iliona
L’intimité dévoilée
Trois ans après l’excellent Tête Brûlée, la jeune prodige de la pop alternative revient à pas de loup avec un album grandiose, le très attendu what if i break up with u?
«Il n’y a quasiment pas de retouches, je reviens très rarement sur mes textes », me glisse iliona le regard franc, enfin prête à révéler ce sur quoi elle travaille corps et âme depuis presque trois ans. Des morceaux d’âme qui font chavirer les cœurs, nourrissent l’esprit. Une collection de onze titres bruts et libérateurs, concoctés dans l’intimité de sa chambre, à la lueur de l’instinct et de la nuit. Croyez-moi quand je vous le dis : dans chaque mot, dans chaque note, c’est la vérité qui l’emporte.
Le 14 mars prochain, vous dévoilerez votre premier album. Qu’est-ce que ça fait de plonger dans le grand bain?
En vrai, je suis trop contente. Je suis surexcitée, même. On est dans les temps, du coup je peux savourer. C’est assez exceptionnel.
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Les mots crachés, c’est tout à fait ça.
Ce disque, vous le sortez sur votre propre label, Jevousamour. Comment est née cette décision de créer votre propre structure?
Ça a pris beaucoup de temps, ça a aussi participé au fait que j’étais en pause pendant longtemps (…) La transition entre mon ancien label et ma nouvelle structure, ça a été un processus très long, très compliqué. Du coup, je suis encore plus fière de pouvoir sortir mon album sur mon label à moi et je suis super heureuse de l’équipe que j’ai, des personnes qui m’entourent. Je trouve que ça devrait être la norme dans l’industrie de la musique mais c’est une industrie où on ne nous explique pas trop les choses. C’est très opaque, parce que ça arrange tout le monde que ce soit très opaque pour les artistes. Heureusement, ça évolue mais franchement c’est assez dingue, à quel point on est mal informé. La position dans laquelle je suis, j’ai l’impression que ça devrait être la norme mais je me suis vraiment battue pour l’obtenir.
La vulnérabilité des artistes émergent·es, c’est quelque chose dont vous parlez dans 23, le dernier morceau de l’album. Qu’est-ce que vous donneriez comme conseil aux jeunes artistes qui se lancent dans la musique?
Je leur conseillerais de ne rien signer… ou de signer le plus tard possible. Les gens qui ont besoin de nous vont nous faire croire qu’on a besoin d’eux, c’est toujours comme ça que ça se passe, dans tous les métiers, je pense. Et ce n’est pas vrai. Il faut se rendre compte que les labels ont besoin des artistes et que ce ne sera jamais l’inverse. La meilleure chose que j’ai faite de ma petite carrière, c’est d’avoir posé le plus de questions possibles à un avocat. Évidemment, ça coûte de l’argent, j’avais le privilège de pouvoir faire ce genre de démarche. C’est comme si j’avais pris des cours. J’étais tous les jours au téléphone avec lui, j’ai voulu comprendre chaque phrase de chaque contrat que je signais. Maintenant, c’est comme ça que je vois mon travail et je trouve ça primordial.
Vous avez toujours été autodidacte. Cette soif d’autonomie nourrit-elle votre processus de création?
Oui, à fond. J’ai besoin d’être seule pour faire de la bonne musique. Enfin, “bonne musique”, ça ne veut rien dire (rires). Justement, l’une des grosses parties de mon travail, c’est d’arriver à être assez isolée pour être complètement connectée à mes émotions. S’il y a quelqu’un d’autre dans la pièce – ou si je suis dans une autre ville, loin de chez moi – je suis moins en lien direct avec ce que je ressens et ce que j’ai besoin d’exprimer. Dans la pratique, au quotidien, je mets beaucoup d’énergie à être dans les parfaites conditions pour être connectée à ce que je ressens.
En parlant de processus, pouvez-vous me parler des conditions dans lesquelles vous avez réalisé cet album?
