Jean-Pierre Catoul
There is a light that never goes out
Il y a vingt ans, le violoniste mourait dans un accident, à 37 ans. Lumineux, il est passé comme une comète dans le ciel artistique. Sa compagne et ses amis musiciens lui rendent hommage le samedi 18 septembre au Théâtre Marni, à Bruxelles.
Par une froide nuit de janvier, sous la neige fondante, ils rentrent d’un dîner chez un collègue et ami, l’accordéoniste Gwenaël Micault. Soudain, sur l’autoroute, à hauteur de Kraainem, leur Volkswagen Golf est percutée de plein fouet par un chauffard bourré. En délit de fuite après avoir brûlé un feu rouge à la place Meiser, tous phares éteints, il est poursuivi par la police. À 200 à l’heure, ça ne pardonne pas. Alors que sa compagne, Ariane Rochette, s’en sort « miraculeusement », selon ses dires, Jean-Pierre Catoul, violoniste hyper-talentueux, y laisse la vie. C’était le 22 janvier 2001. « C’est un grand musicien que la Belgique perd », nous dira William Sheller, sous le choc, deux jours après. « On a perdu un talent exceptionnel. Pour le jazz belge, c’est une très grande perte », résonne en écho, vingt ans plus tard, le pianiste et accordéoniste Pirly Zurstrassen. Lui, Charles Loos, Éric Legnini, tous pianistes, ou encore le saxophoniste Pierre Vaian sont parmi les nombreux musiciens à reconnaître combien Jean-Pierre Catoul les a marqués, tant par sa personnalité et son attitude que par son art proprement dit.
Pirly Zurtrassen
C’était un type généreux, adorable, souriant.
Né à Huy le 14 août 1963, Jean-Pierre Catoul se met au violon classique dès l’âge de 6 ans avant d’étudier le solfège, l’harmonie et l’instrument au Conservatoire de sa ville natale. « Moi je l’ai eu dans un stage, à Libramont, en 1983, se souvient Charles Loos. Déjà à l’époque, j’étais frappé par ses facilités. » L’année suivante, il décroche les premiers prix de solfège et de violon au Conservatoire de Liège. Quelques années plus tard, Charles et Jean-Pierre se retrouvent dans un stage des Lundis d’Hortense, à La Marlagne, où le violoniste était devenu prof. « Cela a été l’étincelle ! » Résultat, deux albums en duo, Summer Winds et Sad Hopes, son dernier enregistrement. Coup de foudre semblable avec cet autre pianiste, aussi accordéoniste, qu’est Pirly Zurstrassen. À la fin d’un stage à Libramont, le concert des profs se donne sous chapiteau à Redu : « Il y avait un orage et on a joué électrique. Cette tension avec l’orage est un moment musical que je n’oublierai jamais. Dans les deux semaines, Jean-Pierre me relançait pour un duo. » Concrétisé par l’album Septimana.
La première chose que retiennent ceux qui ont travaillé avec Jean-Pierre Catoul, c’est son professionnalisme : « En plus de ses facilités, c’était un bosseur », enchaîne Charles Loos. Lors des répétitions ou des concerts, « on sentait le travail en amont, très rigoureux, très professionnel. Pour moi, il était extrêmement gratifiant de composer pour un musicien d’une telle envergure. Et ce ne sont pas des morceaux faciles ! » Même son de cloche chez Pirly Zurstrassen, qui loue en le violoniste « la capacité à s’investir, à se plonger dans le travail. Il était à fond dans la musique. » À côté de cela, « c’était un type généreux, adorable, souriant. » “Enthousiaste”, “lumineux” sont des qualificatifs qui reviennent souvent dans les conversations.
Rare aussi, pour ne pas dire exceptionnelle, la polyvalence dont le violoniste a fait preuve tout au long de sa brève carrière. Outre le jazz de ses amours, sur lequel il voulait se concentrer peu avant sa mort, Jean-Pierre Catoul était ouvert à tous les styles de musique : fusion et funk dès ses débuts, musique du monde, comme en témoigne l’album Other Worlds avec Gwenaël Micault, folk irlandais en compagnie de Perry Rose, musique traditionnelle burkinabée avec Bebe Ouedraogo… Il ne semblait pas avoir de limites.
Ariane Rochette
Le violon, c’était le prolongement de Jean-Pierre.
Avec lui, il a tout exprimé, ses côtés lumineux et plus sombres.
