Albums, concerts, festivals
L'indigestion de la rentrée ?
La vraie rentrée est là pour nombre d’acteurs culturels. Musiciens, labels, salles de concerts, centres culturels peuvent reprendre «comme avant » (ou presque). À l’heure où nous avons écrit ces lignes, des festivals comme Esperanzah! ou Ronquières venaient de tester le Covid Safe Ticket, ce qui préfigurait un retour à la normale pour le secteur culturel. Alors, comment les différents opérateurs se positionnent-ils ? Appréhendaient-ils cette période qui risquait d’être surchargée ? Le public impacté par la crise du Covid a-t-il répondu présent ou est-il noyé dans ce redémarrage XXL ? On l'a vu avec les Nuits ou le FrancoFaune: il n'a pas été pas facile de remplir les salles en ce mois de septembre. On a tenté de comprendre les enjeux de cette rentrée avec quelques représentants du secteur.
«Nous n’avons jamais arrêté de croire que les concerts pourraient se faire… On a toujours tenu les fauves pour pouvoir les lâcher au moment où les choses seront plus sereines», rassure Paul-Henri Wauters, directeur général du Botanique. Festival incontournable et pilier culturel dans le paysage musical, les Nuits Botanique ont bien eu lieu du 8 au 28 septembre. Mais dans quelles conditions ? « Nous avons un festival un peu complexe, précise son directeur, puisqu’il combine de l’indoor et de l’outdoor. Même avec des capteurs de CO2, je ne suis pas sûr que nous pourrons assimiler nos 2 salles (La Rotonde et l’Orangerie). En temps normal, on accueille 2.500 personnes par soir. Nous demandons un Covid Safe Ticket mais (à l'heure d'crire ces lignes, - ndlr) on attend le prochain Codeco (comité de concertation fédéral) pour les dernières mesures… »
Didier Gosset – FFMWB
Actuellement les jauges d’accueil ne sont pas
à leurs capacités maximales (…)
certaines tournées vont devoir être postposées
car elles ne pourront pas être rentables.
Pour Didier Gosset, représentant de la Fédération des Festivals de Musique Wallonie-Bruxelles (FFMWB), s’il y a un embouteillage ce ne sera pas dans les festivals… Autant en 2020, pris au dépourvu, ils ont été annulés et reportés, autant en 2021, les affiches de ces festivals ont été bookées dans des conditions similaires à 2019. « Pas mal de festivals ont eu lieu dans des versions modifiées comme par exemple Ronquières à la mi-août avec 80% de son affiche. Donc l’embouteillage en matière de festival il est déjà à moitié résorbé, il y aura encore un impact en 2022 mais pas plus loin que cela. »
Pour Paul-Henri Wauters l’embouteillage n’est pas nécessairement une fatalité : « En septembre 2020 on nous avait annoncé un effet “bottleneck” ou entonnoir, il n’a pas eu lieu en partie à cause de la 2e vague. On va certainement subir dans tous les cas une économie compliquée, nous n’aurons pas tout de suite les pleines capacités de nos salles. Nous ne devons pas freiner nos propositions artistiques par peur que le public ne soit pas encore prêt à venir. C’est parce que nous allons amorcer ce retour aux concerts, par une proposition dense et riche, que le public va revenir ». Le Botanique propose environ 650 spectacles par an et son directeur n’envisage pas d’en programmer 850 pour rattraper un éventuel retard… La limitation de la jauge va perdurer dans les mois à venir et impacter les salles de concerts. Pour Didier Gosset, il y a 2 cas de figures : « La culture subsidiée, c’est-à-dire les centres culturels, a pu thésauriser pendant la crise. Mais à côté d’eux, les opérateurs privés ont perdu beaucoup d’argent et vont avoir des obligations de rentabilité c’est-à-dire booker des artistes susceptibles de remplir leur salle au quart de tour ! ».
