LES LEÇONS DE LA PANDÉMIE
Adaptation
Le secteur musical de la Fédération Bruxelles-Wallonie a dû se remettre en question et faire preuve de créativité pour surmonter une crise dont personne ne connaît encore l’issue. Entre craintes légitimes et optimisme mesuré, il aborde une année cruciale pour sa survie.
Mars 2020. Une chape de plomb s’abat sur les milieux culturels après l’annonce d’un lockdown et des premières mesures sanitaires prises pour enrayer la propagation de la Covid-19. Mais qui imagine alors que dix mois plus tard, la situation sera toujours nébuleuse. Et pourtant. Malgré la programmation d’une campagne de vaccination, les questions subsistent. Nombreuses et encore sans réponse. À quelle date les salles de concert pourront-elles fonctionner à plein régime ? Est-ce que nous serons privés pour la deuxième année consécutive d’une saison des festivals ? À quand une tournée européenne indoor d’un artiste américain ? À l’automne prochain ou plus probablement en 2022 ? Pourtant, le secteur musical y croit. Les artistes ne cessent de créer (voir la deuxième partie de dossier qui sera publiée sur larsenmag la semaine prochaine). Parfois précipitées et dispersées dans un premier temps, les initiatives sont davantage concertées. Et les premières leçons de la crise sont tirées dans un esprit qui se veut constructif. Avec déjà un premier constat qui fait l’unanimité. Le deuxième confinement a fait plus de mal que le premier.
Maxime Lhussier - Odessa
Lors du premier confinement, j’ai ressenti beaucoup de solidarité
pour le milieu artistique. Après une légère embellie en été,
tout s’est écroulé.
« Cette deuxième vague a mis un gros coup au moral de toute la population, analyse Maxime Lhussier, directeur d’Odessa, société de booking et de management (Glauque, Great Mountain Fire ou encore Dan San dont il est aussi le bassiste). Il y avait un côté exceptionnel et inédit lors du premier confinement. Du jour au lendemain, tout le monde a dû apprendre à vivre autrement. Personnellement, j’ai ressenti beaucoup de solidarité pour le milieu artistique. De la part du public, des médias, des institutions fédérales et régionales. Il y a eu des petits gestes, des aides, des réactions spontanées. Après une légère embellie en été, tout s’est écroulé et ce fut la douche froide d’autant que le secteur musical n’a reçu aucun soutien financier lors des nouvelles mesures de confinement. De leurs côtés, public et musiciens se sont lassés des outils qui avaient été mis en en place comme les Facebook live ou les happenings de résidence filmée. Ça n’amusait plus personne, la mobilisation était plus difficile. On l’a vu avec le live streaming que nous avons organisé fin novembre au Botanique pour marquer la sortie de l’album Movements de Great Mountain Fire. Nous étions en-dessous du nombre de vues qu’une telle opération aurait suscité lors du premier confinement.»
Énergie perdue ?
Cette politique répétée du “stop and go”, dont la Belgique n’a pas l’exclusivité, a engendré beaucoup de faux espoirs. « Il fallait sans cesse s’adapter à de nouvelles mesures, rappelle Jean-Yves Reumont, porte-parole du festival les Ardentes et de la salle Reflektor dont il est aussi le programmateur musical. Quand le Comité de concertation a lâché la bride en été, nous étions plutôt volontaires. Au Reflektor, nous avons amorcé ce redémarrage à la rentrée en septembre avec des concerts de Condore et de Charles lors de la Fête de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Suite à cette double prestation qui ressemblait un peu à une formule showcase/cabaret, nous avons reçu d’autres propositions. Mais entretemps les “bulles” avaient été restreintes et nous avons préféré tout arrêter bien avant qu’on n’y soit obligé.» Le Reflektor n’avance pas seulement des arguments économiques pour justifier sa décision. « Le Reflektor est une salle qui fonctionne en configuration debout. Les mesures sanitaires, que je ne conteste pas, nous amenaient à réfléchir contre-nature, analyse Fabrice Lamproye, directeur de la salle liégeoise et du festival Les Ardentes. Après quelques tentatives de concerts assis, nous avons pris le parti de ne pas organiser à tout prix des événements qui n’étaient pas en phase avec notre ligne éditoriale. Au final, il y avait plus de frustration que de solution. Cela dit, je reste plein d’empathie pour toutes les initiatives qui ont été prises par les acteurs du secteur musical. On ne peut en vouloir à personne d’avoir essayé de garder le lien avec le public. Je ne dirais pas que c’était contre-productif ou de l’énergie perdue. » Avec des lieux culturels et des disquaires fermés, un été 2020 sans festival et des retards dans les services de livraison à domicile, le public a dû adapter ses comportements en matière de consommation de musique en se focalisant essentiellement sur les outils digitaux. Avec, comme le craignent certains observateurs, cette -fausse- impression que la musique peut s’apprécier sans contrepartie financière. « Les ventes physiques de vinyles et de CD risquent de prendre encore un coup, s’inquiète Maxime Lhussier. Pour les groupes émergents, le format physique est un petit “plus” non négligeable. L’artiste vend des vinyles ou des CD à la sortie des concerts, c’est un achat impulsif qui renforce le lien avec sa communauté. Moralement et financièrement, c’est plus concret qu’un clic sur Spotify ou une vue sur YouTube. Il ne faudrait pas que ce phénomène disparaisse. »
Jean-Yves Reumont - Reflektor
Nous espérons pourvoir recommencer au printemps avec des prestations
d’artistes belges et français que nous avions déjà programmés.
