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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Les pochettes

sous toutes leurs facettes

Nicolas Alsteen

Tenue obligatoire pour tout album qui se respecte, la pochette attire le regard et imprime les mémoires. Premier contact visuel avec le public, l’imagerie apposée sur un disque n’est pas qu’un simple emballage. Forme d’expression, outil de communication et véritable champ d’identification, l’élément graphique a plusieurs fonctions et de nombreux terrains de jeu. Du vinyle aux plateformes de streaming, Larsen raconte l’itinéraire des pochettes. Sans surprise.

Le point commun entre The Void Project, Angèle, InALTO et River Into Lake ?

«À l’exception de notre label de jazz, nous appliquons une charte graphique coordonnée pour toutes nos sorties », explique Tzairí Santos García, responsable de la stratégie numérique et de la communication chez Outhere Music. Enseigne connue des férus de musique classique, Outhere englobe les activités de huit sous-labels spécialisés. « Il s’agit donc de proposer une ligne visuelle clairement identifiable. C’est une question de communication. Nous voulons que les personnes qui s’intéressent à la musique classique puissent distinguer les sorties des labels Ricercar ou Arcana. » Les disques estampillés Outhere Music respectent ainsi des codes visuels assez précis. « Chez Ricercar, par exemple, toutes les pochettes sont illustrées par des peintures. C’est une marque de fabrique. Cela permet d’affirmer l’identité du label et d’assurer la continuité du catalogue. »
 

Elzo Durt - illustrateur

Son rôle ? il sera toujours le même:
capter l’attention, surprendre et dépasser les attentes.


Dans certains cas, l’imagerie d’une maison de disques reste gravée dans les mémoires à la faveur d’une collaboration historique. Ainsi, que serait Factory Records (Joy Division, A Certain Ratio) sans Peter Saville ou SST Records (Black Flag, Minutemen) sans Raymond Pettibon ? Dans le même ordre d’idées, le label parisien Born Bad s’en remet régulièrement aux ouvrages du Bruxellois Elzo Durt. Ambassadeur d’un graphisme rock’n’roll, ce dernier imprime ses collages acidulés sur les pochettes de disques signés La Femme, Cheveu ou Frustration. Au moment où Larsen l’intercepte dans son atelier de production, il est d’ailleurs en train de bricoler un visuel pour le futur album du groupe LoKa and The Moonshiners. « Sur le plan professionnel, ma relation avec Born Bad me permet d’évoluer, indique-t-il. Quand le boss du label m’appelle, c’est pour me sortir de ma zone de confort. Il me demande de créer des pochettes pour des musiques qui se situent à des années-lumière de mes propres goûts. » En marge de ses productions pour Born Bad, Elzo Durt met son esthétique au service d’autres structures indépendantes. Du rock garage de Teenage Menopause au jazz du label Train Fantôme en passant par la techno du pavillon Killekill à Berlin, sa griffe s’exporte dans tous les genres. « Ces firmes me laissent une liberté totale. Ce ne sera pas le cas des pochettes commandées par les grandes enseignes. Chez les majors, il faut satisfaire un cahier des charges : le visage de l’artiste doit apparaître à l’avant-plan, son nom aussi. C’est contraignant. » Collagiste et assembleur de pochettes pour L’Impératrice, Sharko, River Into Lake ou Great Mountain Fire, le Bruxellois David Delruelle a vécu cette situation de près « J’ai décliné une offre intéressante, explique-t-il. Pourquoi ? Parce que le label me dictait la façon de créer la pochette d’un groupe américain… Moi, je considère que la liberté artistique est l’essence de ce boulot. Fabriquer des pochettes, c’est davantage une affaire de passion qu’une question de rémunération. » L’observation du collagiste est partagée par Elzo Durt : « Inutile de compter là-dessus pour s’acheter une maison. Les créations qui m’ont offert le plus de visibilité sont celles réalisées pour Thee Oh Sees et La Femme. D’un point de vue financier, en revanche, ces projets sont les pires deals de toute ma carrière… »