J’ai tout fait à Bruxelles. Pendant deux ans, j’étais vraiment enfermée chez moi, à Bruxelles. Je n’avais quasiment plus de réseaux sociaux, j’étais dans ma bulle, le plus possible. Je n’écoutais presque pas de musique non plus ; quand je suis en période de création, j’en écoute vraiment très peu. En gros, je travaillais la nuit, tous les soirs, de 23h à 5h du matin, pendant environ un an et demi. Quand je me levais, je continuais mais j’étais moins dans la création musicale, je réfléchissais plutôt aux clips, ce genre de choses. Et puis dans ce cas-ci comme j’étais en guerre d’avocats, je passais ma journée en guerre d’avocats, et la nuit je faisais mes chansons.
Sur ce disque, vous retracez toutes les étapes d’un deuil. Est-ce que la track list reflète la réalité et la chronologie des événements?
La track list ne reflète pas la chronologie exacte des événements mais ce sont des étapes que j’ai traversées. Le fait d’avoir mis une intro au début du disque et d’avoir terminé par 23, ça m’a permis d’enfermer toute l’histoire dans un début et une fin. Mais concrètement, j’ai écrit tout cet album après une période de rupture : j’avais ma rupture amoureuse, j’avais une rupture professionnelle, j’étais hyper fatiguée des deux années qui venaient de s’écouler. Cet album, il répond à la question what if i break up with you? et reflète toutes mes étapes de reconstruction, de changement d’avis aussi. À certains moments, je dis des trucs qui s’opposent parce qu’en septembre je pensais d’une certaine façon, puis en novembre, quand j’ai écrit une autre chanson, j’avais un peu grandi sur la question. C’est une année qui s’est écoulée de cette façon, où les chansons sont sorties petit à petit. 23, c’est la dernière que j’ai écrite, en conclusion de l’année qui s’était écoulée.
En écoutant votre musique, on se rend vite compte que tout est vrai. Vos textes sont d’une authenticité rare : on dirait presque que vous “crachez” vos mots, sans aucune concession.
Les mots crachés, c’est tout à fait ça (rires). La composition, c’est un processus qui me prend du temps, sur lequel j’adore m’éterniser, un processus que j’adore remettre en question, aussi. C’est vraiment ce que je préfère faire. Mais après, quand il s’agit d’écrire, si je ne suis pas en train de ressentir des émotions fortes, ça ne va pas être très intéressant. Ça ne va pas être bien, et je ne vais certainement pas garder cette matière-là. Si l’impulsion n’est pas de l’émotion, ça ne fonctionne jamais. Les chansons que j’ai décidé de garder et qui sont sur l’album, je les ai écrites à des moments où j’avais vraiment besoin d’écrire. Il n’y a quasiment pas de retouches, je reviens très rarement sur mes textes. Souvent, j’écris d’une traite – ou en quelques jours –, mais toujours sur une période très courte. Même si je ne suis plus d’accord avec ce que j’ai écrit deux semaines plus tôt, je trouve ça très important de faire confiance à l’impulsion que j’ai pu avoir. En me disant qu’à ce moment-là, c’était ce que je ressentais. C’était vraiment le mot d’ordre pendant toute la conception de l’album : je ne me suis mise aucune règle, j’étais là “amuse-toi, fais des structures bizarres, des chansons longues, on s’en fout”. Par contre, je me suis interdit d’écrire un seul mot qui ne reflétait pas la réalité.
C’était un exercice difficile, d’être aussi proche de vous-même?
Oui, c’était difficile. Après la sortie de mes deux EP, je me suis mise à réaliser que des gens écoutaient ma musique, ce qui n’était pas le cas avant. Du coup, j’étais un peu trop “self-aware” et j’ai pris des réflexes d’écriture où je romantisais un peu ce qui se passait. Je mettais de la distance, en fait. Ça m’aidait à rester pudique, à rester dans mon coin. Et ça, je me suis vraiment interdit de le faire parce que je me suis rendu compte que ça ne m’aidait pas à écrire des chansons qui me faisaient du bien. C’était un peu dur de déconstruire ces automatismes, mais une fois que j’ai eu le sentiment d’être isolée, j’ai vraiment écrit l’album en me disant que personne n’allait l’écouter. À partir de ce moment-là, ça a été tout seul !