Dans d’autres centres culturels, on ne parle pas de la programmation de cet automne, encore incertaine. Joris Oster, directeur-animateur du Centre culturel de Braine-le-Comte, gère une salle de 700 personnes. Son Centre s’est associé à la Verrerie, un lieu plus cosy, pouvant accueillir 150 personnes. « Nous avons rattrapé notre retard en organisant des concerts à l’extérieur ou à la Verrerie pendant l’été. Le problème des jauges c’est d’avoir la place suffisante pour respecter la distanciation sociale. Par exemple quand on a fait la Fête de la Musique en extérieur, on a pu mettre 400 personnes sur 13 ares dans le respect du protocole du mois de juin… alors que cette surface pourrait accueillir 2.000 personnes en temps normal ». Pour Joris Oster, remplir des salles à 80 % est une jauge difficile à tenir tout en respectant les bulles et la distanciation sociale. Le centre culturel s’est équipé d’un dôme modulable avec une scène leur permettant de faire des événements en last minute et en extérieur. « On a de la flexibilité en termes d’organisation en extérieur en raison des conditions météorologiques. On sait que beaucoup d’artistes ont abondamment produit pendant le confinement et nous ferons donc beaucoup de release parties, pour des labels et des artistes, comme celle du musicien post-rock Hansel à la rentrée. »
Paul-Henri Wauters – Botanique
On va certainement subir une économie compliquée,
nous n’aurons pas tout de suite les pleines capacités de nos salles.
Pour Nathalie Delattre, programmatrice à l’Eden de Charleroi, l’objectif premier est de donner la priorité aux artistes dont les concerts ont été annulés à cause du confinement. L’automne sera effectivement bien chargé car les spectacles à reprogrammer concernent également le théâtre. « Nous ne sommes pas du tout enthousiastes envers le Covid Safe Ticket parce que cela va à l’encontre de la politique d’un centre culturel qui prône la culture pour tous et veut faciliter son accès à un maximum de gens. Si nous devons le faire pour certains concerts, on le fera mais ce ne sera pas de gaieté de cœur… Sinon nous organiserons des concerts de petite taille dans le respect des distanciations sociales entre les bulles. » Pendant le confinement, l’Eden a fait de la culture “autrement” allant vers le public puisque que celui-ci ne pouvait plus se rendre dans sa salle. « Nous sommes allés vers les personnes âgées, les personnes avec un handicap, des jeunes sous protection juridique. On a aussi amené des artistes dans les cours d’école et cela va continuer à la rentrée », ajoute Nathalie Delattre.
Quid des majors et des labels “indé” ?
Contrairement au secteur du live et notamment aux salles non subventionnées, les maisons de disques n’ont pas été impactées à 100%, la grande majorité d’entre elles a continué à travailler et à faire des sorties physiques et digitales. En témoigne la réponse d’Universal à notre demande d’interview : « Pour nous la musique ne s’est jamais arrêtée… ». On imagine que les majors ont toutefois retenu les sorties les plus attendues et très fortement liées aux tournées et aux campagnes de promotion. Pour Didier Gosset : « Là, l’embouteillage est réel ! Il est de surcroît amplifié par l’augmentation de la production musicale suite au confinement. Les sorties d’albums étant intrinsèquement liées au secteur du live, on va se retrouver avec un problème d’engorgement dans les salles parce qu’actuellement les jauges d’accueil ne sont pas à leurs capacités maximales. Du coup, certaines tournées vont devoir être postposées car elles ne pourront pas être rentables. Il en sera vraisemblablement de même pour les sorties, pas spécialement du côté belge, mais pour un groupe dont la tournée traverse habituellement 15 pays européens, c’est impossible à organiser pour le moment. » Une aubaine pour les artistes belges ? Effectivement, puisque que l’on ne va pas pouvoir accueillir les artistes anglo-saxons avant un bout de temps. On remarque déjà une tendance à l’affiche 100% belge dans certains festivals comme les Belgofolies par exemple. « Il y a eu une course aux artistes belges, ajoute le représentant du FFMWB, pour des raisons évidentes et cela a une influence sur l’augmentation de leurs cachets par rapport à 2019 à cause de cet effet de concentration. »
