Ticket, mon “cher” ami
Le retour aux affaires d’Oasis annoncé fin août a été accompagné d’une épineuse polémique portant sur le “dynamic pricing” (ou “tarification dynamique”). Pour y voir un peu plus clair, remontons le temps, jusqu’à la fin des années… 60!
Connaissez-vous l’ancêtre de la billetterie électronique ? Lancée en 1969 aux États-Unis, c’est Ticketron qui a été la première entreprise au monde à s’y mettre. Et c’est donc elle qui a ouvert la porte au géant d’aujourd’hui: Ticketmaster.
Adam Webb – FanFair Alliance
La tarification dynamique ne tente pas de résoudre un problème
mais simplement d’en tirer parti.
Arguant, à l’époque, de la sécurité des achats et de la fiabilité de son système, Ticketron avait acquis une importance historique dans le domaine, devenant la pierre angulaire de l’évolution vers la billetterie en ligne. Sauf qu’à la fin des années 80, Ticketron et Ticketmaster sont résolument concurrents et c’est finalement ce dernier qui a pris le dessus sur l’acteur pionnier. Les analystes ont avancé plusieurs raisons au déclin de Ticketron. À commencer par le fait qu’elle était à la base une entreprise informatique qui vendait des billets… tandis que Ticketmaster était, elle, une entreprise de divertissement, qui utilisait des ordinateurs pour vendre des billets. Et puis aussi, et surtout, que Ticketron s’était donné l’image d’un acteur “équitable” sur ce marché, de protecteur des intérêts tant des promoteurs que des acheteurs de billets, en maintenant des frais de service à un niveau peu élevé. Malheureusement, en ce temps-là déjà, cette stratégie n’était plus la bonne dans un secteur du live qui avait radicalement changé de nature. Les grands noms de la musique étaient devenus de plus en plus “gourmands”, demandant à recevoir 85, voire 90%, du bénéfice brut des ventes de billets.
Et en 1991, Ticketmaster finit par racheter Ticketron. Un quart de siècle plus tard, grosso modo, – et on vous passe les détails juridiques comme commerciaux de l’opération –, voilà Ticketron qui vole à nouveau de ses propres ailes, se réinventant “online”. Dans un premier temps via deux sites (ticketron.com et ticketron.us), ainsi qu’en proposant à ses clients des places “premium” et des billets pour des événements qui, autrement, auraient été complets. « La réponse initiale à notre retour en tant que source de confiance pour les billets d’événements dans la communauté en ligne a été extraordinaire, déclarait alors dans la presse Anthony Vicente, directeur général de Ticketron. Nous ne savions pas à quoi nous attendre, ni si beaucoup se souviendraient de l’importance de Ticketron quant à la billetterie événementielle. Notre objectif ultime est de créer un réseau complet, en utilisant toutes les sources de domaines disponibles, ainsi que le dépôt de marques américaines exclusives. »
Aux fans de payer!
Anthony Vicente avait évidemment toutes les raisons de jubiler après cette “renaissance”. Mais il soulignait néanmoins : « La billetterie en ligne a ouvert la porte à de nombreuses entreprises et centres d’appel peu scrupuleux qui prétendent être des sociétés qu’ils ne sont pas… » Pour les contrer, couper le blé sous le pied de ces plateformes de revente (qui majorent leur prix) et des autres acteurs sur le marché noir, certains ont alors avancé que cela relevait des objectifs de la tarification dynamique. Un procédé expérimenté depuis plus de deux ans désormais (à l’heure du “data”, “big” ou “smart”)… et dont on commence également à dénoncer les travers.
Le principe, qui découle de la loi de l’offre et de la demande – ce qui est rare est cher, tout le monde sait ça – est le suivant : plus il y a de demandes de tickets et moins il y a de tickets disponibles, plus le prix du ticket augmente. La technologie permet évidemment d’adapter le prix en temps réel. Jusqu’alors, c’était surtout dans le secteur de l’hôtellerie et des voyages que la tarification dynamique était appliquée. Mais voilà qu’aujourd’hui, elle touche celui du divertissement. Où elle permet de dégager un supplément de bénéfices allant aux artistes, aux salles, aux promoteurs et aux fournisseurs de billets comme par exemple… Ticketmaster.
