’érode et « même Deutsche Grammophon publie Max Richter en le faisant passer pour de la musique contemporaine » (Bruno Letort). En FWB, outre Cypres, Sub Rosa et Soond sont les seuls studios de production indépendants actifs en matière de nouveaux horizons sonores.
La génération de demain
Pourtant, ils fourmillent, ceux de la nouvelle génération, talentueux et prometteurs. En voici quelques-uns : Eliott Delafosse (il balance à la frontière entre musique électronique et acoustique), Pierre Slinckx (il joue de son lien expérimental avec l’électronique et la pop), Gwenaël Grisi (il est captivé par la musique à l’image), François Couvreur (il fonde l’Ensemble Hopper), Gilles Doneux (il s’intéresse à la musique mixte), Adrien Tsilogiannis (il adore les influences littéraires), Éric Collard (il manie avec audace les rythmes complexes), Alice Hebborn (elle s’inspire de la nature), Stéphane Orlando (il ose le mélange opéra et bande dessinée), Alithéa Ripoll (elle collabore avec des plasticiens, comédiens, poètes…) ou Apolline Jesupret (elle maîtrise son écriture et l’orchestration). Cette pluralité d’esthétiques dame le pion au paradoxe qui voit l’appauvrissement du jazz depuis son entrée au conservatoire : la musique de création ne peut exister sans transmission savante dans les écoles mais, en même temps, la standardisation de la transmission a tendance à figer les pratiques et à diminuer la "musico-diversité"… voire à bloquer la créativité sous le poids des cours théoriques ou de l’étude intensive de l’instrument. Or chaque musique est une espèce sonore, avec sa niche écologique et cette « effective et réelle diversité de styles, genres, façons de faire, outils compositionnels, de références » (Jean-Paul Dessy) est un des atouts de nos musicien·ne·s, plutôt nombreux·euses dans un territoire pas très grand mais propice aux croisements et berceau d’un surréalisme qui permet de ne pas se prendre trop au sérieux.
Apolline Jesupret
Il y a autant de musiques contemporaines que de compositeurs.
« Il y a autant de musiques contemporaines que de compositeurs », résume Apolline Jesupret, qui explique l’augmentation de cette pluralité par la diffusion massive des enregistrements, sur supports ou sur les plateformes (« on s’échange des découvertes musicales, les cours de composition nous amènent aussi à filtrer ») : « Même entre deux compositeurs issus de la même école et qui ont le même âge, les univers sont complètement différents, en fonction des influences de chacun, de Beethoven aux Beatles ».
Ce n’est ni neuf, ni même spécifique à la musique de création (mais bon, ça n’aide pas), il est difficile de vivre du métier de compositeur·trice (« le temps nécessaire pour composer est difficilement quantifiable et dépend de nombreux facteurs ; c’est un travail humain, d’intériorité et un métier de passion, dont la motivation se joue dans les tripes », avance Apolline Jesupret). Alors les musiciens combinent enseignement, interprétation et composition – sachant que les commandes passées par les ensembles ou les festivals sont le plus souvent dépendantes de bourses ou de subventions, confirmées (ou refusées) parfois après que le travail ne soit terminé. Mais, « être une compositrice au 21e siècle n’est pas du tout la même chose qu’il y a 50 ans où les compositeurs femmes étaient aux oubliettes » et, même si le ratio d’élèves au conservatoire n’atteint pas encore les 50 %, on va vers une meilleure égalité des sexes dans la profession, ainsi « de plus en plus de concours d’instruments se font à l’aveugle, le candidat jouant derrière un paravent » et l’intérêt grandit pour le travail des compositrices.
Le sérialisme a longtemps été un passage obligé pour écrire de la musique d’aujourd’hui et sa radicalité a porté le public à s’ancrer dans une équation « musique contemporaine = dissonance = ça ne me plaira pas », alors que « contemporaine ne veut pas nécessairement dire dissonance et que ce n’est pas parce qu’il y a de la dissonance qu’on n’aimera pas », poursuit Apolline Jesupret. Les mouvements néo-modal, néo-tonal, répétitif ou spectral, la multiplication des influences (artistiques en général) ont considérablement élargi le champ des musiques nouvelles. Il s’agit alors d’essayer de changer le regard des gens sur cette musique, d’aider à dépasser le préjugé qui dit que c’est une musique qui n’est pas faite pour eux : « Ne vous attendez pas à entendre une belle mélodie avec une belle harmonisation, mais bien à vivre une expérience, quelque chose de différent, comme écouter un silence, découvrir un thème qu’on ne connaissait pas, être pris par un rythme ou une musique répétitive » (Apolline Jesupret).
Aider l’oreille à s’éduquer, à s’habituer à ces nouveaux mondes sonores, riches et multiples, est un des enjeux de notre constante adaptation. Et si vous nous avez lu jusqu’au bout, c’est probablement que vous en en avez pris le chemin… et qu’on se croisera peut-être à Ars Musica.
Jean-Paul Dessy
Jean-Paul Dessy se pose, dès sa prise de direction de l’Ensemble Musiques Nouvelles en 1998, en artisan résolu de la contemporanéité et de l’ouverture, lui qui se souvient encore parfaitement de la première fois où il écoute In C de Terry Riley, à une époque où « le seul titre provoquait chez les sérialistes l’effet révulsant du crucifix sur le vampire ». Au début de sa carrière, il crée Maximalist!, groupe qui associe rock et minimalisme nord-américain. Cet intérêt pour des horizons dégagés (« les pratiques sonores, instrumentales, électroniques d’aujourd’hui ») mène à une collaboration transfrontalière avec Art Zoyd (et le mouvement résolument non commercial Rock In Opposition), à l’improvisation (avec Fred Frith d’Art Bears ou Henry Cow…) et à une programmation impressionnante de créations mondiales – dont un grand nombre de compositeur·trice·s sorti·e·s de nos conservatoires.
Ars Musica
Ars Musica est l’événement incontournable lorsqu’on parle de musique contemporaine, cette musique qui se joue des normes et fait bouger les lignes. Surprise your ears ! est le slogan de cette édition qui explorera la voix sous toutes ses formes et dans le monde entier. « C’est comme si on avait organisé trois festivals », sourit Bruno Letort, son directeur : au premier confinement Covid, la programmation, qui se construit en deux ans, doit être allégée ; au deuxième, la thématique s’adapte et devient Solid Ars (solidaire avec les musiciens et en ligne, « on est parmi les premiers à le faire, certains journalistes disent qu’enfin on est modernes ») ; en 2021 on recentre sur la voix et on étale le festival dans le temps (c’est exceptionnel, les salles sont embouteillées) et dans l’espace (c’est habituel… et volontaire).