La musique belge et ses frontières
Du 27 janvier au 2 février, le Conseil de la Musique, Court-Circuit, la RTBF, VI.BE, Clubcircuit et la VRT s’associent pour fêter les musiques de notre beau et plat pays à travers la Semaine de la Musique Belge. L’occasion de questionner la porosité de la frontière linguistique et d’évoquer ceux qui jouent à saute-mouton.
Tournée générale. Le nom lui va bien au teint. L’événement mélomane entend célébrer la musique belge avec des concerts organisés de part et d’autre de la frontière linguistique mêlant artistes francophones et néerlandophones. Gros Coeur et Lézard au N9 (Eeklo), Maria Iskariot et Eosine à l’Entrepôt (Arlon), Nicolas Michaux et Bwana au Salon (Silly), Porcelain Id et Pale Grey au Belvédère (Namur), Amatorski et Alex Lesage au Reflektor (Liège) ou encore Briqueville et LETHVM au Rockerill (Charleroi)… Chaque club participant, un par province, organise une soirée composée à 50/50 de talents francophones et flamands. C’est le rendez-vous phare de la Semaine de la Musique Belge inaugurée il y a quatre ans pour mettre en lumière l’étendue, la diversité et la vitalité de notre scène musicale nationale.
Pas toujours évidente à traverser artistiquement parlant, la frontière linguistique est plus ou moins poreuse en fonction des genres musicaux.
Peter Van Rompaye – Muziekpublique
On gagne plus facilement sa vie avec des concerts près de chez soi.
« En musiques du monde, il y a pas mal de passerelles entre les musiciens du nord et du sud du pays, remarque Peter Van Rompaye, directeur artistique et administratif de Muziekpublique. Ce n’est pas très cloisonné. Des artistes francophones et néerlandophones jouent régulièrement ensemble. Bruxelles cristallise ce phénomène et sert souvent de pont. Mais on a aussi la chance d’avoir un programme radio comme Le Monde est un Village animé par Didier Mélon sur La Première. Il permet d’écouter des groupes flamands autant que des projets de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Je ne lui vois pas vraiment d’équivalent en Flandre. On peut trouver des émissions mais pas tous les jours. Une fois par semaine. Et sur Klara, l’équivalent de Musiq3. »
L’asbl Muziekpublique, qui bosse sur les Belgian World Music Awards à l’AB (le 28/1), promeut et défend les musiques traditionnelles de toutes les cultures du monde. Surtout celles qui ont un lien avec les musiques acoustiques, folk, populaires, métissées, classiques, jazz et nu-trad. Elle organise des concerts et des festivals, propose via son académie plus de 50 cours d’instruments et de danse et possède même son label. « Le mélange des communautés est très courant. Tamala repose sur deux musiciens de Flandre et deux Bruxellois. L’accordéoniste Tuur Florizoone joue beaucoup avec Michel Massot. Je pourrais aussi parler de Jawa ou du collectif Auster Loo. Du label Zephyrus à Gand qui travaille beaucoup avec des artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Et Homerecords (homerecords.be, – ndlr) à Liège qui bosse beaucoup avec des néerlandophones. En Belgique, dans les musiques du monde, tu trouves des gens de toutes les couleurs qui ne parlent parfois ni bien le néerlandais ni bien le français. La langue n’est pas très importante. C’est la musique qui parle et qui sert de langage. Ce qui joue, c’est le partage. C’est la qualité. Les gens de la culture ne baignent généralement pas dans les clivages communautaires. Quand tu es artiste, tu veux créer et tu veux montrer ce que tu fais au monde. Peu importe si c’est avec des francophones, des flamands, des Anglais ou des Africains. »
Les habitués de Muziekpublique sont majoritairement bruxellois. Francophones, néerlandophones ou autrophones comme le dit poétiquement le patron. Les profs aussi d’ailleurs. « J’avais peur au début que les gens ne se comprennent pas. Mais dans la musique beaucoup de choses peuvent être montrées. La langue n’est pas la barrière principale. Nous bossons beaucoup avec des artistes qui ne trouvent pas leur place dans le circuit traditionnel. Parfois parce qu’ils n’ont pas de formation classique et ne peuvent pas donner cours ailleurs. Ils sont souvent de très haut niveau. Et on veut qu’ils puissent enseigner, gagner leur vie. Peu importe s’ils ne parlent pas parfaitement anglais, français ou néerlandais. Et pour les élèves, ça ne me semble pas être un problème non plus. »
Muziekpublique est bilingue et travaille pas mal avec le festival Polysons à Huy. L’asbl mène des partenariats avec des lieux culturels des deux côtés de la frontière linguistique et fait partie du Belgian Worldwide Music Network. Une Fédération belge des musiques du monde où se retrouvent des acteurs (artistes, agents, organisateurs et autres professionnel·les) des deux communautés. Un moment de réseautage et de rencontres. « Comme on vit dans un tout petit pays, si tu veux tourner en tant que musicien, tu as intérêt à couvrir les deux côtés. Au moins de commencer par là avant d’essayer de t’exporter. Parce que l’étranger implique d’autres frais. On gagne plus facilement sa vie avec des concerts près de chez soi. »
Barrières culturelles ?
