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par le Conseil de la Musique

Youssef Swatt's

"Nouvelle" Star

Nicolas Capart

Récent lauréat du concours Nouvelle École sur Netflix, le rappeur tournaisien Youssef Swatt’s jouit enfin de toute l’attention qu’il mérite. Si aujourd’hui il sourit et entend profiter de cette chance pour concrétiser ses envies, le tourbillon médiatique qui l’entoure ne lui fera pas perdre la tête. Retour sur ses déjà 10 ans de carrière, son sacre cathodique et sa soudaine notoriété.

La vie est parfois bizarre. Et on imagine à peine la tempête d’émotions qui a traversé sa tête ces dernières semaines. Le 21 juillet, Aya Nakamura, SCH et SDM, jurés VIP du show Nouvelle École produit par Netflix, déclarent Youssef Swatt’s grand vainqueur de la 3e saison. Un sacre qu’on n’avait pas forcément vu venir malgré la montée en puissance du Belge de 26 ans au fil des primes, tant son rap ne cadrait pas d’emblée avec les standards très modernes de l’émission. Pourtant, encore une fois, sa plume fait mouche. Après trois albums et une décennie de carrière faite de hauts et de bas, Youssef Swatt’s s’offre enfin un coup d’éclat. Et rarement lauriers auront été aussi mérités.

Comment commence l’histoire?
Youssef Swatt’s : Je suis né à Tournai le 8 février 1998 et c’est là que j’ai grandi. Ma grand-mère y résidait et on l’a rejointe à notre arrivée. Ma mère était femme au foyer, mon père chauffeur de bus – il l’est toujours. Avant moi, mes parents vivaient en Algérie. Je suis le premier de leurs enfants à voir le jour en Belgique. Deux de mes frères et sœurs sont nés là-bas, moi presque. Mais j’ai les deux nationalités et je suis attaché aux deux pays. Une grande partie de ma vie est en Algérie, j’y retourne régulièrement.
 

Youssef Swatt’s
L’objectif, c’est d’enregistrer un maximum de nouveaux morceaux
et de sortir un EP en automne.


Vous ne manquez jamais une occasion de rappeler que vous venez de Tournai. Pourquoi?

J’ai toujours adoré Tournai. D’abord parce que c’est une ville à taille humaine. Très vite, tu connais tout le monde, à chaque sortie tu revois un peu les mêmes têtes, il y règne une ambiance de grand village. Ce que j’aime à Tournai, ce sont surtout les gens, ma famille, mes amis… Aujourd’hui, je n’y suis plus beaucoup et quand j’y retourne, c’est pour les voir. C’est là aussi que j’ai commencé à faire de la musique. Avec une sorte de complexe, l’impression qu’en venant d’une petite ville, ça allait être plus compliqué, qu’il faudrait davantage batailler. Avec le recul, je réalise que ça a été l’inverse. Comme il ne se passait pas beaucoup de trucs artistiquement à Tournai, tout le monde m’a donné de la force. Bien plus que si j’étais un énième rappeur qui tente de percer à Bruxelles ou à Paris. Les gens étaient contents qu’un gars du coin émerge et tente d’accomplir quelque chose. Pour moi c’était une fierté.

Il y a les rappeurs du fond de la classe et ceux du premier rang… Pour vous, c’était comment l’école?
L’école, ça s’est très bien passé, j’aimais beaucoup ça. Et j’étais plutôt dans la “team” premier de classe. Je galérais un peu en maths et en sciences, par contre j’étais bon en français. J’ai eu la chance de tomber sur les bons professeurs, dans les bons établissements. Mes maternelles dans une petite école communale du quartier du Maroc, mes primaires à l’École communale de la Justice en ville, puis mes secondaires à l’Athénée Jules Bara, au Collège Notre-Dame et pour finir à la Sainte-Union de Kain, en option éducateur. J’ai vraiment aimé cette dernière année. Parce qu’on avait une relation d’égal à égal avec les enseignants, qui n’essayaient pas de nous infantiliser. À partir de là, c’est gagné avec moi.

