De MySpace à TikTok
Les artistes toujours plus proches de leur public?
Le 1er août 2003, une mystérieuse plateforme alliant messagerie et bibliothèque musicale débarque sur le world wide web : MySpace envahit la toile et se hisse comme premier canal d’échange instantané entre les artistes et leur communauté. Deux décennies et un paquet d’avancées technologiques plus tard, Instagram et TikTok regorgent de contenus toujours plus innovants, nombreux et engageants, tels que des réels aux airs de clips ultra-léchés que les artistes postent sans relâche, pour couvrir la moindre de leur actualité. Face à ces évolutions, de nombreuses questions se posent : à quel niveau les artistes indépendant·es sont-iels impliqué·es dans leur stratégie de communication ? L’authenticité y a-t-elle toujours sa place ? L’omniprésence sur les réseaux est-elle obligatoire pour se faire une place au sein de l’industrie ? Réflexions.
L’artiste, chef·fe d’orchestre multi-casquettes
« Avant, les choses étaient bien délimitées. Il y avait des labels, il y avait des artistes qui signaient dans des labels et des personnes compétentes qui s’occupaient de tout. Maintenant, les labels jouent de plus en plus le rôle de distributeurs, ce qui fait que tout le réseau de compétences – de la direction artistique à la communication en passant par le planning des sorties – est entre les mains de l’artiste », explique Valérie Dumont, attachée de presse. Cette montée en flèche du statut d’artiste auto-entrepreneur·euse a offert une nouvelle casquette aux attaché·es de presse, qui, en plus d’assurer la couverture médiatique des artistes, endossent désormais le rôle de conseiller·es – voire de coachs – auprès d’elleux. « La distribution digitale et le live, ce sont les deux axes de l’artiste. Autour de ça, se greffe absolument toute sa communication. D’où le rôle de RP qui arrive bien en amont des sorties (…) Avant, on recevait une matière qui était déjà complètement travaillée, terminée. Maintenant, on doit se mêler de tout pour réussir à travailler avec les artistes, en amont des sorties ou de leur planning de communication », ajoute Valérie.
Coline – Colt
Je pense au rap et aux artistes de la génération qui nous succède,
pour qui la manière de communiquer a énormément changé.
Une identité touche-à-tout et entrepreneuriale, qui gagne du terrain parmi les artistes de la nouvelle génération. C’est notamment le cas de Coline et Antoine, qui, depuis plusieurs années, forment le duo Colt. « Le fait de porter quinze casquettes sur la tête, ça peut plaire à de nombreux artistes comme ça peut être très difficile pour d’autres. Je pense que c’est là qu’on a la chance d’être un duo : moi, j’ai plus pris la casquette comm sur la tête. Antoine, il a plus géré ce qui est arrangements live, etc. On est assez complémentaires et on a réussi à se mettre des charges différentes sur les épaules », souligne Coline. Un avis que partage son acolyte, convaincu que cette identité colle parfaitement à la période dans laquelle on vit : « On est à l’ère de la musique indépendante. Nous, on est distribués par Sony mais on reste indépendants et on a notre propre label. Je pense que c’est quelque chose qui devient de plus en plus courant chez les artistes », ajoute Antoine.
L’importance d’être bien entouré·e
Malgré un goût certain pour le Do It Yourself, le duo s’est, au fil des années, entouré d’une équipe de plus en plus solide. Une démarche indispensable, selon Valérie : « L’artiste a son mot à dire sur tout… et le dernier mot sur tout. Donc ça demande d’être hyper bien équipé pour gérer beaucoup plus d’aspects qu’il ne le faisait avant ».
En plus de travailler avec un manager, un booker et une attachée de presse, Coline et Antoine ont récemment fait appel à une équipe de directrices artistiques, ainsi qu’à une personne de confiance pour prendre en charge la gestion de leurs réseaux sociaux. « On a la chance d’avoir développé le projet au point de pouvoir bosser avec de nouvelles personnes. Donc on commence à se décharger de ce travail-là mais c’est toujours nous qui gardons la main mise sur les publications (…) On a envie de garder les rennes du projet », note Coline.