La proximité, c’est aussi un peu, beaucoup, l’histoire de Chiff Chaffs. Groupe de rock’n’roll psychotique composé d’un wallon et de trois flamands, Chiff Chaffs raconte les liens entre Tournai et Courtrai. Le Water Moulin et le Pit’s. « Cela faisait une dizaine d’années qu’on se connaissait, retrace David Willocq. J’ai souvent été dans le tattoo shop de Jan (Deweerdt) à Courtrai et on s’est rendu compte qu’on avait beaucoup de goûts en commun. Alors qu’il montait un groupe et qu’il cherchait un bassiste, il a pensé à moi. J’ai eu beaucoup de projets mais c’est la première fois avec des Flamands. »
David a cependant toujours réussi à jouer de l’autre côté de la frontière linguistique. « Ça, c’est parce qu’on s’inscrit dans le triangle Tournai-Lille-Courtrai. Le Pit’s, ce sont des amis. C’est tout petit. Tu y vas deux fois et c’est la famille. Cet endroit mythique joue vraiment le rôle de tremplin pour les Tournaisiens. C’est une porte vers Gand et Anvers. Je n’ai jamais eu le sentiment d’être lésé et de ne pas assez jouer en Flandre. Je m’y suis même produit dans le milieu des squats qui est encore un plus petit monde. Certes, on fait partie d’une niche, d’une scène rock’n’roll. Mais je n’ai jamais vraiment ressenti de barrière. Pour moi, la barrière, c’est l’Allemagne. Ne serait-ce que Cologne. » Chiffs Chaffs revient tout juste d’une tournée aux États-Unis. Depuis, il a été contacté par de « beaux festivals » et une boîte de booking. « Quand on joue à l’étranger, ça interpelle toujours les gens. “Vous venez du même pays. Pourquoi est-ce que vous vous parlez en anglais ?” On baragouine tous un peu la langue de l’autre mais ça se limite là. Et ça n’empêche rien. Quand je me réveille d’une sieste dans le tour bus ou reviens d’être allé pisser, ils ont switché en néerlandais. Mais c’est une fierté pour nous d’être un groupe belge avec des Wallons et des Flamands dedans. »
Né à Leuven d’un père francophone bruxellois et d’une mère écossaise débarquée dès l’adolescence à Anvers, Frederic Lyenn Jacques a grandi dans un foyer anglophone et francophone avec un réseau social flamand. Il est passé par l’université à Namur et à Liège avant de transiter un an à Anvers et de faire le conservatoire flamand à Bruxelles. « En tant que musicien dans la capitale, le réseau était d’office dans le brassage. Il y avait des Francophones, des Flamands, des Chinois, des Espagnols… La langue n’avait aucune espèce d’importance. J’ai joué avec Clément Nourry (Lillois de Bruxelles), Jean-Philippe De Gheest ou Gil Mortio qui avait fait le conservatoire francophone. Et forcément avec plein de Flamands. J’ai toujours aimé changer de formation. Rendre les concerts uniques. Alors que souvent les programmateurs n’aiment pas trop ça. Ils veulent savoir ce qu’ils vont avoir. »
L’ancien bassiste de Mark Lanegan est accueilli à bras ouverts au Botanique comme à l’Ancienne Belgique. Mais d’expérience, avec son groupe anversois Dans Dans et même son projet solo bruxellois Lyenn, il joue rarement en Wallonie. « Au début, quand j’organisais mes concerts tout seul, je jouais partout. Même à Namur. C’est après, quand tu es structuré par des instances plus gouvernementales, quand entre en ligne de compte la question des subsides, que les choses changent. Pour moi, une fois que l’agent est entré dans l’équation, ça s’est réduit à une seule région. On dit qu’il y a moins d’argent et moins de salles en Wallonie. Mais je pense qu’il y a aussi une question de contact et de réseau. C’est pareil à l’international. Avec Dans Dans, on ne joue pas souvent en France. Alors qu’on a été plein de fois en Allemagne et en Scandinavie. »
