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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Musique de salon

Des concerts très particuliers!

Louise Hermant

Les concerts organisés à domicile semblent s’imposer de plus en plus dans le paysage musical belge. Une expérience intimiste que le public et les artistes recherchent.

ROZA dans le salon de la rue des Glaïeuls

Retour en 2014, rue des Glaïeuls à Uccle. Une passionnée de musique avide de découvertes et de rencontres convie régulièrement ses proches à des événements dans sa demeure. Ses connaissances viennent y donner des petits concerts. Le concept plaît et finit par rassembler de plus en plus de monde. Jusqu’au moment où la maison est vendue. Mais la fête est loin d’être finie. Cindy Aguado tient à continuer l’initiative et se lance le défi d’investir d’autres salons. Le “Glaïeuls Paradise”, récemment rebaptisé “Glaïeuls”, vient tout juste de fêter ses dix ans. Et s’impose aujourd’hui comme une vraie organisation de concerts et un lieu de diffusion à part entière dans le paysage musical belge.


Cindy Aguado - Glaïeuls
On a du sens. On a un public.
On ne doit pas toujours remplir 200 places pour exister.
On est une vraie proposition.


La structure fonctionne avec un réseau d’hôtes, qui vont accueillir tour à tour des concerts dans leur lieu de vie. Pour transformer son salon en salle, il faut disposer d’au moins 50m2 pour permettre l’installation du bar, de la scène et du public, avoir des voisins tolérants, vivre à Bruxelles dans un endroit accessible en transports en commun et surtout, l’envie de s’impliquer dans ce projet. Dix soirées sont organisées chaque année. Cette saison, on pourra retrouver Mia Lena, Floèmee, Leila Lachterman, Louise Barreau ou encore Vliegwerk dans un cadre ultra-restreint, entre 40 et 60 personnes, et une ambiance intimiste.

En une décennie d’activités, Glaïeuls est parvenue à se structurer, mobiliser une grande communauté autour du projet, monter une équipe de bénévoles réguliers pour gérer la déco, le bar, l’accueil et les réseaux sociaux et proposer un accueil professionnel aux artistes (un cachet fixe, un contrat, un repas, un ingé son). Ces concerts peuvent désormais compter sur davantage de soutien de la part des pouvoirs publics. Un « positionnement significatif » pour Cindy Aguado, coordinatrice et programmatrice du projet. Pour elle, cela démontre une meilleure considération des « petits lieux » comme Glaïeuls. « Souvent, on nous dit qu’on ne rentre pas dans les cases. »

Ces dix ans sont également l’occasion d’entamer une réflexion plus large sur le statut de ces petits lieux, qu’ils soient fixes ou itinérants. Mi-octobre, avant le grand concert de célébration de l’anniversaire de Glaïeuls avec RIVE en tête d’affiche, une conférence a été organisée pour rassembler divers organisateurs, ouvrir la discussion et envisager une fédération et davantage de mutualisations. « On a parfois l’impression d’être un peu perdu dans ce vaste monde de la musique. De ne pas compter avec nos événements avec 50 personnes quand on se compare aux grandes dates du Botanique. Mais on a du sens. On a un public. On ne doit pas toujours remplir 200 places pour exister. On est une vraie proposition. »

Pour la programmatrice, l’organisation de petites tournées dans ces endroits au public plus modeste pourrait être imaginée. « Ça peut faire sens pour un artiste de booker plusieurs dates dans de petits lieux pour présenter un EP par exemple et voir comment ça prend. Là, les petits lieux peuvent intervenir mais pour ça, il faut les connaître. Il faut de la visibilité », assure Cindy Aguado. Pour elle, il existe également une fausse croyance du côté des petits lieux de vouloir se freiner au niveau de la programmation, de se limiter à certains artistes. « On a une grande possibilité de diffusion aussi. Il faut oser passer cette barrière. »

Un silence absolu

Ces concerts peuvent être un tremplin pour les artistes émergents et une sorte de laboratoire. « Lors de son passage, ROZA a par exemple testé un nouvel instrument qu’elle n’avait jamais joué sur scène, en plus de ses nouveaux morceaux ». Dans cet environnement particulier, les barrières traditionnelles tombent. Le lien avec le public se montre plus direct, immédiat, frontal. Ce qui peut être déconcertant pour certains artistes. Le guitariste Antoine Armedan, lui, apprécie cette connexion instantanée. Depuis 2020, l’auteur-compositeur se déplace dans toute la Wallonie et dans la capitale pour donner des concerts à domicile.

