Angelo Moustapha
Tombé du ciel
Impossible de le louper: à chaque concert du guitariste Philip Catherine, un percussionniste fait des étincelles. Angelo Moustapha: un nom à retenir. À 27 ans, le jeune Béninois s’impose comme un infatigable chercheur qui instille avec brio la polyrythmie africaine dans le jazz.
Alors qu’il est depuis deux ans en Belgique, Angelo Moustapha a profité du mois d’avril (lorsqu'on le rencontre) pour retrouver sa famille au Bénin. Comme ça, au retour, il sera fin prêt pour l’été, si l’activité musicale reprend plein pot. Une pause largement méritée pour celui qui, sur scène, se dépense sans compter, laissant parler une technique éblouissante, une imagination sans bornes. C’est lors d’un concert de Philip Catherine à Flagey, le dimanche 26 juillet 2020, que le phénomène nous est apparu. Quand on se prénomme Angelo… Il est réapparu quelques mois plus tard, en ligne et en trio avec Philip Catherine et Lionel Loueke, son compatriote guitariste, puis encore, récemment, avec Philip Catherine et deux pianos !
Angelo Moustapha
La polyrythmie est dans la tradition africaine.
Les gens jouent comme ça sans même s’en rendre compte.
Dans toutes les configurations, Angelo Moustapha fait montre d’une complexité qui cache bien son jeu : « Moi, à la base, dans la vie active, tout le monde dit que je suis positif, pas compliqué, raconte-t-il. Question rythmes, surtout en Afrique de l’Ouest, on n’a pas l’habitude de jouer en binaire ou en ternaire très carrés. La polyrythmie est dans la tradition africaine. Les gens jouent comme ça sans même s’en rendre compte.Moi, je travaille à rendre ça accessible à tout le monde, je n’exclus personne.»
À l’église, debout sur la chaise
C’est à l’église que le petit Angelo a commencé à jouer, d’abord à la chorale des enfants mais, très vite, encore petit lui-même, à la chorale des grands. Or les congas, ce n’est pas petit : « J’ai fait mon premier concert à l’âge de 5 ans, debout sur une chaise, devant près de 400 personnes. » Pour lui, c’est toujours à l’église, mais bien plus tôt, lors de son baptême, que tout a commencé : « Un devin a dit que cet enfant serait un grand musicien. J’étais juste au huitième jour de ma vie. »
Dans la famille, du côté maternel, on pratique la musique. Sa mère chante et compose des chansons en yoruba. Son grand-père maternel était percussionniste traditionnel et chanteur. « Mon père, c’est zéro musique, pas du tout de rythme ! » L’enfant a beau montrer des prédispositions exceptionnelles, « il n’est pas évident que les parents soient d’accord quand on parle d’un métier artistique. Pour gagner sa vie, il y a la police, la gendarmerie, l’armée où on peut faire de la musique. J’ai joué avec eux chaque 1er août, lors de la fête de l’Indépendance. Moi, j’aime être libre, libre de m’exprimer. Alors, l’armée, ce n’était pas pour moi. Mon père s’est fâché, il voulait ma sécurité. Après, il a compris. Là, il est fier de tout ce que je fais maintenant, depuis que je suis en Europe. Mais dire non à son papa, c’est quand même un peu compliqué. »
Alors, certes, le jeune musicien est passé par l’École Supérieure des Métiers d’Art et de la Culture, à Cotonou. Mais, « l’école, c’est juste pour formaliser tout ce que j’ai fait comme recherches. Ce n’est pas l’école qui m’a formé, je pourrais même dire que c’est moi qui ai formé l’école » où il a commencé à donner des cours à peine son diplôme reçu…
Chabadabada…
Si, pour lui, « le jazz, c’est vraiment une musique d’improvisation », « il faut avoir les outils avant d’improviser. J’ai fait beaucoup d’efforts », avoue Angelo, qui a sa vision du jazz, aussi personnelle que l’est son jeu : « Le chabada de l’Afrique traditionnelle est vraiment la source du jazz, sauf que quelque chose a changé durant le voyage. En Afrique, le chabada, c’est 1/2/3, en insistant sur le 1. En jazz, tout est basé sur le deuxième temps. Parfois, quand je joue, je mélange les deux. »
Aux formations à géométrie variable de Philip Catherine s’ajoutent quatre projets personnels, dont un spectaculaire solo déjà présenté à Flagey: Angelo Moustapha a du pain sur la planche. « Avec tout ce que j’ai composé – je joue aussi du piano – j’ai de quoi remplir trois albums », s’exclame-t-il en riant. « J’ai toujours fait des albums pour tout le monde. Maintenant, c’est le moment que tout le monde travaille avec moi ! »