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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Le FUSE

30 ans au service de la techno

Didier Zacharie

Le temple belge de la techno fête ses 30 ans : 30 ans au service de la techno… mais il est toujours menacé de fermeture !

S’il y a une institution belge au niveau des musiques électroniques, c’est bien le Fuse. Le club du quartier des Marolles à Bruxelles fête en grande pompe ses trente ans avec une tournée internationale. Le Fuse sort de ses murs pour investir, notamment, la Fabric à Londres, le Razzmatazz à Barcelone ou encore Amsterdam pour une fête de 66 heures, « ce qui en fera la plus longue fête jamais réalisée », dit Steven Van Belle, directeur du club depuis 2020. « L’idée, c’est de développer le Fuse en tant que marque internationale ».

Mais derrière les festivités, la crainte perdure. Car le Fuse pourrait bien fêter son ultime anniversaire dans les Marolles. En cause, les normes de nuisance sonores de la région bruxelloise.

Menacé de fermeture

Rappel des faits. En janvier 2023, suite à une plainte d’un voisin, Bruxelles-Environnement obligeait le club à diffuser de la musique à 95 dB maximum jusqu’à deux heures du matin au plus tard. « Impossible d’ouvrir un club dans ces conditions ». Deux semaines plus tard, un semblant d’accord est trouvé : le Fuse peut rouvrir deux soirées par semaine… En contrepartie, il promet de quitter les lieux dans les deux ans.

Deux mois plus tard, le Collège de l’environnement annule pourtant la décision de Bruxelles-Environnement pour vice de procédure. Retour au point de départ. Le Fuse peut fonctionner… tant qu’une autre plainte n’est pas déposée. Or, c’est ce qui s’est passé ces derniers mois. « Un couple de Français a acheté un immeuble adjacent, dit Steven Van Belle. Ils n’y habitent même pas, ils font des rénovations, mais ils ont déjà déposé plainte. C’est typique de la gentrification. Des gens achètent une maison à côté d’un club et essaie de le faire fermer pour maximiser leurs profits ».

Tel est le cœur du problème : le Fuse n’est pas protégé car il n’est pas considéré comme un lieu culturel. Le problème avait été soulevé durant la pandémie, il est en pleine lumière depuis la menace de fermeture du lieu. Et les politiques, semble-t-il, s’y attaquent enfin, d’autant plus qu’ils ont pris conscience de la plus-value d’une vie nocturne dynamique et encadrée pour une ville. La première étape a été la reconnaissance du clubbing (l’activité) comme patrimoine culturel immatériel par la région bruxelloise. Un premier pas symbolique qui ne sauvera pas le Fuse, mais va dans le bon sens…

Steven Van Belle nous expliquait il y a un an son plan de sauvetage : « La première étape est de ne plus catégoriser systématiquement tous les clubs comme des entreprises commerciales, mais d’en considérer certains comme lieux culturels. Bien sûr, il y a des critères à prendre en compte, mais des villes comme Londres ou Berlin font déjà cette différence entre les clubs et les bars de nuit, ce qui n’est pas le cas chez nous. Ensuite, à partir du moment où vous considérez qu’un club est un lieu culturel, cela permet à certains de faire partie du patrimoine culturel de la ville et, ainsi, d’être protégé – par exemple, un club qui est depuis longtemps dans un endroit spécifique et qui joue un rôle culturel, social et économique. À ce moment, vous avez une classification qui permet d’adapter la loi sur les normes sonores à ce type de club. C’est la troisième étape ».

On n’en est pas encore là. Mais Steven Van Belle espère encore que les choses vont vite évoluer vers une protection des clubs existant. Et pourquoi pas avant les élections… Comme il le répète : « Personne ne veut la fermeture du Fuse ».

Le club techno que le monde attendait

Comment pourrait-il en être autrement ? Le Fuse n’est-il pas le club techno que le monde attendait ? C’était en tout cas la certitude de son fondateur Peter De Cuypere lorsqu’il a lancé avec Thierry Coppens le Fuse le 16 avril 1994 dans les locaux de la discothèque Le Disque Rouge, situé au 128 rue Blaes, dans le cœur de Bruxelles. La techno était la musique montante et ce Flamand venu de Kuurne cherchait l’endroit parfait pour le faire rayonner. Le Fuse était né. « L’idée était de faire une Ancienne Belgique techno, nous disait-il il y a cinq ans. Mais on s’est rapidement rendu compte qu’il n’y avait pas de public pour la techno à Bruxelles, ni aux alentours… »

Pendant six mois, le Fuse perd environ 2.500 euros par semaine. À tel point qu’il est question de mettre la clé sous la porte. Mais sans le savoir, le club s’était créé une réputation chez les DJ. Et quand Laurent Garnier y déposa ses valises de disques, pour la première fois de son histoire, il y eut la file devant le club. Ce fut le début de l’âge d’or. Dans les années qui suivirent, le Fuse a accueilli Daft Punk (en août 1995, « ils ont commencé leur set avec un son de guitare… dans le temple de la techno ! » se rappelle encore De Cuypere), The Orb, Richie Hawtin, Aphex Twin, Autechre, Björk… Plus tard les 2manydj’s, Justice, Skrillex ou Vitalic.

En 2003, satisfait du travail accompli – car le Fuse est effectivement devenu le temple belge de la techno, un endroit où on vient avant tout pour la musique dans une atmosphère sécurisée et détendue –, Peter De Cuypere part s’occuper d’I Love Techno à Gand. 
Il est remplacé par Nick Ramoudt, ancien… ramasseur de verres, qui fait tourner le Fuse en gardant cette éthique “do it yourself” et sa ligne directrice techno “anti bling bling”.

En février 2020, juste avant la pandémie, Steven Van Belle reprend les rênes du club. Forcément la période la plus difficile à traverser, avec celle aussi des attentats du milieu des années 2010. Depuis quatre ans, le nouveau directeur a développé l’image du club qui est aujourd’hui reconnu dans le monde. Tout récemment, un label a été créé pour mettre en avant le son du Fuse – une compilation sort ces jours-ci. Même s’il est menacé d’expulsion, le Fuse est plus vivant que jamais. « On espère rester dans les Marolles. C’est un lieu historique qui nous tient à cœur. Mais ça ne dépend uniquement pas de nous », dit Steven Van Belle. Quoi qu’il arrive, pas question d’abandonner les fêtes nocturnes. Comme le chantaient les Beastie Boys : « You gotta fight for your right to party ! ».