Divers “dérapages” ont déjà pu être constatés. Et dénoncés. Ainsi par exemple les fans d’Oasis, désireux d’acheter des tickets pour les concerts annoncés par les frangins Gallagher et bloqués dans les files d’attente numériques, ont découvert des prix de vente bien plus élevés que ceux annoncés au départ. Deux, voire trois fois plus élevés parfois ! Les autorités se sont émues et, en Grande-Bretagne, la ministre de la culture Lisa Nandy a assuré vouloir faire la lumière sur cette pratique, ainsi que sur celle de ces mêmes files d’attente. Parce qu’Oasis n’est pas un cas exceptionnel… Il y a deux ans, à l’occasion de la tournée 2023 de Bruce Springsteen, des prix avaient été “adaptés” en fonction des villes dans lesquelles allait avoir lieu le concert, ou encore de l’attrait du public pour certaines dates. Résultat des courses : le prix de certains billets avait déjà scandaleusement grimpé en flèche, jusqu’à… 5.000 dollars !
Et encore une fois, les responsables avaient expliqué, – c’est encore et toujours la justification la plus régulièrement servie aujourd’hui aux critiques –, qu’ils appliquaient cette tarification variable pour éviter la revente en seconde main chez les “scalpers”. Les “scalpers” ? Ce sont des plateformes spécialisées dans la revente et pratiquant des prix majorés, se faisant ainsi une petite fortune au détriment des artistes et de… Ticketmaster/Live Nation.
Mais c’est n’est pas l’avis d’Adam Webb, expert au sein de l’association britannique FanFair Alliance, qui s’exprimait ainsi dans les pages de l’Écho : « La tarification dynamique ne tente pas de résoudre un problème mais simplement d’en tirer parti. Il y a un certain mystère qui entoure tout ce système qui encourage les fans à acheter dans la panique. »
À quand en Belgique?
Les tickets des concerts organisés à l’Atelier Rock de Huy s’acquièrent via UTick. Un “petit”, comparé à Ticketmaster. « Une grosse partie des salles membres de Court-Circuit ont opté pour ce système-là, explique Patrice Saint-Remy, coordinateur à l’Atelier Rock. UTick prend une commission minime sur nos tickets, qui varie un peu selon le mode de paiement : Bancontact, Visa, etc. Quant au pricing dynamique, ils ne le pratiqueront pas. En tout cas, c’est ce qu’ils nous ont annoncé. Personnellement, c’est un système que je ne cautionne absolument pas et que je ne comprends absolument pas non plus. J’estime qu’il rabaisse la culture à un bien de consommation quelconque, comme le pétrole ou n’importe quel produit boursier ! Je ne comprends même pas que les groupes puissent accepter qu’on pratique comme ça. » Et donc, si l’on propose à l’Atelier Rock d’héberger un artiste qui “fonctionne” avec la tarification dynamique, ce sera un « merci bien, mais non ! ».
Pourtant, la tarification dynamique a déjà été appliquée une première fois en Belgique. C’était à l’occasion de la mise en vente des places pour le concert de Beyoncé au stade Roi Baudouin en mai 2023. Conséquence : certains tickets étaient alors partis à près de 600 euros… Tant que les législateurs n’auront pas mis leur nez dans ce marché et ses pratiques, les tarifs ne sont pas près de changer. Eh oui, c’est le capitalisme, ça ! Mais comme le disait, au magazine Forbes, ce grand philosophe qu’est Gene Simmons (du groupe Kiss) : « Si vous ne vendez pas de billets, les prix baissent. Si vous ne voulez pas payer le montant, n’y allez pas ! ».
Qui fixe le prix des billets?
Et opte éventuellement pour la tarification dynamique ? De manière générale, c’est l’organisateur de la tournée, à savoir le promoteur et l’artiste, avait-on répondu chez Ticketmaster UK à l’occasion de la “polémique Oasis”.
En général, effectivement… « Dans 90% des cas, c’est nous qui décidons, nous répond Patrice Saint-Remy de l’Atelier Rock, en fonction du cachet que nous payons, de nos frais, etc.
Il arrive que le prix du ticket nous soit imposé. Ou soit imposé à partir du moment où le cachet est déterminé par rapport au break-even (le moment où la vente devient bénéficiaire, – ndlr). En gros, cela veut dire qu’on a négocié. Par exemple : “On vous donne 2.000 euros garantis et tout ce qui est au-dessus de 150 places est réparti 60/40”. »
Et quid des grosses salles, alors ? « Là, le plus souvent, ce n’est pas la salle qui produit l’événement. C’est souvent le management et donc, c’est une location. C’est alors le promoteur qui décide du prix du ticket. »