Les intéressés peuvent soumettre une demande via un formulaire disponible sur son site internet. « J’aime jouer dans des lieux qui ne sont a priori pas faits pour accueillir de la musique », soutient-il. Lors de son premier concert de ce type, le musicien se rappelle s’être demandé ce qu’il devait faire et où regarder. « Au départ, c’est un peu impressionnant. Dans des salles comme le Cirque Royal, le son va très fort, j’ai souvent des oreillettes in-ear, donc je suis plus coupé du public. Dans un festival, il y a un brouhaha ambiant, les gens discutent. Dans ces concerts, c’est en général le silence absolu. Dès qu’on met une note à côté ou qu’un mot est mal prononcé, ça s’entend très fort et c’est impossible à cacher. Il y a un côté très challengeant mais j’aime beaucoup cette proximité. »

Un lieu de rencontres

Une proximité qui dépasse souvent le cadre du concert. Les moments d’échanges avant et après apparaissent tout aussi importants. « Je suis toujours invité à manger et boire avec les spectateurs après le concert, raconte Antoine Armedan. D’habitude, le catering se fait dans les loges avec le reste de l’équipe. Ici, il y a un vrai partage avec l’habitant. On rencontre sa famille, ses amis. Il nous montre sa maison. » Une façon, aussi, de fidéliser le public. Celui-ci va avoir tendance à se montrer plus attentif au projet par la suite.

Les concerts chez l’habitant sont loin d’être un concept récent. Les Aralunaires proposent une dizaine d’événements de ce type lors de chaque édition de leur festival depuis 2010. Pour les organisateurs, ces concerts privés sont même devenus « leur marque de fabrique ». Lors de la dernière édition, Uwase et Bleuroise se sont notamment pliées à l’exercice. À travers son festival Living Room Music, l’ASBL Muziekpublique investit différents quartiers de la capitale et propose différents concerts d’un salon à l’autre. Mais depuis le Covid, ces concerts très intimistes semblent susciter davantage d’intérêt, comme le souligne la fondatrice de Glaïeuls. « Avant le Covid, les gens trouvaient ça intéressant et différent. Mais je ne sentais pas un besoin de leur part de venir me trouver pour partager leurs ressentis. C’est désormais le cas. Certains me disent qu’ils préfèrent ce genre d’événements à un festival, des plus grandes salles ou des bars, où tu n’as pas cette même qualité d’attention. »

Une observation partagée par Antoine Armedan. « J’ai l’impression qu’on est dans une période où les gens vont se déplacer pour de très gros événements ou des petits événements. Les gens veulent vivre une expérience. Cela peut se faire dans une grande salle, avec la foule, de gros moyens niveau son et lumière. Ils aiment aussi l’inverse, un artiste super proche du public avec lequel on peut vivre une expérience plus intime et personnelle. »

Sortir des murs

Du côté de Leuze-en-Hainaut, des concerts et spectacles à domicile étoffent également la programmation du centre culturel depuis 2020. Une manière de proposer aux habitants une offre culturelle plus près de chez eux. « On est situé entre deux grands centres culturels, Ath et Tournai, qui ont de grosses salles. Ce n’est pas notre cas, on n’est pas trop équipé. Le public qui veut aller voir des spectacles doit se déplacer », assure la directrice, Katheline Toumpsin. Selon elle, le contexte de ces événements importe souvent plus que la proposition artistique. « Les gens viennent faire des rencontres, découvrir un lieu. Ils ne viennent pas juste “consommer” de la musique ou du théâtre. Ils ne savent parfois pas du tout ce qu’ils viennent voir. »

Malgré le succès de ces événements à l’ambiance insolite, le centre culturel réfléchit à une proposition hors des murs. « Ici, on reste chez l’habitant, dans le domaine du privé, même si le lieu est rendu accessible le temps d’une soirée. Mais on ne peut se rendre que dans les plus grandes maisons pour accueillir tout le monde. Et donc chez une certaine catégorie sociale, regrette Katheline Toumpsin. Être dans un salon, c’est très chouette mais je crois 
que c’est important de ne pas être que chez des particuliers. » Pour cette même raison, Glaïeuls organise de plus en plus de concerts 
extra-muros, dans différents quartiers de la capitale. « On veut sortir le salon à l’extérieur et être encore plus proche des habitants. »