La musique
bienfait pour toi!
Quels effets bénéfiques génèrent les sons ? La musique, écoutée, pratiquée, peut-elle enfiler la blouse d’aide-soignante ? La thématique, brûlante d’actualité, s’incarne dans trois expériences musicales inscrites dans des parcours au long cours, qui l’abordent de diverses façons tout en partageant un point commun, au moins : l’ouverture aux autres. Afin de vivre, un temps, la sonore plénitude.
Alors que l’interdiction d’organiser des événements culturels rassembleurs se prolonge et que l’hiver s’étire, il apparaît que la musique a adouci le confinement. Et la musique orchestrale, selon une étude anglaise, a tout particulièrement tiré son épingle des plateformes d’écoute. La même étude montre également l’impact positif de la musique sur l’humeur mais aussi sur la santé. La musique relaxante, elle, vend des palettes depuis longtemps. Le tapis de fond cotonneux diffusé dans les as- censeurs ou autres aéroports, la muzak, se voit revenir en grâce. Et il arrive désormais que les adjectifs des chroniques musicales glissent sur les pentes du champ lexical du bien-être : “feel good”, enveloppante, bienveillante, méditative, voire thérapeutique…
Jean-Paul Dessy
Toutes les musiques agissent sur nous, chacune à leur façon,
et leur écoute est puissamment transformatrice.
Si elles représentent l’aboutissement de parcours entamés il y bien longtemps, les sorties quasi simultanées des disques intitulés Sound Meditation et New Shamanic Music sur le label Cypres, d’une part ou, d’autre part, de Méditation et Musique, un enregistrement du musicien Pirly Zurstrassen en compagnie du Brussels Vocal Project, répondent néanmoins parfaitement à cette évolution des attentes. Jean-Paul Dessy, compositeur, musicien, chef d’orchestre, et instigateur de la nouvelle collection chez Cypres, partage sa vision de la capacité “soignante” de la musique : « Je vois les différents types de musique comme une pharmacopée infinie, chaque espèce sonnante musicale diffusant ses propriétés. Toutes les musiques agissent sur nous, chacune à leur façon, et leur écoute est puissamment transformatrice. » C’est au potentiel méditatif et thérapeutique que celui qui dirige l’Ensemble Musiques Nouvelles accorde son attention : « Par la musique, inviter à la méditation, pour moi, pour les musiciens, pour tout le monde. Appeler à se retrouver dans un endroit de nous-mêmes, paisible, ouvert, disponible. Vivre cette expérience de plénitude par le son, immersive, plénière, bienfaisante…» Comme la musique, la méditation fait partie de son quotidien depuis des décennies : il l’enseigne même depuis dix ans. Inévitablement, « les chemins de la méditation et de la musique se sont rapprochés », et l’idée, partagée depuis longtemps avec Cédric Hustinx, le producteur exécutif du label Cypres, de favoriser l’accès à l’espace méditatif par la musique, a mené à la création de cette collection, Soundfulness. Une appellation clin d’œil à la “mindfulness”, méditation dite de pleine conscience, destinée à réduire le stress.
Concrètement ? « Avec quatre musiciens de l’Ensemble Musiques Nouvelles, on cherche depuis 5 ans et dans un large répertoire – pop, rock, musiques du monde, classique…(des morceaux de Beethoven, Arvo Pärt ou Pink Floyd font partie de la sélection, – ndlr) – des sons appropriés, puissants, permettant d’accéder aux zones les plus profondes et les plus élevées et les plus soignantes, par une écoute à la fois contemplative et active… Un morceau s’intitule d’ailleurs Meditaction, où l’on devient “agi” par la musique. » Cet effet, en apparence paradoxal, d’entrée à l’intérieur de soi et de retour d’énergie vers l’extérieur, Pirly Zurstrassen le relève également, « la dimension introspective de connaissance de soi ouvre à quelque chose en dehors de soi ; mieux se connaître, pour mieux connaître le monde extérieur ». Formé notamment aux côtés de Karl Berger et Garret List aux différents aspects de l’improvisation, celui qui est devenu en 2015 instructeur en méditation pointe un second paradoxe, lié à son processus de recherche passant par l’improvisation : comment laisser affleurer sa volonté en même temps que laisser faire ? Une interrogation en phase avec le processus méditatif par lequel il faut « renoncer à tendre vers un but. Alors donc que le but de la médiation est de se départir de toute intention. Accepter le cheminement, sans savoir où l’on va et trouver le “bonheur” au bout du chemin. S’il est pensé d’emblée : on bloque le chemin ! » Tout en chants et piano, le disque à l’intitulé évident, Méditation et Musique, est né de cette rencontre entre pratique musicale et univers médical, abordé lors de formations avec le Docteur Philippe Antoine, neuropsychiatre, sophrologue et hypnothérapeute. La ten tative de produire des sons sur lesquels rester fixé·e sans remarquer les intentionnalités du compositeur, « comme on regarde un paysage en continu, avec toutes ses variations » prend chez Pirly Zurstrassen des allures de quête existentielle. Il fait d’ailleurs remarquer que « chants, rythmes, percussions, sont utilisés dans toutes les spiritualités. Et il y a là une relation à quelque chose de plus grand que soi, que je ne nommerai pas Dieu pour ma part. » À Mons, avec l’espace de la Chapelle du Silence « au cœur du projet Arsonic et battant d’un rythme doux », Jean-Paul Dessy a réalisé son rêve « d’un lieu où, dans une ville, on peut s’asseoir sans consommer, juste se poser et déposer ses fardeaux journaliers dans le silence. Dans la Cha- pelle, en temps normal, précise Dessy, se déroulent des concerts confidences, avec un seul musicien. Une façon intime de partager ses sons et son être le plus profond, avec un public d’une vingtaine de personnes » : musique-méditation, soin et sons, avec musicien-thérapeute.
