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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Skinfama

20 années au service du hip-hop, reggae…

Didier Stiers

Bon anniversaire! La structure bruxelloise, «spécialisée dans les musiques urbaines, experte en booking, management et production événementielle», fête ses 20 ans. D’où vient-elle, où se trouve-t-elle aujourd’hui, quel avenir envisage-t-elle? Le “boss” de la boîte nous répond.

Et pour Skinfama, c’était comment, il y a 20 ans ? « Ça ressemblait au désert, rigole Lino Grumiro. Il n’y a pas grand-chose qui se faisait à l’époque. Les gens avaient peur du rap : “culture de blacks”, “culture d’arabes”, “il faut faire attention, augmenter la sécurité”… C’était très compliqué ! Mais on était issus de cette culture hip-hop, passionnés, et on avait la volonté de travailler. On n’a pas choisi le rap parce qu’on pensait que ça allait devenir le truc hyper commercial 20 ans plus tard. Dans un premier temps, on était même plutôt bornés que visionnaires. Mais c’est vrai qu’au début, on avait beaucoup de mal à organiser des événements. D’ailleurs, je fais toujours un clin d’œil au Botanique qui nous a toujours ouvert ses portes avec des premières parties de groupes qui ne nous ressemblaient pas du tout mais ça nous permettait de rencontrer un public qui ne connaissait pas trop cette culture. »
 

Lino Grumiro
J’avais 18 ans quand j’ai découvert la culture hip-hop à New York
et je me suis dit que je ne voulais plus être spectateur
mais acteur de cette culture.


Chez Skinfama, c’est cela aussi qu’on vise d’emblée : travailler en professionnels. Une première soirée organisée en 1996 à l’Ex-Voto, rue des Éperonniers à Bruxelles, rapporte 45.000 francs belges, quelques 1.100 euros, qui vont permettre de presser un vinyle pour King Size, groupe alors hébergé sur le label 9mm et qu’ils manageaient. « C’était ça, notre économie à l’époque, reprend Lino, parce qu’on était aussi étudiants. C’était créer des events, ramener de l’argent avec lequel produire des disques. Sans qu’on s’en rende vraiment compte, ça nous a aussi permis de comprendre les rouages. Du disque, du live, de l’événementiel… »

Nous ? Dans un premier temps, Skinfama, c’est le même Lino et Pitcho, le rappeur du “District 1030” aujourd’hui aussi actif sur la scène théâtrale. Tous deux mettent alors les mains dans le cambouis. « Le rap entretient les clichés, comme je le dis souvent. Mais nous, on a quand même très vite voulu être professionnels. Quand on devait être là à 14h, on était là à 14h. Quand on disait qu’on était six, on arrivait à six. Ça met trop de pression et de stress dans les salles d’avoir des gars qui arrivent 2h en retard, ou qui ont une guest list interminable. Et donc, les gens disaient :Si tu ne connais pas le rap, va avec eux, c’est tranquille, ça va être carré”. Avoir les réflexes des professionnels nous a aidés à monter beaucoup de concerts. » Y compris dans le nord de la France et en Flandre.

Pendant les deux ou trois premières années, Skinfama va fonctionner autour de Lino et Pitcho. « Il m’avait pris comme manager, dit le premier du second, parce qu’il ne voulait pas être juge et partie dans la même équipe. Deux ans plus tard, Greg (Jacqumain, – ndlr) est arrivé, un petit peu comme notre jumeau dans le sens où il a cette passion mais, lui, de la culture reggae. Évidemment, travailler avec des Jamaïcains, c’était très compliqué, encore plus qu’avec des rappeurs, mais 20 ans plus tard, on est plus ou moins les seuls à avoir un catalogue et à proposer du reggae en Belgique. » Et de nous rappeler quelques grands noms auxquels l’équipe a “prêté” ses services, d’Alpha Blondy à Alborosie en passant par Don Carlos et U-Roy.

Spécialisation

Vingt ans plus tard, on aura tout fait, chez Skinfama : management, distribution, promotion, édition… Avant de se rendre compte que chaque branche méritait plus de temps, que c’est à chaque fois un métier à part entière. « On s’est donc arrêtés sur le booking, c’est-à-dire la production de concerts et le placement d’artistes dans les salles et les festivals. Au niveau business, c’est la branche la plus rentable de notre catalogue. Faire du management, c’est ingrat si on n’a pas un gros artiste. Pour l’édition, il faut connaître les synchros… Et on n’était pas prêts à vraiment développer la production de disques. Par contre, être le relais urbain des salles et des festivals, pour y amener des artistes, ça nous tendait les bras ! Il faut se remettre dans l’ambiance de l’époque : on a carrément eu des festivals qui nous disaient être obligés de faire trois ou quatre concerts urbains parce qu’ils voyaient que ça commençait à plaire aux jeunes, nous indiquaient les spots, donnaient des budgets et nous demandaient ce qu’on pouvait leur proposer ! »

