Ada Oda
Arriva la fine...
Toujours à la lisière du post-punk et d’un romantisme dérobé à la pop italienne, le groupe bruxellois transcende sa formule magique sur un deuxième album subtilement équilibré. Entre évidences mélodiques, riffs angulaires et refrains protéiformes, Ada Oda élabore sa recette du bonheur: un déluge d’huile d’olive et une patate d’enfer! Ce seront malheureusement les derniers pas (de danse) d'Ada Oda, le groupe vient d'annoncer sa séparation...
Que vous est-il arrivé depuis la sortie du premier album?
Clément Marion: Nous avons joué près de 200 concerts à travers l’Europe et participé à plusieurs vitrines professionnelles : des événements comme Eurosonic, Reeperbahn, MaMA, Trans Musicales, Fifty Lab ou le MENT à Ljubljana. Nous nous sommes également produits au Canada. En mars 2024, nous avons été invités à Austin, au Texas, dans le cadre du festival South by Southwest (SXSW).
Participer à un tel événement, c’est la promesse de jouer aux USA?
César Laloux: Pour tourner là-bas, vu le prix d’un visa de travail, il faut déjà empiler plusieurs dates bien payées. C’est injouable pour un groupe comme le nôtre. À moins d’un incroyable retournement de situation, notre aventure texane restera une parenthèse dorée dans l’histoire d’Ada Oda. Il faut être réaliste. À l’avenir, notre présence sur le marché anglo-saxon passera plutôt par la Grande-Bretagne. Du reste, notre objectif n’est pas d’être à l’affiche du Glastonbury Festival, mais plutôt de continuer sur notre lancée, en renforçant notre présence dans les pays que nous avons déjà visités, comme l’Italie, par exemple.
César Laloux
D’un côté, il y a eu la tournée, source de joies indescriptibles.
D’un autre côté, il y a eu beaucoup d’anxiété au moment
d’écrire ce deuxième album.
À partir du moment où l’italien n’est pas votre langue maternelle, y avait-il de l’appréhension à l’heure de présenter vos chansons en Italie?
CL: Notre première date était programmée à Milan. On avait vraiment les jetons. On ne savait pas du tout comment les gens allaient réagir…
Victoria Barracato: Mon italien est ultra scolaire. On se disait que le public n’allait rien piger, que j’allais me ramasser des cailloux à force d’écorcher les mots. Nos appréhensions sont retombées dès les premières minutes de la prestation…
CL: Les gens chantaient avec nous ! Ils adhéraient complètement à la proposition. Émotionnellement, ça reste le moment le plus intense de notre tournée. Après le concert, plusieurs personnes sont venues nous dire que les paroles étaient excellentes. Nos formulations de phrase sont correctes, mais un peu désuètes. Cela donne un côté exotique à la musique. Tout en empruntant à la culture italienne, nous arrivons avec une formule alternative qui n’existe pas vraiment en Italie.
Votre nouvel album s’appelle Pelle d’Oca. Que signifie ce titre?
CL: Cela veut dire “chair de poule” en italien. La chair de poule, c’est une réaction organique que l’on ressent face à des émotions aussi contradictoires que le plaisir ou la peur. En quelques mois, Ada Oda est passé par ces deux extrêmes. D’un côté, il y a eu la tournée, source de joies indescriptibles. D’un autre côté, il y a eu beaucoup d’anxiété au moment d’écrire ce deuxième album.
La chair de poule illustre parfaitement ce paradoxe entre le bonheur ultime et l’appréhension totale.
L’un des nouveaux morceaux s’intitule Figlia d’Europa. C’est un hymne pro-européen comme le Putain Putain d’Arno?
CL: Non, il s’agit plutôt d’une satire à propos de la “ryanairisation” et de “l’ubérisation” de l’Europe. Aujourd’hui, tout le monde utilise les mêmes transports pour visiter les mêmes villes, en pensant y avoir trouvé une part d’authenticité. Alors qu’à y regarder de plus près, les capitales européennes finissent plus ou moins par se ressembler. Figlia d’Europa, c’est une critique un peu amusée de tout ça.