« Quand il joue avec Stéphane Grappelli, il joue jazz manouche de façon formidable, observe encore Pirly Zurstrassen. Le travail du timbre, le phrasé de son violon s’adapte à tous le styles avec une souplesse incroyable, dans n’importe quel contexte. Cette créativité dans tous les domaines est liée à sa personnalité, d’une ouverture exceptionnelle. » « Il était lié à Grappelli, mais il emmenait son instrument ailleurs, c’était un pionnier, analyse le saxophoniste Pierre Vaiana, qui a de beaux souvenirs de jams interminables avec le violoniste, il n’y a pas beaucoup de gens qui pouvaient tirer cet instrument vers l’avant. »
Équation, son premier groupe, Jean-Pierre Catoul l’a formé avec des potes du Conservatoire de Huy, Stéphane Galland à la batterie, Éric Legnini au piano. « J’étais jeune, se souvient ce dernier, 13 ou 14 ans, je ne sais plus. C’était la grande époque d’Uzeb et de Jean-Luc Ponty, et Jean-Pierre nous a mis sur ce chemin-là, alors je jouais des claviers. Déjà à l’époque, il cherchait l’inspiration partout. Moi, ça m’a aidé à établir un processus de travail avec plein de musiques différentes, plein de versions différentes d’un même morceau.
Il écoutait Grappelli, Ponty, Lockwood et touchait à des esthétiques très différentes, ce qui me correspond parfaitement. Je me sens proche de ce qu’on faisait à l’époque. Entre-temps, lui s’est mis à tourner avec William Sheller et on a commencé à se perdre de vue… »
Autre aspect de l’artiste : Catoul musicien de studio et de scène pour de nombreuses vedettes de la chanson. Barbara, Alain Bashung, Stephan Eicher, Alain Souchon, BJ Scott, Pierre Rapsat. En 1986, c’est William Sheller qui met le pied à l’étrier du musicien belge, alors âgé de 23 ans : « Il est rentré dans le quatuor au pied levé, nous confiait le “Symphomane” en 2001. On me l’a présenté, il était tout jeunot, tout mince. C’était un des musiciens auxquels j’étais le plus attaché. »
Et puis il y eut ce moment incroyable lorsque, le 16 juin 1995, Jean-Pierre Catoul dirigeait les cordes de Robert Plant et Jimmy Page, à Forest National. Alors que cette section changeait à chaque pays, les deux zeppeliniens avaient déjà engagé le violoniste belge pour leur concert du jour précédent, le 15 juin, au Ahoy à Rotterdam aux Pays-Bas.
Tout ça, il voulait le laisser progressivement de côté. Le jeune violoniste voulait se concentrer sur sa carrière personnelle et « se consacrer essentiellement à sa passion, qui était le jazz » se souvient sa compagne, Ariane Rochette. Pour elle, « le violon, c’était le prolongement de Jean-Pierre. Avec lui, il a tout exprimé, ses côtés lumineux et plus sombres. Il jouait avec le cœur et l’âme. »
« Son discours musical va très loin dans le cœur et dans l’esprit », renchérit Charles Loos. Pour Pierre Vaiana, « Il allait vite, il dépassait tout le monde, cela nous posait des défis à tous, il fallait qu’on se secoue ! » « À son décès, il a relié tous ceux qui avaient joué avec lui, dit encore Pirly Zurstrassen, on a tous quelque chose en commun qui est Jean-Pierre ; cela a créé un lien très fort entre nous. Cela tient à sa personnalité. Cette perte est là, mais elle nous relie. »
Le jour de l’accident, Ariane et Jean-Pierre avaient décidé de se marier, d’avoir un enfant. « Aujourd’hui, il y aurait un beau studio dans notre maison. Il voulait se stabiliser, avoir une famille, être plus présent. Aujourd’hui, on aurait un enfant de 20 ans, qu’on voulait appeler Sacha. Fille ou garçon, on trouvait ça joli. »
L’hommage à Jean-Pierre
Le samedi 18 septembre, à l’initiative d’Ariane Rochette, sa compagne, et de Peter Hertmans, guitariste, le Théâtre Marni (Bruxelles) présente l’hommage à Jean-Pierre Catoul, vingt ans après sa disparition. Une vingtaine de musiciens et chanteurs sont attendus, parmi lesquels les violonistes Nicolas Draps et Alexandre Cavalière.