Fred Maréchal
De Lessines au Botanique
Approche collaborative avec son équipe, billet unique “all access”, nouveaux festivals, amélioration de l’accessibilité pour le public non bruxellois… Un an et demi après son entrée en fonction comme directeur général du Botanique, Frédéric “Fred” Maréchal a imposé un leadership à son image, plein de bons sens et de roots. Portrait.
Vendredi 4 octobre 2024 au Botanique, à Bruxelles. Il est 18h30. Les vétérans grunge de Mudhoney terminent leur soundcheck à l’Orangerie alors qu’à une trentaine de mètres de là, Uniform, la formation noisy de New York, teste l’acoustique de la Rotonde en prévision d’un show qui s’annonce tout aussi fiévreux. Une soirée comme tant d’autres pour l’équipe du centre culturel de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui compte 61 personnes. Une journée comme tant d’autres pour Frédéric Maréchal, nommé directeur général en mars 2023 pour un mandat de 5 ans. “Fred”, comme tout le monde l’appelle ici, a quitté son bureau et arpente les couloirs des serres. Il discute avec l’agent belge de Mudhoney, règle un dernier problème avec Pascale Bertolini, attachée de presse des lieux, discute avec le responsable de la sécurité. Tout le monde se tutoie. Chacun sait ce qu’il doit faire et ce n’est pas l’enthousiasme qui manque. Après avoir avalé un curry au catering, il passera d’une salle à l’autre pour s’imprégner de l’ambiance et goûter aux plaisirs de l’instant présent. À l’ultime rappel de Mudhoney, on le croisera encore devant les portes de l’Orangerie, un paquet de flyers à la main qu’il distribuera aux spectateurs.
Fred Maréchal
Il n’y avait que le Botanique qui pouvait
me convaincre de quitter Lessines.
Le Plan Maréchal
Le jury chargé d’examiner les candidat·es à la succession de Paul-Henri Wauters, l’ancien directeur des lieux qui profite désormais de sa retraite, ont pris leur décision à l’unanimité. Frédéric Maréchal, présentait un CV en béton. Il a organisé ses premiers concerts lorsqu’il était étudiant en Langues et Lettres à l’UCL, à Louvain-la-Neuve. Après avoir enseigné la littérature, le virus de la musique a pris définitivement le dessus. Création de l’asbl Court-Circuit en 1992, lancement du Boogie Town Festival deux ans plus tard, directeur du Centre Culturel René Magritte, à Lessines, en 2004, où il a créé le Roots & Roses Festival en 2010. C’est du solide. « Le conseil d’administration du Botanique m’a dit que je cochais beaucoup de cases, commente-t-il modestement. Je ne sais pas si ça a joué dans leur choix mais j’avais expliqué dans ma lettre de motivation qu’il n’y avait que le Botanique qui pourrait me convaincre de quitter Lessines. »
S’il est né à La Louvière en 1966, c’est effectivement à Lessines, au bord de la Dendre, que s’est construit humainement et professionnellement ce fils de boucher. « Pour le Roots & Roses Festival, je suis parti de rien. Il n’y avait que de l’herbe et des bonnes volontés. Du coup, tout ce que tu entreprends, c’est forcément mieux. Il n’y a aucun point de comparaison. Le Botanique est, par contre, une référence absolue, tant en Fédération Wallonie-Bruxelles qu’à l’échelon international. C’est un cinq étoiles. Sous l’impulsion de mon prédécesseur et de l’équipe toujours en place, le Botanique s’est imposé comme le lieu de toutes les excellences au niveau des musiques actuelles et des arts plastiques. Quand on reprend la direction générale d’une telle institution, il faut savoir rester humble, ne pas vouloir tout chambouler, ne pas stagner non plus et donner progressivement de nouvelles orientations. »
La «Fred touch»
Le 13 mars dernier, lors de la conférence de presse de la 31e édition des Nuits Botanique, la première sous «l’ère Maréchal», les observateurs avaient déjà pu sentir le souffle du changement, dans la sobriété, avec un “Fred” laissant passer le micro à tous les membres de sa team. « Je suis comme ça. » Une question de personnalité, sans doute, mais pas seulement. « Avant de diriger une équipe, il faut s’y intégrer et voir comment elle fonctionne. J’ai d’excellents collègues et, pour certains projets dont il faut assurer la pérennité, ils ont autant, voire plus de légitimité que moi, pour en parler. » Un exemple ? « Le bureau de programmation du Bota est composé de trois personnes : Olivier Vanhalst, Thomas Konings et moi-même. Soit trois programmateurs issus de générations différentes, avec des profils différents et des sensibilités musicales différentes. Nous proposons pas loin de 1.000 lives par an. Chaque note de musique qui est diffusée au Botanique est le résultat d’un choix de l’équipe. Toutes nos décisions sont collégiales. Il me semble donc logique de donner un visage tricéphale quand on présente nos concerts aux médias. »