CM: Tous les pays tendent à l’uniformisation. Nous sommes observateurs et acteurs de cette évolution. Figlia d’Europa ne nous exclut pas de l’équation. Moi, par exemple, je suis toujours le premier à chercher un coffee shop en arrivant dans n’importe quelle ville. Nous participons, toutes et tous, à une hyperculture de masse… Figlia d’Europa est chanté en duo avec un certain Ale Sportelli.
Qui est-ce?
CL: Un monsieur de 63 ans que nous avons rencontré dans un centre culturel communiste en Toscane. Après notre concert, il est venu se présenter. C’est un ingé-son qui possède un studio près de Pise. Il nous a proposé d’enregistrer le nouvel album là-bas. En novembre 2023, nous sommes donc partis à Pise, où nous avons travaillé sur les maquettes du disque. Ale Sportelli nous a prêté sa maison et son studio. Nous avons gardé sa voix sur le morceau Figlia d’Europa. C’est d’autant plus pertinent que sa fille habite à Toulouse. Par la force des choses, il est souvent amené à utiliser les services de Ryanair…
Victoria Barracato
Quoi qu’il arrive, je dois avoir l’air heureuse et en forme.
Il y a quelques semaines, les fans du groupe français L’Impératrice ont appris le départ de la chanteuse Flore Benguigui via un communiqué. Par la suite, celle-ci a révélé que son retrait résultait de pressions sexistes et psychologiques au sein même de sa formation, exclusivement composées de musiciens. La configuration de L’Impératrice est comparable à celle d’Ada Oda…
CL: L’histoire de Flore Benguigui nous a chamboulés. Son récit induit tellement de questions: mettons-nous, consciemment ou pas, Victoria sous pression? Y a-t-il des attitudes nocives dans nos comportements? La communication qui existe entre nous est, sans doute, l’une des clés pour répondre à ces interrogations… Durant l’écriture de l’album, par exemple, Victoria m’a fait remarquer que les paroles du morceau Vecchia Storia étaient bourrées de clichés un peu beauf. Ce n’est pas forcément agréable à entendre mais ça m’a permis d’ouvrir les yeux et d’évoluer dans le bon sens…
VB: Même si je n’écris pas les paroles, les textes d’Ada Oda mélangent nos vécus, nos observations et nos ressentis. Ce n’est pas un point de vue unilatéral. En tant que groupe, nous misons sur la cohésion, tout en nous laissant de l’espace sur scène et en dehors. Mais être la voix du groupe, c’est aussi accepter d’être le centre de l’attention en concert. Quoi qu’il arrive, je dois avoir l’air heureuse et en forme. Cela demande de l’endurance et un mental de fer. Récemment, nous sommes partis au Canada. En arrivant sur place, j’étais malade. Dans n’importe quel autre boulot, ça aurait été un certificat et au lit ! Mais dans la musique, ce n’est pas comme ça… Psychologiquement, c’est compliqué de déclarer forfait quand on a la chance de se produire là-bas. À cet égard, il faut aussi se rendre compte que l’industrie musicale est une broyeuse. Et, pour une chanteuse, c’est une pression supplémentaire au niveau vocal, mental et physique. Ma situation n’est pas comparable à celle de Flore Benguigui mais j’adhère à 100% à ses déclarations. Depuis trois ans, je suis plongée au cœur de l’industrie musicale. Je vois comment ça fonctionne… Le témoignage de Flore Benguigui est un coup de pied dans la fourmilière. C’est un geste fort, qui appelle de gros changements dans la façon de considérer les femmes impliquées dans des projets musicaux.
Ada Oda
Pelle d’Oca
62 Records/La Tempesta Dischi/Lisbon Lux Records