Du budget, des cartes blanches… Pour un peu, on dirait que “c’était mieux avant” ! Mais était-ce vraiment la belle époque, celle de débuts ? Réponse : pas forcément ! « On avait quand même moins de spots qu’actuellement. Et donc, au niveau chiffre d’affaires, c’est mieux aujourd’hui. Des débuts, je dirais plutôt que c’était une époque de débrouillardise. Et puis, quand on faisait un concert et qu’il y avait la moindre anicroche, un gars qui ennuyait une fille ou qui voulait s’embrouiller avec un autre, on était tout de suite stigmatisés. On avait l’impression d’être responsables non seulement du concert, mais aussi de l’attitude du public, de l’attitude de l’artiste, de l’attitude de la sécu… Tout ça était assez pesant. Je me souviens d’un concert de Sefyu qu’on avait organisé au Botanique, à l’époque de Prison Break. Dans la série, les gars avaient des brosses à dents taillées en pointe… On avait prévu une fouille supplémentaire à l’entrée du Bota et on a dû récolter 20 brosses à dents “Prison Break” ! »

Professionnalisation

Exit aujourd’hui le stress de l’époque, d’une certaine façon. Notamment depuis l’arrivée dans le “game” d’autres bookeurs urbains. Les programmateurs se sont désormais aussi intéressés au rap, de nouveaux sont arrivés, qui le connaissent mieux : « On est plus en phase avec la réalité, et c’est quand même beaucoup plus gai pour nous de collaborer avec des gens qui connaissent. C’est devenu une culture populaire, on stigmatise moins le public, c’est devenu beaucoup plus ouvert, en termes de genres, de sexes ».

Devenu beaucoup plus professionnel, certes, et avec un beau roster (Dadju, Jul, Green Montana, James Deano, Moji & Sboy, Kenny Arkana, Eddy Ape, Isha, Kery James, Medine, Orelsan, Peet, Souffrance et autre Youssoupha) mais dans un secteur où, désormais, la concurrence existe et peut parfois être rude. Lino Grumiro n’y voit pas beaucoup d’inconvénients, lui qui dit aimer la concurrence quand elle est saine : « Je trouve que ça inspire les gens, Ça nous met en compétition. Après tout, l’essence de la culture hip-hop, ce sont les battles. Mais il faut que ce soit sain. Et quand ce sont des coups dans le dos, on n’aime pas. J’avais 18 ans quand j’ai découvert la culture hip-hop à New York et, à ce moment-là, je me suis dit que je ne voulais plus être spectateur mais acteur, de cette culture. Et à 20 ans, j’ai commencé à organiser des concerts. Aujourd’hui, j’espère qu’avec ce que nous faisons, ça donne des envies à des jeunes de 20 ans… Bien sûr, il y a Back In The Dayz et quelques autres qui font de l’urbain. Mais qu’il y ait d’autres jeunes de 20 ans qui arrivent, ça me ferait plaisir. Parce qu’on va avoir besoin de renouveau. »

Vingt ans plus tard, pas question de juste continuer sur sa lancée. Il faut viser l’évolution, pour Skinfama toujours à cent pour cent indépendant. Tout simplement parce que le métier évolue lui aussi. « On apprécie l’indépendance, bien sûr. Ce n’est pas qu’on refuse de se mettre avec d’autres mais parfois, c’est trop de contraintes et on a des valeurs qu’on ne veut pas travestir. Mais on cherche. On fait aussi du reggae, on fait de l’afro, et si demain il faut développer d’autres genres, on le fera, mais toujours en accord avec nos valeurs. S’il faut un jour s’accorder avec d’autres, on sera toujours ouverts à la discussion. Le marché se globalise à fond, avec les tout gros à l’international comme Live Nation, AEG et William Morris (Endeavor Group Holdings Inc., – ndlr) ou FKP Scorpio en Belgique. Il faut qu’on soit au fait de l’actualité et qu’on s’adapte. C’est notre rôle, à Pitcho, Greg et moi, de pouvoir être des 4x4 et de donner une image qui colle à l’actualité. Aujourd’hui, on est dix au bureau, donc on peut se permettre de s’occuper de cette gestion-là : être au fait de ce qui se passe, et prêts à s’adapter au marché. »

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