Lyenn s’érige contre la caricature du francophone sympa et folklorique et du flamand sérieux et artistique. « Ça ne tient pas trop la route pour moi. Une barrière culturelle ? C’est quoi la culture ? La culture, elle se développe avec ce à quoi on est confrontés. Les Flamands connaissent Brel, Piaf et Gainsbourg. Mais pas Souchon, Voulzy et la variété française d’aujourd’hui. Par contre, ils ont reçu une éducation indie rock avec StuBru, Humo et Knack. Les goûts évoluent en fonction de ce à quoi on est amené à se frotter. D’ailleurs en jazz et en classique, les références sont plus uniformisées. On connaît les mêmes choses. On fait référence aux mêmes artistes. »
Accueil classique
Créé en 1995, Les Muffatti est un orchestre de chambre belge spécialisé dans la musique baroque. « À la base, nous étions tous amateurs et francophones, se souvient la directrice artistique Catherine Meeùs. Au bout de quelques années, les niveaux devenaient très disparates. Je ne m’y retrouvais plus. Je pensais arrêter les frais mais une collaboration avec le flûtiste à bec flamand Peter Van Heyghen a été tellement magique qu’on a eu envie de continuer avec lui. Ça a été une espèce de coup de foudre. Il a accepté à condition qu’on passe des instruments modernes aux instruments anciens. »
Catherine Meeùs – Les Muffatti
La mobilité des musiciens mène à une réflexion
assez épineuse dans le milieu classique.
On fait tous un peu la même chose que d’autres.
À l’époque, on est au tournant des années 2000, il n’y a pas de section musique ancienne au conservatoire francophone. Catherine étudie, comme plusieurs autres Muffatti, au conservatoire flamand. Et alors que des musicien·nes abandonnent le projet, d’autres, parfois néerlandophones, les remplacent. « On se considère vraiment comme un ensemble belge, bruxellois et bicommunautaire.
À l’époque, on faisait des demandes de subsides de part et d’autre de la frontière linguistique. » Depuis que les chemins des Muffatti et de Peter Van Heyghen se sont séparés, l’orchestre est davantage étiqueté francophone. Ce qu’est son bureau directeur. « C’est un peu le hasard de ceux qui ont du temps à lui consacrer. Puis le fait qu’on en soit les fondateurs. Parce que sinon, il y a pratiquement une parité francophone/néerlandophone au sein même de l’ensemble. Depuis que Peter n’est plus là, on joue moins en Flandre. Il représentait une garantie de qualité. Aujourd’hui, on n’a plus vraiment de visage. Plus personne qui nous représente et à qui on peut être identifié. Et c’est volontaire. Ça répond à notre manière de travailler. Beaucoup d’organisateurs nous avaient prévenus. Mais on n’est pas très grands. On veut faire les choses bien et à notre manière. Quand on a bossé avec Bart Jacobs, qui a une bonne réputation au nord du pays, on a retrouvé l’entrée des salles flamandes. Peut-être pas d’aussi grandes qu’avant. Mais des endroits plus intimes et des petites églises. »
Les Muffatti essaient de ratisser le plus large possible mais certains territoires sont plus compliqués que d’autres à travailler. Notamment l’Angleterre, très hermétique, centrée sur ses propres ensembles. « La mobilité des musiciens mène à une réflexion assez épineuse dans le milieu classique. Notamment sur la notion de “valeur ajoutée”. On fait tous un peu la même chose que d’autres. »
Jazz in Belgium…
Changement de style encore. Les Lundis d’Hortense est une association de musicien·nes qui a pour but de diffuser et de promouvoir le jazz belge à travers différents types d’activités : concerts, tournées, plateformes numériques, stages et autres actions ponctuelles… « Les musiciens s’impliquent volontairement et bénévolement, c’est très important pour nous, en fonction de leurs disponibilités à différents moments de leur carrière », explique la chargée de promotion Dana Petre.
