Accéder au contenu principal
Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Aka Moon

Opus Pocus

Dominique Simonet

Sans qu’il ne soit jamais question de variations, Aka Moon s’inspire de la dernière Sonate pour piano, numéro 32, de Ludwig van, pour faire son propre Opus 111. Le vent libertaire et jazzy qui souffle sur cette œuvre tombe à pic pour le trio et ses trois invités. N’empêche, il fallait un déclic…

Aka Moon est toujours sur le pont

Rien n’arrête Aka Moon, il faut juste que ce soit le bon moment. Le titre, Opus 111, est on ne peut plus clair. Fabrizio Cassol, ses deux acolytes et leurs trois invités ont été puiser leur inspiration à la source beethovenienne, et pas n’importe laquelle : cette Sonate pour piano numéro 32 en ut mineur est considérée comme révolutionnaire, en tant qu’ouverture à une modernité qui est aussi celle du jazz.

Pas un coup d’essai

Embrassant le monde de la musique, Aka Moon et Fabrizio Cassol n’en sont pas à leur coup d’essai : après le Scarlatti Book (2015), il y eut Requiem pour L. (2018), qui emmène Wolfgang Amadeus aux confins du jazz comme des musiques africaine et indienne. Maintenant, c’est au tour de Ludwig van. « L’Opus 111 traîne dans mon tiroir de pensée depuis mes vingt ans, à l’époque du Conservatoire de Liège », explique le saxophoniste et compositeur. Un monument, une narration, un basculement. « Pour toucher à quelque chose comme ça, il faut une accumulation de raisons émotionnelles, jusqu’au moment où arrive une grande raison… un déclencheur. »

L’Afrique, l’Amérique noire, l’Europe musicale

She Talks to Beethoven, de la dramaturge africaine-américaine Adrienne Kennedy, fut le catalyseur. Cette nouvelle met en scène un couple d’écrivains noirs américains qui se retrouve en 1961 au Ghana, quatre ans après l’indépendance du pays de l’ouest africain. Quand le mari disparaît, la femme se console en écoutant la radio, l’animation des rues d’Accra et la correspondance de Beethoven, à un moment où celui-ci termine l’écriture de Fidelio, son seul opéra. L’Afrique, un couple africain-américain, un Européen géant musical, « j’aimais bien ce triangle », explique Fabrizio Cassol. L’un des fondateurs d’Aka Moon, groupe qui tient son nom d’un peuple de Pygmées nomades, dit se sentir « concerné par tout ce qui se passe en Afrique. Fait rare, le rôle consolateur d’un artiste occidental dans une situation post-coloniale en Afrique est plein de sens pour moi. »

Une nouvelle dimension

« Lorsqu’on touche à une musique de répertoire emblématique comme celle-là, on pourrait s’attendre à un album de variations musicales, ce que j’écarte absolument », poursuit le saxophoniste. À la fois simpliste et risquée, cette approche ne faisait pas le poids par rapport à la dimension symbolique révélée avec la nouvelle d’Adrienne Kennedy. En cheville avec les deux autres membres d’Aka Moon, Michel Hatzigeorgiou (basse) et Stéphane Galland (batterie), Fabrizio Cassol explique le concept à Fredy Massamba, chanteur et auteur-compositeur congolais (Brazza), originaire de Pointe-Noire, ainsi qu’au jeune accordéoniste portugais João Barradas et au pianiste belge Fabian Fiorini. « Prendre des citations de la Sonate Opus 111 et les incorporer était un casse-tête ingérable. Certains passages devaient être là, mais pas juste dans le style beethovenien. » En est née une sorte d’histoire musicale et onirique en douze thèmes, inspirés tant par la nouvelle d’Adrienne Kennedy que par la célèbre sonate.

Le Beethoven noir

Deux de ces thèmes, Bee is Black et The Black Spaniard, interpellent car il y est fait allusion aux prétendues racines africaines de la famille Beethoven, via des liens bien réels entre la Flandre et l’Espagne colonisée par les Maures. « On l’appelait l’Espagnol noir, relève Fabrizio Cassol, et son Opus 111 est soupçonné de receler les prémices du jazz dans le deuxième mouvement. » On y entend effectivement quelque chose qui, rythmiquement, a des airs de boogie-woogie ou plus encore de ragtime. Ce passage particulièrement mouvementé a inspiré directement le dernier thème, la coda de l’album d’Aka Moon, Towards the Stars with Ludwig, sur lequel Fabian Fiorini joue en solo. « Il s’inspire de ce passage plus jazz de Beethoven. C’était impossible de dire qu’on touchait l’Opus 111 sans qu’il y ait une réflexion d’Aka Moon sur ce fameux passage plus boogie-woogie. Là, Fabian pouvait être en face à face avec le piano et cette sonate en point de mire. Pianiste tellement énorme dans sa façon d’orchestrer l’instrument, il pouvait exprimer ce qu’il est pleinement. » Apparaissant de temps à autre en filigrane jusque-là, l’Opus 111 fait surface à la fin, dans un vrai dialogue. Entre-temps, symbolisant aussi l’éclatement de la forme traditionnelle de la sonate, cette numéro 32 de Ludwig van aura accompli, via Aka Moon and Co, son œuvre libératoire et ô combien inspirante.


Aka Moon
Opus 111
Outhere / Instinct