Hasselt
À la croisée des chemins
Si on n’y prend garde et qu’on ne s’arrête pas à temps, on arrive en Allemagne. Un peu trop au nord, c’est en pays batave qu’on risque de finir. Plus au sud, c’est la Wallonie qui nous tend les bras. Bref, il est temps de revoir sa géographie belge !
Ti Amo au carillon
Avouons-le : à moins de rater la sortie sur la route du Pukkelpop, il est facile de passer à côté de Hasselt. On y est donc allé par choix, car le trip vaut le coup. Au sortir de la gare, on entend une version de Ti Amo sonnée par les cloches de la cathédrale Saint-Quentin… Plus loin, des affiches colorées martèlent en anglais que Nous pouvons être des héros, que C’est la fin du monde tel que nous le connaissons ou encore Dégage (airs connus). Alors, “music-oriented”, Hasselt ? C’est ce qu’on va voir.
Bouseux et hipsters
Direction : une ancienne usine, reconnaissable à sa cheminée qui ne fait pas mystère de son passé industriel et c’est d’ailleurs écrit dessus : Gélatines. Ici, on faisait des colles. Aujourd’hui, Niels Hendrix y a installé son studio d’enregistrement et les locaux de son label, Fons records.
Dans son écurie, des groupes mélangent avec talent Sonic Youth et Nirvana (Fence), braillent et donnent envie de le faire (The Yummy Mouths) ou regardent leurs pieds en fredonnant des airs imparables (Peuk). C’est dire si ce quadragénaire “born and raised” dans la ville d’Axelle Red ou de Millionnaire et Evil Superstars (tous deux partis vers des cieux plus glams) connaît son affaire : « Je fais de la musique ici depuis 25 ans. On nous considère comme les outsiders belges. On a un accent, on parle lentement, on est loin des grandes villes et de l’industrie. S’il devait y avoir une Bible Belt belge, ce serait nous (rires). On est les bouseux du pays. Mais c’est une bonne chose… ça nous permet de rester sous le radar et faire notre propre truc. »
Joeri Chipsvingers
C’est réducteur de penser que nous sommes uniquement définis par une naissance, par une géographie.
À quelques pas de là, un petit café (Just For The Record) alterne les ventes de flat white au lait d’amande et de re-issues de Rumours en vinyle. Dany, le barista / disquaire, tempère les propos du musicien : « Concernant les bouseux, Niels a raison, mais c’était avant. Il y a de plus en plus de hipsters qui ont débarqué ici… Il y a trois ans, je n’aurais jamais vendu un album de Caribou ou de Joan as Policewoman à qui que ce soit » (rires).
Entre folie débridée et rigueur classique, l’OVNI Joeri Chipsvingers symbolise bien le génie made in Hasselt et la mue de la petite ville. Mi Danny Elfman, mi Gershwin sous acide, il s’est créé un avatar roux aux yeux fous, qui prodigue des moments suspendus entre grosse blague potache et univers flippant. Délocalisé à Gand, il ne veut pas croire en un terreau magique : « C’est réducteur de penser que nous sommes uniquement définis par une naissance, par une géographie. Mais c’est vrai qu’au vu de ce qu’il se passe ici, peut-être existe-t-il de mystiques et mystérieuses forces cachées limbourgeoises qui modèlent toute créativité qui sort de ce sol et la transforme en truc typiquement limbourgeois» (rires).
La présence, à quelques kilomètres, du Pukkelpop n’est sans doute pas étrangère au phénomène. Niels Hendrix en est persuadé : « Pukkelpop, c’est super important pour Hasselt, c’est un événement qui engage tout le monde ici. Le festival a toujours réservé une partie de sa programmation aux petits groupes locaux. » De quoi maintenir un œil, et une oreille, sur la musique et la placer au cœur de la vie de Hasselt ? Probablement. Mais pas que.
Rock Academy
Quelques coups de pédales plus loin, la PXL attire l’attention. Avec ses dix mille étudiant.e.s, disséminé.e.s sur cinq campus, et sa pléthore de cursus, la mastodontesque université en impose. Alors, quand on apprend qu’un de ses masters se nomme “musique pop & rock”, les images du professeur Jack Black apparaissent instantanément. Jules Scinta, un montois de vingt ans, n’en revient toujours pas. Il fait partie des cinq heureux élus (parmi les centaines d’appelés) qui profitent de l’enseignement sur mesure de la prestigieuse PXL : « Je n’avais pas envie d’intégrer un conservatoire classique, alors je suis venu voir cette école, c’est un truc de fou ! Les locaux sont géniaux et les profs excellents. Mon prof de batterie, c’est le batteur d’Hooverphonic ! »
Une “Rock Academy” qui attire et forme le futur de la musique, ça pourrait tomber sous le sens, comme le croit Jules : « Je suis le premier Wallon de l’école ! L’accueil est génial, je me sens vraiment à ma place… Cette ville est un aimant. Il y a ici des gens des quatre coins de la Belgique. » L’avenir semble donc assuré.