Éducateur, c’est un boulot que vous envisagiez de faire à l’époque?
Totalement et j’y pense encore. J’ai toujours aimé le milieu de l’animation. J’ai été chef scout, j’ai encadré plein d’enfants, et j’étais moi-même issu d’une famille nombreuse, donc il y avait toujours du monde à occuper. Quand je me suis inscrit en option éducateur, c’était plus par curiosité que par vocation. Mais je me suis vraiment découvert une passion pour 
le job. D’abord grâce à des professeurs qui m’en ont donné le goût, ensuite car il y avait beaucoup de stages : j’ai bossé dans une maison d’enfants placés par le juge, avec des personnes en situation de handicap, puis en maison de retraite… Et j’ai a-do-ré chacune de ces expériences. Là, il y a la musique mais avant ça je bossais dans la com’, ce sont des métiers qui correspondent à une période de ma vie: tu es jeune, tout le temps en mouvement, toujours en train de bouillonner… Mais un jour, j’aurai envie de me poser et je me vois bien éducateur jusqu’à la retraite.

Avant de devenir Youssef Swatt’s, vous étiez Petit Youssef, prodige du rap dès douze ans. Comment est venue la musique?
Ma grande sœur, l’aînée, m’a éduqué aux mots. Elle m’a appris à lire très jeune et n’a cessé de me mettre des bouquins dans les mains. Mon grand frère lui m’a éduqué au hip-hop. À six ans, j’étais déjà un énorme fan de rap ! Mes albums préférés, c’étaient ceux de Sinik, Youssoupha, Keny Arkana, Sniper, Soprano… Le premier que je me suis acheté tout seul au Free Record Shop – je devais avoir sept ans et j’avais reçu un peu d’argent pour la fête de l’Aïd –, c’était un disque de Tupac. Ces artistes, je les voyais avec mes yeux d’enfant, c’étaient des modèles, je rêvais d’être comme eux. Mes potes voulaient tous devenir footballeur ou acteur. Moi c’était le rap.

Et l’écriture?
Quand j’ai eu 12 ans, mon prof de français m’a pris sous son aile et encouragé à écrire. De la poésie, des nouvelles et même un petit roman à l’époque, une histoire de pirates sur une centaine de pages. Clairement un plagiat de Pirates des Caraïbes qui m’avait “matrixé” à l’époque. (…) Je suis parti en vacances avec ma mère récemment. On ressassait des souvenirs et elle m’a rappelé que, tout petit, je lui avais dit « plus tard, je veux aussi raconter des histoires ». Que, chaque soir, elle venait à mon chevet m’en raconter avant le dodo mais que, très vite, les rôles s’étaient inversés et que c’est elle qui m’écoutait. Donc j’ai très vite compris le pouvoir incroyable des mots.

Puis, vous passez des histoires de pirates aux punchlines.
C’est avec mon meilleur ami que je rappe pour la première fois. Un jour, j’entends parler d’ateliers d’écriture organisés par la Maison des jeunes Port’Ouverte à Tournai et je m’inscris. Avec l’aide d’un des éducateurs, je pose mes premiers trucs. Puis, à 13 ans, je participe à un “open mic’”, encouragé par mon frère. Avec que des gars de dix ans de plus que moi ! Vient l’âge des sorties, je commence à traîner dehors avec mes potes… Et mon seul objectif est de rapper tout le temps. Partout, j’emportais mon enceinte bluetooth, des prods, mon texte de 3 minutes, et je kickais. Parfois quinze fois le même freestyle sur une soirée ! Dès que j’avais écho d’un “open mic’”, que ce soit à Liège ou à Charleroi, je disais à mes parents que je dormais chez mon pote Léo et on y allait. S’il fallait frauder le train, puis dormir à la gare ou dans une cage d’escaliers, on le faisait.