Le dernier mot

« Un label aura tendance à intervenir dans le choix d’une pochette, indique Nicolas Renard, manager de Puggy, Angèle ou Clara Luciani. Il faut garder à l’esprit que cela permet de décliner des concepts : une campagne de pub ou des photos de presse. En tournée, il est aussi fréquent d’adapter une pochette pour un fond de scène. » Chez Luik Music (It It Anita, Endz), la pochette est une affaire de dialogue avec l’artiste. Dans ce débat, le label liégeois cherche, bien sûr, à faire entendre sa voix. « Mais le dernier mot revient toujours à l’artiste, assure la responsable de communication, Juliette Demanet. Un exemple ? Pour l’album d’Annabel Lee, toute l’équipe de Luik Music était favorable à l’usage d’une image spécifique. Mais le groupe préférait une autre option. Naturellement, nous nous sommes pliés à leur volonté. » Plus que jamais, les artistes semblent ainsi les mieux placés pour choisir la pochette de leur disque. Nicolas Renard peut en témoigner. « Au début de l’aventure avec Angèle, chaque single était illustré par un visuel exclusif », retrace-t-il. Les fans se souviennent en effet des spaghettis sur la tête de la chanteuse (La Loi de Murphy), de globes oculaires gonflés à bloc (Je veux tes yeux) ou d’un serre-tête truffé de billets verts (La Thune). « Ces visuels ont largement contribué au succès des chansons. Pour la pochette de l’album, l’enjeu était d’arriver avec une imagerie encore plus forte. Notre réflexion est partie du mot “Brol”. Puis, nous avons organisé un shooting photo millimétré : Angèle posait au milieu d’objets divers et variés. C’était cool, mais pas dingue. Du coup, Angèle est revenue vers nous avec une photo d’enfance. Elle était convaincue par ce visuel. » Coté management, le point de vue était plus nuancé. « Je me suis retranché derrière les formules préconisées par les grands labels, concède Nicolas Renard. C’était son premier album. Je voulais que le public puisse bien la reconnaître. Avec cette photo prise par son papa, je me disais que les gens n’allaient pas faire le lien… » Dans le doute, un autre shooting est organisé. Cette fois, la chanteuse pose avec sa photo d’enfance au bout des doigts. « C’était un consensus mou, confie le manager. D’autant plus difficile à assumer qu’Angèle campait sur sa position : elle préférait se voir petite et édentée plutôt que d’apparaître de façon trop classique. C’est comme ça que nous avons opté pour la pochette que tout le monde connaît. »

Chérie, j’ai rétréci la pochette

Aujourd’hui, de nombreuses productions sortent directement en ligne sans passer par la case disquaire. « Si un album ne sort pas en vinyle, je refuse de réaliser la pochette, décrète Elzo Durt. Me donner autant de mal pour une image qui sera uniquement visible sur un écran, c’est une déroute professionnelle… » Nicolas Renard regrette lui aussi cette évolution du marché. « Mais en tant que manager, je dois nécessairement m’y adapter, dit-il. Avec le développement du streaming, nous réfléchissons de plus en plus petit. Car la pochette doit capter l’attention sur un format ultra réduit. Avant de faire un choix définitif, nous opérons des simulations sur les pages d’accueil Apple Music et Spotify. Ces plateformes nous amènent aussi à revoir notre positionnement sur la typo. Comme le nom de l’artiste et le titre de l’album sont automatiquement encodés dans les systèmes, pourquoi s’acharner à les indiquer sur la pochette du disque ? » Dans le monde de la musique classique, cependant, le CD reste encore le principal support de consommation. « Cela guide notre façon de penser les pochettes, indique Tzairí Santos García, chez Outhere Music. Dans ce processus, nous veillons à soigner les sensibilités d’un public fidèle, essentiellement composé de personnes âgées. Le défi, pour une structure comme la nôtre, c’est de rester fidèle à une image, tout en touchant des jeunes et de nouvelles franges de la population. » Quel que soit le style musical proposé, la pochette demeure au cœur de la production discographique. « Du funk au jazz, en passant par le rock garage et la musique classique, la pochette offre une incroyable liberté d’expression, conclut Elzo Durt. Son rôle ? il sera toujours le même : capter l’attention, surprendre et dépasser les attentes. »