Nouveaux défis
Alors que les chantiers sont plus que jamais d’actualité (après les Serres, c’est la Rotonde et puis l’Orangerie qui vont être transformées), le Botanique garde sa ligne éditoriale mais innove, tant dans sa manière de mettre en lumière ses activités que dans son organisation pratique. Longtemps souhaité par le public, le principe du ticket unique est enfin devenu une réalité. Validée par les spectateurs, la journée «All Access», des Nuits Botanique 2024 a marqué les esprits. Pour un ticket unique (38,50 euros en prévente), il était possible de voir vingt-cinq concerts occupant les quatre scènes du festival de midi à très tard dans la nuit. Soit un vrai festival dans le festival. Cette édition avait aussi gagné le pari de faire cohabiter musique et arts plastiques. « Le galop d’essai ayant été concluant, le principe du ticket unique donnant accès à tous les concerts d’une même journée sera généralisé pour l’édition 2025 des Nuits, qui se déroulera du 15 au 25 mai sur une scène extérieure en plein air (plus de chapiteau donc, – ndlr) et deux scènes intérieures », se réjouit-il.
Un regard extra-bruxellois
Mais le Bota a déjà frappé très fort cet automne en créant deux nouveaux festivals. Programmées lors du week-end de Toussaint (du 1er au 3 novembre), Les Nuits Weekender ont défendu les mêmes valeurs que les Nuits (exigence, découverte, émergence, audace, éclectisme). Plus roots («and roses…»), le Tough Enough Festival (29 et 30 novembre) mettra, pour sa part, en lumière les musiques organiques et authentiques trouvant leur fondement dans le blues. « L’offre artistique et les attentes du public évoluent et nous en tenons compte. Les gens ont pris la bonne habitude de passer deux à trois heures en soirée chez nous, à l’occasion d’un concert précis dans une salle. Nous souhaitons désormais les accueillir à l’occasion d’événements d’un type nouveau, qui s’étendent sur un week-end, dans toutes les salles et sur plusieurs heures… Les Nuits Weekender s’inscrivent dans cette démarche avec une même esthétique que les Nuits. Le Tough Enough, par contre, est plus un festival de genre dans lequel mon expertise me permet d’apporter un regard nouveau. Nous espérons attirer une autre communauté. Nous sommes aussi très attentifs à la scène metal qui est en pleine évolution. Il y avait déjà une programmation metal avant mon arrivée et je ne compte pas la freiner. »
Le nouveau directeur a aussi apporté son regard « de provincial ». Une bonne chose dans des institutions culturelles bruxello-bruxelloises qui pensent trop souvent, et à tort, que leur public se déplace exclusivement à vélo ou via le réseau de la Stib. « Avant d’être directeur du Botanique, je suis un grand consommateur de concerts. Vivant en province, et dépendant donc du train ou de la voiture pour me rendre dans les lieux culturels de Bruxelles, je sais qu’un concert qui peut débuter trente minutes plus tôt et donc se terminer trente minutes plus tôt, suffit parfois à me convaincre de me déplacer. Et qu’un horaire plus tardif va me décourager. On a réfléchi à la mobilité et au côté pratique. Nous venons d’établir un deal avec la SNCB : celui qui vient en train pour assister à un concert a une réduction de 50% sur son trajet. Nous avons également signé un accord avec un parking à deux minutes à pied du Botanique qui propose un forfait à 5 euros pour la soirée. Il y a un parking vélo devant la salle et le dimanche, jour très «difficile» pour déplacer le public, tous nos concerts vont débuter à 18h30. » “Fred” ne nous le dit pas mais il avait déjà trouvé une autre alternative : il y a un lit dans son bureau au cas où…