Les (re)connections possibles, Pirly Zurstrassen les retrouve aussi dans « la pratique en elle-même d’un instrument. Elle fait le lien entre le corps et l’esprit, entre ce que l’on donne et ce que l’on est ». Cette mise en relation de l’esprit avec le corps induit un rapport concret au monde, dimension longtemps dévalorisée et peu à peu réhabilitée. Attention ! Ne lui parlez pas du succès du “bien-être”, le musicien déteste le mot, en tout cas dans son acception actuelle de but de développement personnel, une récupération marchandisée de la méditation qui véhicule en outre l’injonction, culpabilisante, à se prendre en charge si on ne se sent pas bien. «C’est catastrophique et tout l’inverse de la méditation », qui est justement un processus de sortie du rendement et de quête de sens.
L’aspect “rencontre”, avec soi ou avec les autres, le compositeur de Méditation et Musique le retrouve dans le succès rencontré par sa Petite Chorale d’un soir. « Avec Baptiste Vaes (au chant) et moi à l’accordéon, on réunit parfois jusqu’à une centaine de personnes qui viennent de toute la région et qui viennent chanter. La demande est énorme. En majorité des femmes. » Jo Lesco fait le même constat. Ce sont les femmes les principales participantes aux deux chorales qu’elle dirige, des lieux où la musique appartient à tout le monde et qui intègrent des publics fragilisés (des personnes précarisées, économiquement et du point de vue de la santé mentale). L’une des chorales a été initiée en 2005 par le programme social de la Monnaie, pour établir, décrit Jo Lesco, « un pont entre deux mondes », ce qui ne va pas sans difficultés. Atteindre le moment d’harmonie s’avère d’autant plus gratifiant « dès que les participantes et participants chantent en harmonie les polyphonies vocales : un plaisir collectif émane de la beauté du “son” et par magie, elle soude le groupe ». Un résultat soignant en lui-même. Pour y parvenir, « il faut apprendre à s’écouter, à écouter les autres, à écouter son corps, apprendre à mieux respirer ; ce qui calme et structure ces personnes fragilisées par la vie. Et aborder la musique différemment permet de lui donner une couleur, une inflexion, une nuance : un éveil à l’écoute musicale ». Chanter ensemble fait partie des bienfaits psycho-sociaux de la musique. En temps de Covid, la chorale se réunit par zoom et le lien se maintient donc. Sans remplacer, bien sûr, le plaisir et le besoin de chanter en groupe dans un lieu physique partagé.
Musique et thérapie, d’hier et d’aujourd’hui
« Les dimensions thérapeutiques appartiennent aux origines de la musique : le chamanisme, depuis 30.000 ans, dans toutes la diversité de ses expressions, a toujours utilisé le son, le vocal, le percussif », constate Jean-Paul Dessy. Redécouvertes par le monde médical et scientifique, la musique et ses expressions diverses intègrent les protocoles de soins. La musicothérapie est devenue un outil thérapeutique reconnu. L’écoute réceptive de phases musicales, élaborées par des algorithmes à partir de morceaux de grands compositeurs et étudiées en fonction de mécanismes psycho-physiologiques (abaisser ou accélérer le rythme cardiaque au moyen d’une mélodie), participe à une meilleure gestion de la douleur de malades chroniques ou en soins palliatifs ou peut encore favoriser un réveil structuré de malades d’Alzheimer, par exemple. La musique stimule la production d’endorphines, qui sont des antidouleurs naturels, ainsi que la production de la dopamine qui, elle, active les zones de récompense du cerveau.