Quel a été le déclic?
À Tournai on me connaissait, il y avait déjà eu quelques articles, un reportage de la télé locale, les gens me partageaient sur les réseaux… Mais ce qui a vraiment fait la différence, c’est quand DéparOne m’a repéré et invité à faire un freestyle pour sa chaîne Give Me 5. La vidéo a buzzé, en mode “le petit gars de 14 ans qui rappe comme les grands”… Et de là, les événements se sont très vite enchaînés. Premier EP à 15 ans, puis première petite tournée, plein de rencontres d’artistes bien plus connus que moi, des freestyles tous azimuts. Ensuite, deuxième EP, déménagement à Bruxelles et premier album : Vers l’infini et au-delà (2017). Avant d’entamer mes études en communication. La musique, ça se passait bien. Bien sûr, je n’en vivais pas, mais j’ai joué au Dour Festival, eu quelques dates en Suisse, fait un peu de promo… J’étais heureux, j’avais l’impression d’avoir accompli quelque chose. En parallèle, je poursuivais mon cursus et j’ai atterri un peu in extremis dans l’agence Nonante Cinq pour un stage, où je me suis bien plus. Finalement, je ne suis plus jamais retourné à l’école, et j’ai commencé à y travailler.

Qu’est-ce que vous retirez de cette expérience professionnelle dans la com’?
Bosser chez Nonante Cinq a été un gros “game changer” pour moi. C’est le moment où je commence à avoir un vrai cadre dans ma vie, des collègues, une routine, et à kiffer ce que je fais. J’étais chef de projet mais je touchais à tout, que ce soit des campagnes de presse, des spots de pub, l’organisation d’événement ou tout autre idée pour satisfaire nos clients. Je suis arrivé au bon moment et j’ai vu l’agence grandir peu à peu. Aujourd’hui, je n’y suis plus mais ça reste la famille. J’y ai appris à mieux communiquer et c’est précieux pour un artiste. D’ailleurs c’est toujours Nonante Cinq qui gère les RP de mon projet Youssef Swatt’s. Avec tarif préférentiel bien sûr, je me suis fait moi-même le devis avant de partir ! Écrire des punchlines, c’est un peu comme inventer un slogan, il s’agit toujours de jouer avec les mots. Au final, les rappeurs sont un peu des publicitaires.

Depuis Nouvelle École, les projecteurs sont sur vous et soudain les sollicitations pleuvent. Pourtant, vous êtes là… depuis 10 ans.
Peu importe l’heure à laquelle tu crois en moi, si tu as envie de me donner de la force, je prends, c’est cool. Une actu comme Nouvelle École, forcément ça change la donne, alors j’accueille tout ce qu’on me donne et ça me convient très bien. Depuis mes débuts, j’ai eu le soutien des médias. D’autant que je ne suis pas blasé, je me contente vite de ce que j’ai. Certes, parfois c’est bien d’avoir la dalle, mais c’est bien aussi d’être reconnaissant et de profiter. J’essaie toujours de m’émerveiller des petites choses, c’est ma philosophie. Sinon, la vie est triste… C’est ce qui m’a permis de ne pas baisser les bras.

Jamais vous n’avez envisagé de laisser tomber?
Il y a eu des moments de découragement. Après mon 3e album (Pour que les étoiles brillent, 2022), j’ai eu une phase difficile. J’avais des soucis avec mon ancien label – qui a tout bonnement fait faillite à la sortie du disque –, j’étais dans la merde financièrement et professionnellement, ça faisait dix ans que je mettais mon énergie dans la musique. Il n’y avait pas de “momentum”, les gens ne m’attendaient plus vraiment. Mais ce n’était pas encore mon moment. Avec tout ce qui m’arrive maintenant, je m’en rends compte. Si j’avais fait Nouvelle École il y a quelques années, je n’aurais pas été prêt. Et je ne parle pas de maturité mais vraiment de compétences. Aujourd’hui, après cinq ans d’expérience en agence, avoir managé des artistes, construit des stratégies, discuté avec des maisons de disques, parlé avec les médias, en connaissant les contrats et tout le business de l’intérieur, j’ai l’impression d’être diplômé et prêt à percer.

