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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Benni

La couleur des sentiments

Nicolas Alsteen

Élevée entre rivières et forêts, chant choral et vie rurale, Benni marche désormais sur les traces de Julia Jacklin et Phoebe Bridgers. Nouvelle voix de l'indie-folk, l'artiste déroule le fil d'une désillusion sentimentale dans les chansons de Bleeding Colours, un premier EP haut en couleur.

Benni

Au cœur des Ardennes belges, le long d'un petit ruisseau, s'écoule le quotidien de Bêche, un hameau parsemé de chantiers forestiers. C'est ici, dans la province de Luxembourg, non loin de Vielsalm, que Barbara Petitjean a fait connaissance avec les Eagles et la country de Dolly Parton. « C'est ce que mon père écoutait dans son pick-up, retrace-t-elle. C'est un bûcheron, un vrai, avec un petit côté rock'n'roll. Il porte des santiags et manie la hache. C'est grâce à lui que j'ai découvert la musique. Parce que, de base, dans mon coin, il n'y a rien. Le village de mon enfance, c'est notre maison, une ferme, puis des bois à perte de vue. »


« Si mon disque peut réconforter des gens qui traversent une situation comparable à la mienne, ce serait déjà un bel accomplissement »

Sur le chemin qui conduit Barbara à Benni, une "choraline" lui donne accès au chant. « À sept ans, j'ai rejoint l'ensemble vocal de Bêche. J'y suis restée une dizaine d'années. Puis, je suis passée par la case solfège et l'apprentissage de la guitare classique. » Au moment d'entamer ses études supérieures, la musicienne hésite. « J'ai songé au conservatoire mais je ne me sentais pas prête. »

Dans l'incertitude, Benni opte pour l'échappée belle. En septembre 2018, sac sur le dos et rêves plein la tête, elle s'envole pour la Nouvelle-Zélande. « J'avais obtenu un visa de travail pour ramasser des kiwis dans un domaine agricole. Mais j'ai changé mes plans, dès mon arrivée, en apercevant un vieil homme qui jouait de la guitare sur le trottoir. Après l’avoir vu, je suis allée dans un magasin d'instruments et j'ai acheté une guitare acoustique. » Acquisition faite, Benni se poste au coin de la rue, entonne La Vie en rose d'Édith Piaf ou Le Sud de Nino Ferrer afin de charmer les passants. « Les gens étaient hyper généreux. Je ne crois pas que ce soit comme ça en Belgique. En tout cas, là-bas, j'avais fait ma journée en deux heures... » Ménestrel à temps partiel, Benni s'essaie bientôt à ses propres compos, toutes chantées en anglais. « Pendant dix mois, j'ai perfectionné ma pratique de la langue en Nouvelle-Zélande. Cela étant, j'avais déjà un niveau correct à force de mater les versions originales de Vampire Diaries, The Big Bang Theory ou Friends. Je suis une accro des séries. » 

« En écrivant Bleeding Colours, j'avais vraiment l'impression de saigner des couleurs... »

De retour en Belgique, Benni entame un parcours à l'institut SAE. « J'avais des cours de production musicale. J'adorais ça. Malheureusement, le confinement est passé par là... Produire des sons toute seule devant un ordi, au bout d'un temps, c'est déprimant. » Pour se changer les idées, la musicienne s'inscrit au Concours Circuit. « Je n'ai pas gagné mais j'ai obtenu une belle visibilité. Et puis, j’ai appréhendé le métier et compris les rouages du secteur musical. »

L'heure est à présent à Bleeding Colours, un premier disque qui chante l'amour. Pour le meilleur et pour le pire. « Il évoque une rencontre, la passion, les désillusions, une rupture et l'acceptation. Je l'ai d'abord écrit pour moi, à titre thérapeutique. » Conçu dans les pleurs, en écoutant Patrick Watson fredonner Broken, ou en se consolant auprès des refrains mélancoliques de Bon Iver, Bleeding Colours met du baume au cœur. « Si mon disque peut réconforter des gens qui traversent une situation comparable à la mienne, ce serait déjà un bel accomplissement », confie Benni, avant de détailler le sens caché de Bleeding Colours. « J’ai grandi avec la synesthésie. Ce n’est pas une maladie. Juste un phénomène neurologique qui, sans raison, m'amène à associer des couleurs spécifiques à des odeurs, des lettres, des personnes ou des chiffres. Chez moi, par exemple, le un est blanc, le deux est bleu, le trois est orange, et ainsi de suite. Sans le vouloir, j'associe également des couleurs à mes sentiments. En écrivant Bleeding Colours, j'avais vraiment l'impression de saigner des couleurs... » Les blessures multicolores de Benni servent ainsi de fil rouge à l’un des disques les plus lumineux de l’année.