ECHT!
Let's rave!
Véritable tour de force, le troisième album du quatuor bruxellois affirme ses préférences électroniques. Conçu à la sueur du front, sans platine ni machine, Boilerism dépoussière le “dancefloor” avec une longueur d’avance, mais toujours sur le bon tempo. Plus fort que les robots, plus malin que l’intelligence artificielle, ECHT! signe un disque de rave.
Les géants du numérique ont beau faire, ECHT! s’acharne à déjouer les plans de la révolution technologique. Là où les algorithmes reproduisent allégrement les intentions humaines, le groupe bruxellois détourne les rythmes digitaux à la seule force de ses instruments. Déjà à l’œuvre sur les précédents Inwane (2021) et Sink-Along (2023), la méthode atteint cette fois un pic électro-magnétique, dont la magnitude bouleverse les mesures établies sur l’échelle du clubber. L’onde de choc, déjà ressentie en Angleterre et au Mexique, en Inde ou en Turquie, devrait à présent se propager dans le monde entier.
ECHT!
Se compliquer la vie, c’est notre ligne de conduite.
Le titre du nouvel album évoque immanquablement le concept Boiler Room. Est-ce une référence à ces fameux DJ sets diffusés sur le web?
Nous sommes friands de ces sessions. Leur contexte est inspirant, tout comme le spectre musical traversé par le concept qui, d’une fois à l’autre, touche à la techno, à la house, au dub, au garage ou à la drum and bass. Certaines sessions, comme celle du producteur californien Tsuruda, nous semblent incontournables. Mais Boilerism, c’est d’abord un prolongement du verbe “to boil”. Cette idée d’amener à ébullition est centrale. Comme lorsqu’on cuisine des pâtes et que de la vapeur se dégage. C’est la sensation que l’on ressent en pénétrant dans un club sur le coup de 2 heures du matin. Nous voulions ancrer l’album dans la culture clubbing. Cela fait aussi écho à des situations vécues en tournée, notamment en Angleterre. Sortir dans un club à Bristol,
par exemple, c’est éprouver l’ambiance torride d’une soirée électro. L’un des lieux dans lequel nous avons joué s’appelle le Moxy. L’endroit nous a tellement marqués qu’il donne son nom à l’un des nouveaux morceaux.
Pourquoi se réclamer à ce point de l’électro?
Boilerism repose sur des influences drum and bass, techno, breakbeat, trance, house, et même gabber. Nous assumons cette identité électronique. Parce que nous la maîtrisons beaucoup mieux qu’avant. Le nouvel album creuse le sillon des deux premiers mais va plus loin. Nous avons repoussé les limites de notre objectif ultime : restituer manuellement des sons qui, d’ordinaire, sont produits avec des machines. Cette obsession s’accompagne toutefois d’une constante : notre processus créatif commence toujours avec une forme de frustration. À chaque fois que nous composons un morceau, nous aimerions sonner aussi bien – si pas mieux – qu’une machine. Au point de départ, le rendu n’est jamais à la hauteur de nos espérances. Dès lors, nous envisageons des subterfuges et d’autres façons de personnaliser nos compos. À l’arrivée, c’est ce qui fait notre son.
Vous citez souvent Aphex Twin en référence absolue. Quelles sont les autres sources d’inspiration à l’œuvre sur Boilerism?
Nous avons beaucoup écouté tout ce qui peut passer en deuxième partie soirée dans les clubs : des musiques moites et intenses, des sons qui font transpirer. Il est clair qu’Aphex Twin reste un héros. Mais, pour ce disque, notre principale source d’inspiration, c’est le van. En tournée, notre véhicule se mue en salon d’écoute. Chacun arrive avec ses coups de cœur et ses découvertes. Notre
ingé son, Rowan Van Hoef, est un grand mélomane. Il nourrit notre imaginaire avec une multitude de nouvelles références. Lors de la dernière tournée, par exemple, nous avons pas mal écouté Moses Yoofee Trio, Ivy Lab, Simo Cell, Skee Mask,
Squarepusher mais aussi des grands noms du jazz comme Oscar
Peterson, Ahmad Jamal ou Christian McBride.
En parlant de jazz, les médias vous ont souvent présenté comme le fer de lance de la “nouvelle scène jazz bruxelloise”. Cependant, à l’écoute de Boilerism, l’étiquette semble usurpée. N’y aurait-il pas tromperie sur la marchandise?
Le jazz est un espace d’expression mais aussi un lieu d’expérimentation. Dans notre esprit, sa pratique appelle à un dépassement de soi. Comment surmonter ses limites et sortir de sa zone de confort ? En 1968, par exemple, Miles Davis opérait une transition entre sa période acoustique et un nouveau chapitre électrique. Lors des sessions d’enregistrement de Miles in the Sky, il a forcé la main à Herbie Hancock en lui demandant de jouer les accords de guitare sur un Rhodes, un piano électrique qui venait tout juste de voir le jour. Le jazz est, d’abord, une quête sonore. Et Boilerism n’est pas un disque de jazz. En revanche, dès que nous pénétrons dans un studio, nous sommes tous les quatre animés par l’esprit du jazz.
Une scène musicale a émergé dans votre sillage. Des formations comme TUKAN, The Brums ou CIAO KENNEDY sont désormais reconnues en Belgique et à l’étranger. Êtes-vous conscients d’avoir ouvert une brèche pour ces groupes?
Assumer l’éclosion d’une scène, c’est trop pour nous. Une vague artistique n’est jamais l’affaire d’une personne ou d’un seul groupe. En 1995, quand D’Angelo a sorti l’album Brown Sugar, les médias ont annoncé la naissance de la “nu soul”. Mais sur son album, il y avait un titre avec Angie Stone, et d’autres, où la guitare était tenue par Raphael Saadiq qui, lui-même, allait produire des albums pour Joss Stone ou Jill Scott. Tout ça pour dire que, pour se développer, un mouvement doit compter sur plusieurs intervenants. À nos yeux, l’émergence d’autres groupes est une source d’émulation positive. D’autant qu’ils commencent à s’exporter. Quand on sait à quel point il est compliqué de vendre des disques et d’amener des gens dans les salles de concerts, on se réjouit de l’attention accordée à cette scène. Peut-être que dans trente ans, des gens redécouvriront tout ça en se disant que ce qui s’est passé en Belgique en 2025 était complètement fou.
Sur Boilerism, le niveau technique est relevé. À tel point qu’on est en droit de s’interroger : cet album a-t-il réellement été conçu sans assistance informatique?
Tout, absolument tout, est joué par quatre musiciens. Nous utilisons des pédales d’effets, mais aucun ordinateur. Se compliquer la vie, c’est notre ligne de conduite. Un producteur pourrait sans doute créer notre musique, seul, avec un laptop. Mais ce qui nous excite, c’est justement d’aller chercher des sons électroniques avec des instruments qui, sur le fond, ne sont pas faits pour ça. Et puis, il y a une part de romantisme : le désir de former un groupe et d’atteindre un objectif commun. Chez ECHT!, il n’y a pas une personnalité qui dirige les opérations. Nous sommes tous à fond dans le même délire. C’est ce qui nous pousse à effacer les frontières qui séparent l’humain des productions assistées par les machines.
Boilerism
Sdban Ultra
-
ECHT! - HIGHED