Les Lundis d’Hortense sont subventionnés par la Fédération Wallonie-Bruxelles et ont des quotas à respecter dans leur programmation. Mais ils sélectionnent à l’aveugle et essaient de diversifier au maximum le type de musique qu’ils diffusent. « Il est très courant de voir des musiciens flamands dans les groupes francophones. En ce qui concerne nos concerts à Bruxelles, entre septembre et décembre, dans quasi la majorité des groupes, il y a un musicien néerlandophone ou d’origine étrangère résidant sur le sol belge. »
« Je suis musicien professionnel et il y a plein de groupes dans lesquels je joue au sein desquels on retrouve des Flamands et des gens de l’étranger domiciliés ou non en Belgique, poursuit Michel Vrydag, membre du conseil d’administration. La majorité des programmateurs, des labels, des organisateurs et des musiciens sont ouverts. Et le jazz, si on réfléchit à son histoire, c’est une musique métissée par excellence. Avec un vrai bouillonnement. Le jazz, ça va de la musique de la Nouvelle-Orléans à l’électronique, en passant par les standards, le free, le mélange avec le rock et toutes les traditions des musiques du monde. Le jazz rassemble beaucoup de styles et beaucoup de gens. Et Bruxelles est clairement une ville multiculturelle. Tu y trouves de tout. Et tout le monde se côtoie. La Belgique est très petite et les frontières géographiques sont moins humaines que politiques… »
Les groupes sont généralement catégorisés par l’endroit géographique où habite leur porteur de projet. Parfois par le nombre de ses membres habitant en Flandre ou en Wallonie. « Mais l’identité est vraiment multiculturelle. Au niveau du rock, on tombe souvent dans une espèce de contrat de mariage à vie où les musiciens vont jouer ensemble dans un seul groupe pendant toute leur existence. Mais de manière générale, je pense que les gens se rassemblent pour faire de la musique en fonction d’affinités humaines et artistiques plus que linguistiques. C’est en tout cas clairement le cas dans le jazz et les musiques du monde. »
La communication digitale des Lundis d’Hortense se fait dans les trois langues. Les concerts du mercredi attirent toutes les communautés linguistiques. Quant au stage d’initiation et de perfectionnement Jazz au Vert (120 participant·es chaque été), il a l’an dernier attiré 48% de francophones, 28% d’anglophones et 24% de néerlandophones. Pour info, Les Lundis d’Hortense se cachent également derrière le site internet trilingue, gratuit et participatif Jazz in Belgium. On peut y trouver un annuaire des artistes, studios, labels, maisons de disques et managers de jazz belges. Mais aussi un agenda, des news et une documentation partagée.
Le milieu semble particulièrement intégré. Le label Igloo propose souvent des coproductions avec le flamand W.E.R.F. records. Des boîtes de management ont à la fois des managers francophones et néerlandophones et des subsides des deux communautés. Pour 2025, divers partenaires de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FAZZ, WBM) et de la Communauté flamande (JazzLab, VI.BE) collaborent même sur l’organisation des showcases Salut Les Voisins/Jazz bij de Buren. L’idée est de présenter des groupes de chaque communauté à des programmateur·trices et journalistes internationaux et belges dans le cadre du Gaume Jazz et du Leuven Jazz Festival.