Se confronter à soi-même – et aux parties plus sombres de son être –, ce n’est pas une mince affaire dans la société contemporaine. Pourquoi une telle soif d’authenticité ? Était-ce une façon pour vous de vous connecter à votre public?
En réalité, ce n’était pas tant pour les gens. J’ai eu une urgence d’authenticité parce que j’avais besoin de faire face : ces ruptures professionnelles et amoureuses me sont tombées dessus à un moment où ça m’a ouvert les yeux, et je pense que c’était un peu comme si d’un coup, je n’avais plus d’autre choix que de faire face. Parce que d’une certaine manière, j’avais touché le fond. Et c’est quand tu touches le fond que ça peut être hyper violent, mais en même temps, c’est à ce moment-là que tu arrêtes de te mentir. Tu arrêtes d’arrondir les angles, tu arrêtes de vivre dans une réalité adoucie. Je suis d’habitude très forte pour faire ça, et cette fois-ci, je ne l’ai pas fait. C’était entre moi et moi, je me le devais. C’était une nécessité intime.
Au niveau des sonorités, votre disque nous emmène vers d’autres sphères, plus alternatives : on n’est plus du tout sur le yéyé ni sur la bedroom pop de vos débuts mais sur un condensé d’influences hybrides, allant du post-punk à la jungle. Cet univers-là, il est plus “iliona”?
C’est trop difficile de répondre à ça (rires) ! À chaque fois que tu sors un projet, tu vas avoir l’impression que c’est toi à 100%. Mais ce qui est sûr, c’est que musicalement, je me suis amusée. J’ai testé plein de trucs. Et le fait que ce soit un processus de création qui soit plus long que celui des EP – j’ai trimballé les chansons pendant trois ans –, ça m’a permis de faire beaucoup de tri. Les chansons de l’album, si elles sont là, c’est qu’elles ont survécu pendant trois ans. Et en trois ans tu changes de goûts, tu découvres de nouvelles choses, etc. Mes chansons, elles ont passé l’épreuve du temps. Ça me permet de me dire qu’elles me ressemblent beaucoup, musicalement, mais je reste consciente que dans deux ans, mes goûts auront changé et que je ferai sans doute autre chose. C’est aussi ça qui est excitant, évidemment. Avec ce disque, j’avais envie de cristalliser des influences actuelles, tout en faisant un truc qui ne va pas trop vieillir, auquel cas je risquerais de ne plus les aimer. Là, je suis quasiment sûre que je vais les aimer longtemps puisque ça fait déjà deux ans que je les ai et que ça va (rires).
Sur cet album – et dans votre travail en général –, il semble que vous laissez une grande place à l’instinct et à l’expérimentation. Qu’est-ce qui vous a motivée à écrire de cette façon?
Pendant les mois où je suis “off” au niveau de la création – et que je suis plutôt en train de faire d’autres trucs – je me nourris énormément. Je regarde des films, j’écoute plein de musique, et au moment où je m’enferme chez moi pour créer, j’ai besoin de couper parce que j’ai l’impression qu’il faut qu’il n’y ait absolument rien dans le chemin. Il ne faut pas qu’il y ait quoi que ce soit qui puisse me distraire ou me faire faire fausse route. J’aime bien me donner l’occasion de digérer tout ce que j’ai écouté les mois avant et aller droit au but, sans même savoir où je vais. Du coup, pendant toute la création de l’album, je ne me suis posé aucune question sur la couleur de l’album. Je n’ai pas eu l’impression de me dire “ah là je vais mettre un piano parce qu’il n’y en a pas eu beaucoup jusqu’ici” ou “là je vais mettre des guitares”, etc. Non. J’ai dû faire 200 chansons en un an et demi – sans aller au bout à chaque fois, évidemment – et j’ai surtout gardé celles qui continuaient de me plaire et celles qui avaient une particularité assez intéressante pour continuer à exister. C’est sans doute la question que je me pose le plus souvent : “Est-ce que j’ai déjà entendu ça quelque part ? Non”. Du coup, ça vaut la peine d’exister. Sinon, je trouve que ça n’a vraiment pas d’intérêt. Et après, c’est le propos : “Est-ce que je suis dans la vérité ? Oui”. Alors, la chanson mérite d’exister.