Luc Bertels
Ah, mais pour le hip-hop, c’est à Genk que ça se passe !
Mais pour l’heure, c’est Luc Bertels qui nous attend derrière la caisse de son antre. Véritable institution, Giga Swing existe depuis quarante ans. De la musique, il en a écoulé, Luc. Du vinyle au CD au… vinyle. Un peu en riant : « Ici, ce sont les jeunes qui achètent les vinyles, qu’ils ont streamés avant, car ils n’ont plus de lecteurs de CD. Alors je leur vends des classiques… Les plus vieux achètent des nouveautés car ils ont tout, donc ils ont besoin de nouveaux trucs. » Le dernier vinyle vendu ? « Ce matin, un Balthazar. Mais je vends aussi du Tindersticks, du Zwangere Guy, du Angèle ou du Taylor Swift ». Les groupes locaux, comme les très garage Sore Losers, se vendent bien aussi, chez Giga Swing, ce qui ravit et rend fier le mélomane vendeur : « Le Hasseltois qui vient chez moi est éclectique ! » Éclectique, certes, mais quand on évoque le hip-hop, l’œil du briscard s’agite : « Ah, mais pour le hip-hop, c’est à Genk que ça se passe ! »
Genk, nouvelle mecque hip-hop
Il aura fallu qu’un documentariste américain (GENKbangers de Miguel Dorado) vienne s’intéresser aux Genkois qui peaufinent du rap à l’ancienne à quelques encablures de Hasselt, pour placer la bourgade limbourgeoise sur la carte du hip-hop. Ralliés sous la bannière de “Goeie Jongens” (littéralement “les bons gars”), ils sont une petite dizaine de formations à faire s’agiter le VU-mètre avec un son nourri de hip-hop old school. Devenus trentenaires pour certains, c’est un mélange de Wu-Tang Clan et de rap néerlandais qui a donné les bases des sons excitants qu’ils produisent aujourd’hui, en se réunissant avec la force d’une coopérative riche des talents de chacun, comme le confie DJ Baze de Onze zaak : C’est Djalu qui a eu l’idée de nous rassembler. On était sceptiques au début, mais il a eu raison. On voulait mettre Genk sur la carte du hip-hop. » Djalu, qui fait figure d’ancien, confirme : « En fait, on n’a pas eu le choix… tout est si petit dans le Limbourg, ce n’est pas comme si on avait une grosse communauté… Alors, ensemble, on est un peu plus grands ! » Euphémisme : en 2019, l’institution Pukkelpop se penche sur la proposition genkoise, s’en trouve séduite et ouvre grande sa scène à l’écurie Goeie Jongens. Résultat : un carton !
Le slogan officiel de la ville limbourgeoise s’étale partout : Hasselt heeft het. On ne sait toujours pas de quoi il s’agit précisément, mais une chose est sûre, Hasselt l’a !
Lieux
B-CLASSIC // Le mantra de cette organisation est limpide : notre chambre est le Limbourg, notre public le monde ! Avec des ateliers et des concerts mixant le classique aux autres musiques, c’est une maison de musique classique qui ose ouvrir ses portes.
DE SERRE // Évolutives, transformables, les serres occupent l’espace et fourmillent d’idées, dont ce PKP Downtown, sorte de relocalisation du festival légendaire Pukkelpop, en pleine ville.
MUZIEKODROOM // Depuis vingt ans, c’est LA salle de concert de Hasselt. Des petits groupes émergents aux grosses pointures, tout y passe avec éclectisme et ouverture.
CAFÉ CAFÉ // Mêler sur la piste de danse jeunes party harders et banquiers soixantenaires, ça marche au Café Café. Goût de la fête, du partage et des musiques variées et remuantes, le Café Café ronge son frein pour redonner des couleurs à la nuit limbourgeoise.
Hasselt sounds
La nébuleuse FONS RECORDS // Avec des groupes comme Fence, Shovels, Peuk ou Yummy Mouths, le label de Niels Hendrix en a sous la pédale.
La tribu GOEIE JONGENS // Les “braves gars” proposent une version old school et pourtant contemporaine du hip-hop. Aria, Onze Zaak, Chaz & Djalu, Don Luca, Rian Snoeks, Cinus & Lano … ils ont du talent à revendre. Une compile en atteste : Vliegtuig Modus.
La jeune pousse ASTER // La vingtaine à peine, Aster Froyer est un exemple de formation “à la Hasseltoise”. Formé à la Villa Basta, sorte de méga académie, le jeune Limbourgeois livre des ballades guitare sèche - voix d’une rare maturité.
Le trublion JOERI CHIPSVINGERS // Sélectionné par le Berlin Music Video Awards aux côtés de Selena Gomez, Rosalia ou Petit Biscuit, le jeune Limbourgeois est parti à la conquête du monde. Son vœu : amener à la musique classique l’énergie punk et rock. Check !