Comment vous vous retrouvez dans le casting de Netflix?
En 2022, j’ai reçu un message d’une casteuse de Netflix pour faire la saison 2 mais j’ai refusé. Primo, parce qu’à l’époque la première n’avait pas encore été diffusée et que je ne savais pas à quoi le programme ressemblait. Secundo car je sentais clairement que ce que j’avais à proposer artistiquement n’était pas dans les codes d’une telle émission. Pour moi, il y avait une incohérence. Je n’en réalisais pas encore le potentiel de promotion et d’exposition. En 2023, je suis en vacances chez mon cousin à Montréal et un pote m’envoie un message où il commence à m’insulter… Pendant de longues minutes, le gars me remonte les bretelles et me met un gros coup de pression : « Je viens de regarder la 2e saison de Nouvelle École, y’en n’a pas un qui est plus chaud que mon pote ! Tu aurais dû le faire, à un moment faut que tu penses à toi, que tu te donnes les moyens ! ». Il avait raison. Du coup, j’envoie direct un texto à la personne qui m’avait casté. Elle me répond qu’elle bosse toujours pour Nouvelle École mais qu’ils envoient les noms des candidats de la saison 3 à Netflix le lendemain matin et que si je veux passer le casting c’est tout de suite. Elle m’a envoyé un lien et je l’ai fait. Ça s’est joué à 24h. Deux mois après, ils m’ont rappelé.

Durant les enregistrements, il y a eu des moments où vous vous êtes demandé « qu’est-ce que je fais là »?
Je me suis dit ça deux fois : le jour de mon arrivée et le soir de la finale. (…) Après, j’essayais de pas trop cogiter, je savais pourquoi j’étais là et pourquoi j’avais accepté de le faire. Pas pour gagner mais juste pour avoir l’opportunité de rapper face caméra, de déposer mon CV et puis “ciao”. Mais peu à peu, je me suis pris au jeu. Le tournage a duré un mois et demi, c’est passé super vite. J’abordais les épreuves individuellement. Jusqu’à cette finale où je me tire une balle dans le pied en écrivant mon titre (Générique de Fin, – ndlr) avant même de monter sur scène. Je partais perdant, j’en étais convaincu et je voulais me barrer avec style, à la 8Miles. Mais le moment venu, face à ma famille et à mes proches qui s’étaient déplacés, je m’en suis voulu. Ma mère me voyait sur scène pour la première fois, et j’allais perdre… Pourquoi je n’étais pas capable de faire un hit ?! Toute la journée, j’étais mal luné jusqu’au moment de prester. Puis le public a kiffé, le jury a validé. Et j’ai gagné.

Comment gérez-vous cette nouvelle notoriété?
C’est sûr qu’il y a un vrai changement. Sur les réseaux évidemment, mais surtout dans la vraie vie. Et jusque-là, ça se passe très bien. Je ressens beaucoup de bienveillance. Personne ne m’a manqué de respect, jamais ça ne m’a saoulé, au contraire j’adore ça. Les seules fois où ça peut s’avérer un peu compliqué, c’est quand tu sors avec des potes, que tu es tranquille en famille… ou devant l’urinoir. Tu as toujours envie de préserver tes proches. J’ai une anecdote à ce propos. Récemment, j’ai emmené ma mère quelques jours à Amsterdam pour la régaler. Sur le conseil d’un pote, je portais une casquette mais des touristes m’ont reconnu en mode « C’est le gars de Nouvelle École ? ». Comme j’étais avec ma mère, je n’ai pas relevé et j’ai continué de marcher. Mais c’est elle qui leur a répondu « Oui, oui, c’est bien lui » avant de se tourner vers moi : « Youssef, viens faire une photo ! ».

Et maintenant, quelle est la suite?
J’enchaîne beaucoup de concerts en ce moment. Des festivals, une tournée à la rentrée qui passera par la Suisse, la France, la Belgique et se terminera avec trois dates très importantes pour moi : à l’AB, à la Cigale et au Bataclan. En parallèle, j’essaie de prendre un peu de temps pour moi et j’utilise le reste pour me retrouver aussi souvent que possible en studio. L’objectif, c’est d’enregistrer un maximum de nouveaux morceaux et de sortir un EP aux alentours de l’automne. Une sorte de carte de visite, histoire de battre le fer tant qu’il est encore chaud et de donner du son au gens qui sont en attente… Mais j’essaie de ne pas me mettre trop de pression. J’ai besoin de m’imprégner de tout ce qui se passe pour savoir où je vais… et avancer.