Quid du côté des labels de taille plus modeste ? Didier Gosset est aussi patron de Black Basset Records, friand de musique alternative : « Dans mon cas, j’ai encore pas mal de groupes qui tournent avec les reports de concerts de 2020-2021. En ce qui concerne les nouvelles sorties, nous allons prendre notre temps et attendre 2022. Espérer sortir un album maintenant en faisant un booking de dernière minute, c’était jouable il y a deux ans mais cela ne sera plus possible dans les 3 ou 4 ans à venir. »
Pour Cédric Hustinx, à la tête de Cypres Records, un label de musique classique, le confinement a été profitable pour les enregistrements mais lui aussi a retenu ses sorties discographiques au vu de l’absence de concerts. Il craint également une réouverture des salles et une offre de concerts qui va sursolliciter le consommateur de culture habituel : « Si je regarde mon agenda, l’automne est complètement full, il y a des concerts intéressants tout le temps ! On a peur de cet engorgement mais nous avons nos impératifs… Je priorise ce qui est déjà prévu et je maintiens la sortie quand j’ai un partenariat avec une salle. » Dans cette précipitation et cette multiplication de l’offre musicale, il semblerait que ce soit les musiciens plus en devenir qui paient les frais de ces réouvertures massives : « Les artistes émergents risquent bien de passer à la trappe car les salles qui ont annulé une année de programmation vont avoir envie de renouer avec un public large, elles ont des impératifs financiers et vont plutôt privilégier les têtes d’affiche et le mainstream… D’ailleurs, quand j’approche des programmateurs avec des nouveaux contenus, leur agenda est complètement fermé pendant presque deux ans ! »
Cédric Hustinx – Cypres Records
Les artistes émergents risquent bien de passer à la trappe
car les salles vont avoir envie de renouer avec un public large
et elles ont des impératifs financiers.
Et cette logique ne concerne pas que la musique classique comme le confirme Didier Gosset : « Les grands perdants vont être les groupes en développement qui représentent des risques pour nombre de salles qui ne peuvent pas perdre de l’argent surtout si elles ne sont pas subsidiées. »
Chez Igloo Records, comme le confirme Anna De Vaufleury, les sorties d’albums de jazz ne se sont pas interrompues. « Au mois de septembre nous avons deux sorties, notamment le trompettiste Thomas Champagne qui a sorti son album en juin et jouera à Flagey. Nous avons décalé les tournées et même s’il y a un risque d’embouteillage, nous avons essayé de garder le rythme. Nous avons eu la chance d’avoir pas mal de soutien au niveau de la radio et de la presse écrite. Donc grâce aux relais médias, les gens répondront certainement présents lorsque ces artistes seront en concert. On fonctionne en deux temps de promotion. »
Certains artistes trouvent des parades pour refaire parler d’eux, même si leur album est sorti en 2020. Julien Tassin fort de Moondancer, un album 8 titres paru en novembre dernier, a fait un petit making-of sur le web et a ressorti deux nouveaux titres pour relancer la promotion de son album.
Reste la grande inconnue, la présence du public…
« Les places ne se vendent pas comme d’habitude, le public est plus frileux et hésitant car il est dans l’incertitude et la peur d’être contaminé », souligne Paul-Henri Wauters. Tant en termes de crise sanitaire que de pouvoir d’achat, de nombreux citoyens ont bien sûr été impactés durant cette période et le budget consacré aux places de concerts et aux festivals risque d’en pâtir, les conditions sanitaires d’accueil dans les salles feront aussi la différence… Et le directeur du Botanique de conclure : « Si nous réussissons les Nuits Botanique dans ce contexte-là, on participe à une réouverture solide et sérieuse pour la suite. » Wait and see… En attendant, on croise tout ce qu’on peut !