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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Eosine

L'effet wow

Didier Stiers

Ça bouge (et dans tous les sens du terme) du côté des Liégeois. Un nouveau single sorti début septembre, intitulé Digitaline, annonçait d’une certaine manière l’EP délivré le 27 septembre (Liminal).  Peut-être avant un premier album? 

C’est en fait à une toute nouvelle version de Digitaline qu’on devait s’attendre. Ce titre issu de l’EP Coralline sorti en 2023 est restitué de manière beaucoup plus live. « Beaucoup plus rapide, dixit Elena Lacroix, la chanteuse et guitariste du groupe. Un truc très impactant, dans la lignée de ce qu’on fait maintenant. » Ceux qui ont vu le groupe en formule “power trio” à l’Absolutely Free Festival le 3 août dernier ont déjà une petite idée de ce dont il retourne…

Entre la finale du Concours Circuit en décembre 2022 et ce concert à l’Absolutely Free Festival, le son d’Eosine semble avoir pas mal évolué. Une surprise, quand on en est resté à cette étiquette “shoegaze” qu’on vous a collée d’emblée?
Elena Lacroix : En live, on s’est rendu compte qu’il y avait vraiment une émulation entre le public et nous. Et qu’en fait, on prenait très, très vite de la distance par rapport à ce qu’on avait enregistré. Alors oui, à l’époque, on se disait qu’on allait essayer de garder “une marge de sécurité” pour ne pas que le studio soit plus énergique que les live. Sauf qu’en fait, en live, comme on a beaucoup joué l’année passée, on a évolué beaucoup plus vite que prévu. Et donc, l’énergie du disque nous a très vite paru ténue. Ici, sur Digitaline, on a mis le paquet, pour être vraiment comme on l’a vu quand on l’a enregistré tous ensemble, pour essayer de capturer la même énergie, tout en sachant qu’avec la stimulation du live, on va encore aller techniquement plus fort. L’idée est en tout cas de ne plus mettre de marge, délibérément.

En même temps, les circonstances sont parfois différentes. À Dour l’an dernier, vous déclenchiez un circle pit au bout de cinq minutes, et au Bluebird, vous jouiez devant une rangée d’enfants sagement assis par terre…
C’est pour ça que je dis que ce qu’on va donner en studio n’égalera jamais notre énergie en live. Parce que justement, il y a cette interaction et on est super sensibles à ça. Après, on a aussi fait les Jeunesses Musicales, donc on a l’habitude de jouer devant des jeunes. Là, on pourrait se dire qu’on va faire attention, parce que ce sont des gens qui n’ont pas l’habitude de tels concerts ou qui ont des oreilles sensibles, et que donc il faut jouer moins fort. Ce n’est pas du tout ce qu’on fait. On essaie vraiment d’être fidèles à nous-mêmes. C’est une question d’authenticité et puis on ne sait pas faire autrement vu qu’on ne joue pas du tout un rôle. On est super naturels. Quel que soit le public, on essaie quand même d’être sérieux. Alors oui, à l’époque, on nous présentait encore comme un groupe de dream pop. Et donc forcément, il y avait des gens qui n’étaient pas spécialement habitués au noise rock qui venaient nous voir. Mais aujourd’hui, je crois qu’on a de moins en moins cette réputation-là. On se décrit plus comme un groupe de shoegaze, d’art rock – “art”, pas “hard” – et, oui, peut-être même “noisy”.

Dernière minute

En termes d’envies et d’évolution, où en est Eosine en cette rentrée 2024?
Le Concours Circuit, ça commence à être loin. On pensait que c’était l’année passée qu’on devait vraiment mettre le paquet pour passer au niveau supérieur, au niveau pro, un peu international. Mais en fait, c’est maintenant que ça se passe, qu’on a l’impression que l’effort doit être fourni. Et c’est vraiment flippant parce que là, on veut exister par nous-mêmes et non plus parce que nous avons gagné ce Concours Circuit ou du fait d’être un nouveau groupe. Donc on réfléchit énormément. On a une petite période pendant laquelle on n’a pas beaucoup de concerts, donc on travaille vraiment sur un set live très construit qu’on va présenter lors des shows de release. On restructure pas mal. C’est vraiment de la réflexion et on essaie de mettre toutes les cartes de notre côté. Là, par exemple, je vais arrêter mes études de médecine pour me consacrer pleinement à ça. C’est assez flippant, mais aussi hyper excitant d’enfin pouvoir nous-mêmes construire le truc qu’on a envie de construire.