Festivals d’été ?
En revanche, le secteur ne redoute pas une désaffection du public pour les concerts live. « Il y a eu plein d’idées pour pallier le manque de vrais concerts. Et les salles qui se sont équipées pour faire du streaming pourront encore utiliser, voire monnayer, cette nouvelle expertise. Ce n’est pas perdu, souligne Jean-Yves Reumont. Mais d’un autre côté, je n’ai jamais entendu une seule personne me dire: « oh, c’est trop chouette les streaming live ou les concerts assis avec ta bulle, ton masque et ta bière qu’il faut commander deux jours avant par QR Code. Du coup, je ne paierai plus jamais pour me retrouver dans la foule ». Au contraire, le public a bien compris que rien ne remplacera jamais l’expérience d’un vrai concert. Il reviendra dans les salles et en festival dès que ce sera autorisé. Au Reflektor, certains concerts ont été reportés à quatre reprises depuis mars 2020, mais nous recevons très peu de demandes de remboursement, entre 5 et 10% maximum. Les gens y croient et leur ticket leur permet d’y croire. Nous espérons pourvoir recommencer au printemps avec des prestations d’artistes belges et français que nous avions déjà programmés. Pour les nouvelles tournées d’artistes internationaux, il faudra patienter jusqu’à la rentrée. » Pour les festivals d’été, une lueur d’espoir est venue avec l’annonce du programme de vaccination. Mais le temps presse. Créée l’automne dernier, la Fédération des Festivals de Musique Wallonie-Bruxelles a demandé aux décideurs politiques “des signaux clairs” avant la fin du mois de janvier. De Rock Werchter aux Ardentes, en passant par Dour Festival, il n’est pas question de proposer un événement “bradé” avec des capacités réduites, une diminution du nombre de jours et de scènes. Financièrement leur modèle économique s’effondrerait et comment en effet imaginer un Dour Festival sans son camping ou un Graspop sans son Metal Market qui font parties intégrantes de la philosophie de ces événements. « Pour les Ardentes, nous visons la pleine capacité sur notre nouveau site, confirme Fabrice Lamproye. Les clefs, ce sont le vaccin en amont et le testing rapide qui pourra être réalisé à l’entrée du site du festival. Ce sont ces deux paramètres qui vont déterminer si on peut faire les festivals l’été prochain. On reprendra 75% de l’affiche prévue l’année dernière avec de nouvelles têtes d’affiche (Cardi B, Damso, Kendrick Lamar) qui suscitent déjà plein de réactions positives. Nous avions mis en place une procédure de remboursement mais 80% des festivaliers ont gardé leur ticket. Ils nous font confiance. Ça nous fait chaud au cœur et ça nous motive. »
L’union fait la force
Habitués à jouer cavalier seul et à entretenir parfois des relations à couteaux tirés, les acteurs du secteur musical unissent désormais leurs forces. Depuis le début de la pandémie, sont ainsi nées la Fédération des Festivals de Musique Wallonie-Bruxelles (Ardentes, Dour, Nuits Botanique, Francofolies…), la Fédération des Agents et Managements de Belgique (FBMU) et l’’Union des Attaché(e)s de presse indépendant(e)s de la musique (UAPI). « C’est l’un des effets positifs de la crise, se réjouit Maxime Lhussier, membre de la FBMU. En tant qu’agent et musicien, j’ai toujours constaté une guéguerre parfois stupide entre festivals, notamment sur les exclusivités et les cachets. Il y a quelques mois encore, c’était inimaginable que Dour Festival et les Ardentes fassent cause commune. Les gens se parlent aujourd’hui, ils cherchent ensemble des solutions, font pression sur les autorités. Du côté des artistes et des managers, cette mise à l’arrêt a été aussi l’occasion de régulariser certaines situations précaires et statuts hybrides. C’est une bonne chose. »