Se nourrir des spécificités
« Dans le jazz et les musiques du monde, traditionnelles et fusion, les gens sont amenés à collaborer avec davantage de personnes différentes au cours d’une même carrière, résume Julien Fournier, directeur de Wallonie-Bruxelles Musiques. Et en électronique, une agence comme Culte qui gère Le Motel et Lawrence Le Doux fait aussi beaucoup de “flamand”. Mais dans le hip-hop, même si Zwangere Guy a fait des trucs avec Roméo Elvis et toute cette clique, le reste du secteur ne se mélange pas trop j’ai l’impression. »
Wallonie-Bruxelles Musiques est une agence du service public spécialisée dans le soutien à l’exportation du secteur musical de la Fédération Wallonie-Bruxelles. « Il n’y a pas vraiment de passerelles entre nous et les Flamands à travers WBM. Tout simplement parce que c’est interdit. Comme WBM est censé faire la promo à l’étranger de la musique de la Fédération, la Flandre est le seul trou noir de l’ensemble de notre action. On peut être actifs sur tout sauf la Flandre. Parce que ce n’est ni l’étranger ni la Fédération Wallonie-Bruxelles. »
Cela fait une quinzaine d’années par contre que WBM a créé la marque Belgium Booms avec ses homologues flamands. « On défend la musique belge à l’étranger en organisant des actions ensemble sur les festivals de showcases notamment. Ça nous rend beaucoup plus forts. Parce que ce sont quand même deux marchés différents en termes de public, de salles, d’acteurs, de bookeurs. Nous, en Belgique francophone, on a une relation très intime avec la France. En Flandre, ils sont davantage connectés à l’Allemagne, aux Pays-Bas et à l’Angleterre. Du coup, ça nous permet d’être complémentaires au niveau des réseaux et contacts qu’on se met à disposition. Puis, les genres qui fonctionnent chez l’un ne sont pas ceux qui marchent chez l’autre. Donc, on peut chacun se nourrir de nos spécificités. »
La barrière de la langue se dresse et s’élève forcément quand il s’agit de musique à texte. « Quand tu regardes Belgium Booms, tu as l’impression d’avoir une communauté, reprend Julien Fournier. Des choses similaires au niveau de l’esprit, des sonorités, des intentions. Les gens se connaissent et se fréquentent. Mais quand ils grandissent, évoluent et se spécialisent sur des territoires, ils prennent leurs distances. Chez nous, les plus gros succès de ces derniers temps sont des projets hip-hop. Je ne suis pas sûr que beaucoup de gens savent qui est Hamza du côté flamand. J’ai écouté les présélections des MIA’s. Pommelien Thijs y fait un maxi carton mais personne en Wallonie ne sait qui c’est. Plus on va vers le grand public (c’est ce qu’est devenu le hip-hop aussi), plus on s’écarte les uns des autres. »
Il existe par ailleurs de vraies différences dans la manière dont les subventions sont accordées en Flandre et en Wallonie. « La Flandre a l’habitude de choisir des champions. De sélectionner quelques gagnants. Tous les autres mangent des cailloux. Tandis qu’en Wallonie, historiquement, c’est plus une question de ce qu’on appelle de manière péjorative du saupoudrage. Mais qui permet à beaucoup de types d’expression différentes d’éclore et de pouvoir éventuellement monter sur des scènes internationales. Je parle de soutien aux accompagnants et aux accompagnantes. Labels, agences de booking… Ce fonctionnement permet de faire vivre beaucoup d’expressions différentes au sein du secteur. »
Élitisme contre égalité des chances ? Lorsqu’il s’agit de décider si un groupe est éligible pour des subventions, il faut déterminer son ancrage. Quelle est sa région d’origine et y est-il connu ? « C’est simple quand ils sont basés en Wallonie ou en Flandre. On regarde les adresses et puis c’est réglé. C’est territorial. Mais à Bruxelles, il y a une espèce de jeu très “chelou” dans lequel on doit essayer de comprendre quelle est l’ascendance linguistique de chacun. Or quand tu rentres vraiment dans le système, deviens pro et participes à des appels à projet, ça t’ancre pour le coup vraiment dans une communauté au sein de ton pays. Et ça rend le fait de passer la frontière linguistique plus compliqué. Les diffuseurs, les salles et les festivals ont des incitants (financiers, – ndlr) à programmer des choses de leur propre communauté. » Certains artistes comme Susobrino, natif de Bolivie, ont pu bénéficier d’un transfert… « Il a grandi à Hasselt mais habite à Bruxelles depuis très longtemps. Il n’est ni flamand ni francophone. Il ne parle ni flamand ni français. Il cause anglais et espagnol. Les débouchés à l’international étaient plus intéressants chez nous. Et lui s’en foutait. Il voulait juste développer sa carrière. Mais c’est un cas limite. Tu ne peux pas aller faire du shopping d’un côté et de l’autre une fois que le soutien a été significatif… »