Benoît Mernier
Une vie bien en orgues
Il publie un disque consacré à l’orgue baroque allemand, achève une pièce symphonique pour l’OPRL et s’attaque à un nouvel opéra pour l’ORW. Organiste et compositeur, Benoît Mernier fête ses 60 ans avec un agenda toujours aussi chargé. Rencontre avec un infatigable de la partition.
Ses racines plongent dans cette province qui, dans les années 1980, revendiquait “une ardeur d’avance”. Ce qui explique sans doute, sous un vernis de réelle modestie, le bouillonnement incessant qui anime Benoît Mernier. En tant qu’interprète, où il s’est révélé l’un de nos grands organistes. En tant qu’enseignant au Conservatoire de Bruxelles, où il épanche sa soif de transmission. Et en tant que compositeur bien sûr, avec une pléiade d’œuvres, de récompenses et de succès.
Comment est née votre passion pour l’orgue?
Âgé d’une dizaine d’années, j’ai assisté à la construction d’un orgue dans l’église où se rendaient mes parents. L’organiste local exécutait de très belles pièces. J’ai tout de suite été fasciné par cet instrument. J’ai aussi eu la chance de rencontrer à Bastogne, ma ville natale, l’organiste Firmin Decerf, avec qui j’ai étudié durant mon adolescence. Il m’a ouvert les portes de la création car il improvisait très souvent. J’ai eu l’impression que cet aspect créatif était quelque chose de naturel. Avec l’innocence de la jeunesse, je me suis mis à improviser et à créer, alors que je ne connaissais pratiquement rien du répertoire et des compositeurs pour orgue…
Benoît Mernier
Seul le public décide du succès d’une œuvre.
Vos études au Conservatoire de Liège vous ont conforté dans cette voie?
J’y ai vécu des rencontres déterminantes. Avec l’organiste Jean Ferrard, j’ai découvert les pratiques historiquement informées. J’ai ensuite terminé ma formation avec un autre très grand organiste, Jean Boyer. Mais Liège, c’était surtout la pédagogie de l’ouverture et de la transversalité. Il y avait de la musique ancienne, de la musique électronique, des cours d’improvisation collective… La cantine était un lieu où l’on refaisait le monde. J’ai évidemment croisé la route de Claude Ledoux, Henri Pousseur, Bernard Foccroulle…
Sans oublier Philippe Boesmans…
Évidemment. C’est lui qui, un jour, à la cantine justement, m’a abordé, moi le grand timide. On lui avait dit que je composais et il voulait m’entendre. Suite à ses encouragements, j’ai composé ma première pièce d’ensemble. Elle a été interprétée notamment par Jean-Paul Dessy, Michel Massot et Fabrizio Cassol, sous la direction de Patrick Davin, qui étaient alors tous étudiants. Une émulation incroyable.
Boesmans, dont vous avez achevé à sa demande, avant son décès, l’opéra On purge bébé, vous a-t-il particulièrement marqué?
À l’évidence. Il a été important pour moi car il connaissait les exigences de la création, avec tout ce que cela suppose de solitude et de doute. Son enseignement était empreint de son expérience, qu’il transmettait tout en douceur. Son soutien psychologique, très subtil, nous permettait de dépasser nos craintes.
À quelles sources s’abreuve votre imaginaire musical?
Elles sont multiples. La littérature, la peinture et la musique bien sûr… Un jour, je peux me passionner pour Schumann, Brahms ou Wagner. Et le lendemain pour Monteverdi. Quand j’écoute une œuvre, c’est comme si elle était la seule à exister dans l’humanité. Je me l’approprie. J’ai ainsi récemment écouté la 5e de Mahler par des étudiants du Conservatoire de Bruxelles et j’ai vraiment eu le sentiment de l’entendre comme si c’était la première et la dernière fois. Sans nostalgie, avec une forme d’urgence, mais dans le calme. Lorsque j’écoute une pièce, elle m’est complètement nécessaire. Mais cela ne vire jamais au fétichisme ! (rires, – ndlr)
Benoît Mernier
J’ai toujours eu du mal avec l’abstraction.
Votre actualité discographique chez Cypres rend hommage à l’orgue baroque allemand, avec Buxtehude, Bruhns et Bach. Un socle essentiel à tout organiste?
Sans aucun doute car c’est un répertoire extrêmement nourrissant. Mais j’évolue. Il y a 20 ans, j’étais plutôt dans une phase d’observation. En tant qu’interprète, c’est comme si j’étais aux premières loges face au répertoire, essayant de comprendre comment il fonctionne. À présent, je suis davantage au stade de l’étonnement renouvelé et du ravissement. Ce qui a aussi été décisif pour ce disque, c’était de pouvoir l’enregistrer sur le nouvel orgue de l’église Saint-Loup, à Namur. Cet instrument à la croisée de l’Allemagne du Nord et de l’Allemagne centrale est une magnifique réussite de la Manufacture Thomas.
Sur le plan de la composition, est-il exact que vous achevez en ce moment un diptyque symphonique pour l’OPRL?
Je concrétise un projet entamé en 2019 avec la création pour Ars Musica de ma pièce instrumentale Comme d’autres esprits. Elle a été jouée par l’OPRL sous la direction de Gergely Madaras, qui l’avait appréciée et dès lors suggéré de lui donner une suite. Elle s’appellera Sur un ciel immense et est dédiée à la mémoire de Philippe Boesmans. Elle sera créée par l’OPRL à Liège le 17 janvier 2025 et le lendemain à Bozar.
Autre projet en cours, un nouvel opéra autour de Bartleby, la célèbre nouvelle de Melville. Vous levez un coin du voile?
Il s’agit d’une commande de l’Opéra Royal de Wallonie, programmée pour 2026. Son nouveau directeur, Stefano Pace, voulait une création contemporaine d’importance. J’ai eu carte blanche et je pourrai m’appuyer sur les chœurs et l’orchestre au complet. Ce sera pour moi l’occasion de retrouver à la mise en scène Vincent Boussard, avec qui la collaboration avait été idéale lors de mon premier opéra, Frühlings Erwachen, créé à la Monnaie en 2007. Je souhaitais vraiment retravailler avec lui. Quant au livret, il sera signé par le très talentueux Sylvain Fort, qui a réussi le pari d’adapter cette étonnante nouvelle.
Le succès de vos œuvres doit beaucoup à leur accessibilité. La preuve que la musique dite “contemporaine” a un bel avenir si on ne l’emballe pas dans un intellectualisme dissonant à l’excès?
Difficile pour moi d’en parler ! Mais j’avoue que j’ai toujours eu du mal avec l’abstraction. Quand je compose, je dois être en phase avec ce que j’ai envie d’être. Je ne pense pas que le public apprécie un concept pour lui-même mais je crois en revanche qu’il éprouve avant tout le besoin de ressentir. Cela dit, si une œuvre doit toucher, ce n’est pas le compositeur mais seul le public qui décide de son succès !
Benoît Mernier
Bach Buxtehude Bruhns
Cypres