Y compris en vous produisant en “power trio”?
On a été prévenus la veille, pour le concert de l’Absolutely Free ! Benjamin (Benjamin Franssen, batterie, – ndlr) et moi, on était au Micro et on nous a appelés en urgence. Du coup, on est rentrés en urgence aussi et comme il nous manquait un membre, on a enregistré toutes les basses pendant la nuit. Le lendemain, on est arrivés sur place : « Bon, ben voilà, on est trois mais il y a les basses dans les séquences. Moi je fais comme ça ! ». Évidemment, c’est beaucoup, beaucoup de travail, beaucoup de remises en question. Mais ce qui est sûr, c’est que ça nous permet de conscientiser pas mal de choses. Déjà que le coeur du projet, c’est la cohésion entre Benjamin et moi. Et sinon, oui, on est dispo quel que soit le line-up, on a super envie de jouer et ça, c’est un truc qu’on a appris aussi.

Un vrai groupe

Émotionnellement parlant, comment vivez-vous ce contexte ? Car à la base, Eosine, c’est votre projet!
Et ça l’est toujours dans le sens où je signe les compos à cent pour cent. Ce qui va sortir de ça, c’est l’album prévu pour 2025. Mais ce qui est partagé se trouve dans l’émulation, dans ce qui se passe sur scène, dans la cohésion. Je suis quelqu’un d’assez sensible et donc, devoir me rouvrir à chaque fois à une nouvelle personne, pour l’intégrer dans quelque chose de super intime comme ça, est parfois un peu compliqué. Mais en même temps, ça me fait réaliser que j’ai besoin d’être entourée de personnes en qui j’ai entière confiance. Tout ça, tous ces changements de “line up” et ces expériences un peu compliquées, un peu urgentes, nous font nous rendre compte d’énormément de choses. Du fait que c’est un groupe, non un projet solo, et surtout qu’on a vraiment besoin de pouvoir compter les uns sur les autres. Ça va nous renforcer, c’est sûr, mais oui, émotionnellement, ce n’est pas simple.

Il n’y a pas qu’Eosine: vous chantez aussi dans une chorale, dans Oootoko, le super groupe monté par Damien Chierici, vous chantez également avec Lethum, vous évoluez en solo avec Tokyo Witch : comment tous ces projets se nourrissent-ils les uns les autres?
Avec la chorale, j’ai appris tout ce qui est harmonies vocales, des trucs très, très dissonants, histoire de ne pas tomber dans le côté “je fais des tierces, je fais des quintes”. Lethum, ça m’a fait découvrir toute la scène metal, toute la scène doom et même post-hardcore que j’écoute énormément maintenant. Oootoko, ce sont les arrangements de cordes, les accords de jazz, les trucs un peu world. Tout ça, forcément, ça inspire. Quant à Tokyo Witch et Eosine… Il y a des morceaux dont je ne sais pas pour quel projet ils sont destinés. Oui, c’est de plus en plus consanguin ! Mais Damien va peut-être venir enregistrer pour Eosine. Au-delà de l’inspiration, ça crée des contacts et ça suscite des collaborations.

Il y aura donc du violon sur le futur album d’Eosine?
Oui ! Ça va être chouette, plein de couleurs, avec beaucoup, beaucoup de production. Et ça va être plus travaillé que le reste, tout en étant très impactant. Parce que ce sont des morceaux qu’on joue en live, qu’on a l’habitude de jouer et qui sont très, très viscéraux. J’ai trop hâte !


Eosine
Liminal (EP)
Mayway Records