Chouk Bwa & The Ångströmers
L'union sacrée
Transes, danses et croyances mystiques culminent dans les morceaux de Vodou Alé. Fruit d’une rencontre entre le collectif haïtien Chouk Bwa et un duo de producteurs bruxellois (The Ångströmers), ce chef-d’œuvre célèbre l’union de la technologie et des rythmes primitifs : une bénédiction.
Certaines acquisitions bouleversent le cours d’une vie. En achetant une montagne de légumes dans un marché bio à l’hiver 2014, Michael Wolteche ne se doute pas encore qu’il vient d’activer Chouk Bwa & The Ångströmers. « Quand je l’ai vu avec ses courses, je lui ai demandé ce qu’il comptait faire de tout ça », se souvient l’ingé-son Frédéric Alstadt. « Il m’a expliqué qu’il devait nourrir des musiciens haïtiens dont il était le manager. » Fasciné par les musiques traditionnelles, Fred Alstadt saisit la balle au bond en proposant les services de The Ångströmers. Le duo électro qu’il forme avec son complice Nicolas Esterle dispose en effet d’un studio d’enregistrement. « Nous avons fait une session avec eux. Puis, nous sommes partis mixer les bandes dans notre studio. »
Au lendemain de cette collaboration, l’envie d’associer les rythmes traditionnels de Chouk Bwa à la modernité des productions du duo bruxellois est là. Seulement voilà, rien n’est prêt. Les Haïtiens se concentrent alors sur la sortie d’un premier disque. Au printemps 2017, les Belges s’envolent finalement pour Haïti. Destination Gonaïves. Berceau de l’indépendance, la troisième ville du pays est l’antre de Chouk Bwa. « Nous avons enregistré là-bas, dans un bar de brousse perdu au milieu des bananiers », raconte Nicolas Esterle.
De retour à Bruxelles avec les enregistrements dans leurs sacs à dos, les deux bourlingueurs s’attèlent à la production du disque. « Malheureusement, la qualité du matériel audio était insuffisante. » La maquette est toutefois envoyée à quelques labels, dont Bongo Joe Records. Installée à Genève, la maison de disques explore les richesses musicales du monde. Artistes cultes (Alain Peters…) et ambassadeurs des sonorités venues d’ailleurs (Altin Gün…) y sont dorlotés. Viennent désormais s’ajouter Chouk Bwa & The Ångströmers avec leur album Vodou Alé (traduisez “Le vaudou s’en va”). « Ce titre découle de la chanson d’ouverture : elle évoque les erreurs d’interprétation associées au vaudou, tout en pointant les errances politiques en Haïti. » C’est que les textes écrits en créole par le chanteur Jean-Claude « Sambaton » Dorvil se faufilent entre réalité et superstitions mystiques. Sous la transe, chaque chanson offre systématiquement deux niveaux de lecture. Conçues au plus près des rythmes traditionnels, les neuf chansons du disque flirtent avec le dub et autres pulsations électroniques. « Avant tout, nous avons respecté l’esthétique de Chouk Bwa », indique Fred Alstadt. « Ligoter des joueurs de tambour à une boîte-à-rythmes, c’était hors de question. Il fallait éviter de coloniser leurs traditions. Il s’agit d’abord d’une démarche spirituelle. » Ainsi, la musique de Chouk Bwa & The Ångströmers se joue-t-elle à la croisée des temps. Entre passé et présent, les technologies se synchronisent aux rythmes de cette transe primitive, ancrée au cœur des cérémonies d’un peuple et des rites du vaudou. C’est beau, puissant, terriblement envoûtant.
Chouk Bwa & The Ångströmers
Vodou Alé
Bongo Joe Records