Les réseaux sociaux, ça passe ou ça casse
Que ce soit Facebook, Instagram ou plus récemment TikTok, les réseaux sociaux ont toujours tenu une place importante dans le projet de Colt. « Il y a une partie de notre contenu qu’on crée pour les réseaux sociaux. Moi, j’aime beaucoup la comm. J’ai fait des études de comm à l’IHECS, j’aime bien l’idée de réfléchir à comment promouvoir un projet », confesse Coline. « Aujourd’hui, c’est ça, la beauté et le drame des réseaux sociaux : le fait que tu t’y connaisses un peu ou pas du tout, ça va vraiment avoir un impact sur la façon dont le projet est perçu et sur le succès du projet (…) On a eu cette chance que ça nous plaise, cette chance d’être très créatifs tous les deux et de vouloir utiliser les réseaux sociaux comme un laboratoire, qui nous ressemblerait, dans lequel on testerait tout un tas de trucs. » Dans ce “tas de trucs”, on retrouve évidemment les fameux réels de reprises en piano-voix, si caractéristiques du duo. « On faisait vraiment du “essai-erreur” et le piano-voix est né comme ça. On a remarqué un truc hyper chouette : plus on prenait du plaisir à faire nos vidéos, plus elles fonctionnaient. Comme si les followers le percevaient », ajoute-t-elle.
L’authenticité, la seule voie possible?
« Le truc assez fou avec les pianos-voix, c’est qu’on avait juste mis un petit extrait d’une cover qu’on avait faite à l’époque et ça a super fort tourné parce que c’est la première fois que je me lâchais vraiment, qu’Antoine jouait comme un bourrin sur son piano, il n’y avait aucun montage. C’est cette authenticité qui a fait que ça a touché les gens et que ça a eu un tel impact », poursuit Coline.
C’est cet échange, cette brèche vers le réel qui aide à la construction d’une relation pérenne entre fans et artistes. C’est en tout cas ce que pense Thomas Van Cottom, l’artiste derrière le projet cabane. « En tant qu’artiste, il faut pouvoir faire des essais, se réinventer tout en étant le plus honnête possible (…) La seule chose que je reproche à certains artistes de ma génération, c’est qu’ils ne comprennent pas le principe d’un réseau social, qui est un réseau d’échanges. Ils ne sont là que dans un principe promotionnel de leur travail. C’est ça qui, pour moi, a tué MySpace », explique Thomas, avant d’ajouter : « Il n’y a pas que l’art qui compte. Il faut qu’on arrête avec cette sacralisation de l’artiste. Les gens aiment autant pouvoir communiquer avec toi qu’écouter ta musique et se rendre compte que tu as un univers qui est différent du leur. Je pense qu’il faut accepter cette chose et y accorder du temps : c’est important d’être sensible à cette question de l’échange ». D’après Coline, l’authenticité est la clé, mais il existe plusieurs façons d’être authentique. « Pour nous, c’est ça qui a marché. C’est cette authenticité et la forte présence sur les réseaux sociaux. Après, il y a plein de contre-exemples : je pense notamment au rap et aux artistes de la génération qui nous succède, pour qui la manière de communiquer a énormément changé. Des artistes comme Luther, par exemple, qui produisent beaucoup moins de contenu, qui sont beaucoup plus dans le secret et le mystère. Ils posent une fois par mois et les fans adorent ça. »
Branding? OK, mais pas n’importe comment
Durant ces entretiens, une question nous vient: à l’ère de la communication digitale – où chaque contenu peut atteindre une viralité folle pour, dès le lendemain, finir à la trappe –, que faire pour concevoir une image de marque pérenne et pertinente? « Il y a le travail artistique, quelle que soit sa valeur, avec l’énergie et la sincérité, puis il y a la question de la commercialisation. Comment est-ce que tu vends ta musique, comment est-ce que tu la défends. Ça, c’est vraiment un autre métier, ça demande d’autres forces et une énergie qui doit être aussi importante que celle mise à la musique », ajoute Thomas. « Les artistes ont souvent l’impression que leur musique est polarisante : soit on aime, soit on déteste. Je pense que la plupart des gens trouvent ça sympa… ou pas sympa. Ce sont ceux-là qu’il faut parvenir à toucher en faisant du contenu », poursuit-il.
Cela dit, Valérie est formelle: le plus important, ça reste le live. « Le fait de jouer et d’être totalement en contact réel avec un public. C’est vraiment-là que la différence se fait: si un artiste qui a des centaines de milliers de vues sur TikTok ne peut pas remplir une salle de 50 personnes dans son quartier, c’est qu’il y a un problème. C’est qu’on n’est plus du tout en phase avec la réalité. Ce qui compte, c’est de faire de la musique, de faire du live, et d’avoir un public réel qui se déplace et qui vient te voir. Tout le reste se dissout aussi vite qu’il n’arrive sur les réseaux », conclut-elle