Quelle est votre chanson préférée, parmi les onze titres de l’album?
Ça change tout le temps mais j’avoue que je suis très attachée à 23. J’ai failli la jeter plusieurs fois. Elle me faisait trop peur, c’est l’une des chansons les plus vulnérables que j’ai écrite. Je suis contente de l’avoir gardée !
Sur 23, on dirait presque que vous avez improvisé sur une prod, guidée par le besoin de vous exprimer. C’était le cas?
C’était le jour de mes 23 ans, le jour de mon anniversaire. J’ai fait une espèce de boucle d’arpèges, je n’avais que ça. J’ai fait un truc archi long, j’ai trouvé ma top line et j’ai commencé à écrire. Je ne pensais pas que ça allait être aussi long, j’ai juste écrit. J’avais tellement de choses à dire, je ne m’y attendais pas. J’ai tout sorti de moi, jusqu’à la dernière goutte, sur cette boucle-là. Après, ça a été un challenge de construire toute la prod autour, parce que tenir 5 minutes, c’était assez compliqué (rires). Mais c’était un beau challenge. C’est une des rares chansons où je me suis adaptée, musicalement, autour du texte.
Une chanson très intime, dans laquelle vous vous confiez notamment sur votre relation avec vos parents. Est-ce que la musique vous permet de mieux communiquer avec vos proches?
Complètement. J’ai vraiment beaucoup de mal à communiquer mes émotions négatives et j’y travaille, mais ça reste difficile. Dans la vraie vie, je m’autorise rarement à être triste, en colère ou contrariée. La musique, c’est le seul endroit où j’arrive à laisser vivre ces morceaux-là de moi.
Heureusement qu’elle existe, la musique!
Mais oui, heureusement ! Je me le dis vraiment, vraiment très souvent (rires).
Ces dernières années, on a pu observer l’apparition d’une nouvelle scène au sein de la pop francophone : celle dirigée par les femmes, qui font de la pop indé, expérimentale, sans concession. Des noms comme Yoa ou encore Miki font surface et prennent de plus en plus de place. Est-ce que vous vous sentez appartenir à cette scène-là?
Complètement. Et ça fait tellement de bien. Je suis trop fière de faire partie de ces noms-là et qu’on me cite parmi elles. J’ai l’impression qu’on est toutes dans la même classe, qu’on est toutes des copines et qu’en même temps, on est toutes différentes. Je me sens en sécurité, en fait. Se sentir faire partie d’un groupe, surtout dans des métiers si solitaires, ça fait un bien fou. Je pense qu’on a toutes un peu ce sentiment-là de savoir qu’on peut toutes compter les unes sur les autres, on n’est pas forcément toutes amies mais rien que le fait de savoir qu’on est collègues et qu’on a toutes le même intérêt, celui de se pousser vers le haut, c’est précieux. Et puis le fait de savoir qu’on a des ennemis communs, aussi. C’est pas la vision qu’on aurait pu avoir il y a dix ou vingt ans, où les labels mettaient les femmes en compétition. Non, là, c’est l’inverse. On a toutes compris que l’ennemi c’était les labels et le patriarcat.
what if i break up with you? est caractérisé comme un album de rupture. En l’écoutant, j’ai plutôt eu l’impression que c’était un album de passage à l’âge adulte.
Ouais, de fou. C’est même plus un album de transition que de rupture. Je suis passée d’un état A à un état B, tout le processus y est. En fin de compte, ça ne parle pas vraiment d’amour. Pas que de ça, en tout cas.
what if I break with u?
Jevousamour