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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Festivals 100% durable

Mission impossible ?

Luc Lorfèvre

Rassembler public et artistes pour célébrer la musique live dans un lieu convivial entraîne un coût environnemental qu’aucune politique éco-responsable n’effacera entièrement. Mais si le festival 100% respectueux n’existe pas, des solutions concrètes sont mises en place pour responsabiliser tous les acteurs et avancer vers un monde meilleur. Entre vraie démarche citoyenne, greenwashing et fausses bonnes idées, tentative d’y voir plus clair. Et plus vert…

Mine de rien, c’est historique. Cet été, se déroulera la première saison des festivals en Fédération où tous les organisateurs sont tenus d’utiliser des gobelets réutilisables. Découlant d’une directive européenne, le nouveau décret wallon relatif “aux déchets, à la circulation des matières et à la propreté publique” est, certes, d’application depuis le 1er septembre 2023 mais il trouvera toute sa signification lors des grandes manifestations culturelles estivales à venir. Une goutte d’eau dans un océan de pollution? Peut-être mais elle est significative. Un exemple? Durant l’édition 2019 des Fêtes de Wallonie, 1.5 million de gobelets en plastique à usage unique avaient été utilisés, soit l’équivalent de 30 tonnes de déchets à incinérer (source wallonie.be). Ce n’est pas négligeable. Mais il faut aussi rappeler que le récipient réutilisable a, lui aussi, aussi ses limites et ne solutionne pas tout. Sa généralisation dans les événements de masse implique une consommation supplémentaire d’eau potable pour le nettoyer. Les études montrent aussi qu’il doit être réutilisé sept fois pour que son impact soit inférieur à celui d’un gobelet jetable (si l’on prend en compte le cycle de vie du produit, la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre que requiert sa fabrication). Il y a aussi les festivaliers qui le ramènent chez eux comme “collector” ou tout simplement parce qu’ils ne veulent pas faire la queue au stand “consigne” pour récupérer leur caution. Dans ces deux cas, le cycle de vie du gobelet s’interrompt et il faudra en produire d’autres pour le remplacer.

 

Samuel Chapel – directeur du LaSemo

Il ne faut pas culpabiliser mais sensibiliser le public.

 

Un thème à la mode

Plusieurs festivals n’ont pas attendu cette législation contraignante pour prendre l’initiative d’interdire l’usage de plastique et de gobelets jetables. Plus hypocrites, d’autres événements culturels en font un outil marketing comme si c’était leur initiative alors qu’ils sont obligés d’appliquer le décret. Car oui, les mots “vert”, “durable” et “label” sont à la mode comme, du reste, tous les termes qui se terminent par “té” (parité, féminité, transversalité, citoyenneté…). La preuve que le sujet interpelle les consciences. « Tous les festivals communiquent là-dessus. Ils doivent se positionner, ce qui n’a pas toujours été le cas dans le passé. C’est une bonne chose car on ne peut plus faire comme si la problématique n’existait pas. Je trouve ça très positif car ça montre que ça devient aussi un critère de choix pour le public », souligne Samuel Chapel, directeur du festival LaSemo, dont l’édition 2024 se déroulera du 12 au 14 juillet à Enghien.

Durable, ça veut dire quoi ?

Créé en 2008 par une nouvelle génération de “music lovers”, le LaSemo a été un pionnier dans son approche environnementale. « Dès notre deuxième édition, en 2009, nous avons mis en place un système de gobelets réutilisables, précise Samuel Chapel. On nous prenait pour des zozos à l’époque mais on a fait évoluer cette initiative au fil des années, notamment en perfectionnant le système de nettoyage de ces gobelets. Nous avons été parmi les premiers à porter ce combat environnemental en sensibilisant non seulement le public mais aussi d’autres acteurs culturels qui s’en sont inspirés par la suite, comme nous, on s’inspirait de ce qui faisait ailleurs, notamment à l’étranger. C’est réjouissant de voir que le gobelet réutilisable est devenu la norme aujourd’hui. Même s’il a fallu quinze ans pour imposer cette réglementation et qu’elle est encore contestée, c’est symbolique. Ensemble, nous pouvons améliorer les choses et changer les mentalités. » Le LaSemo a toujours revendiqué l’étiquette “festival durable” et sa charte (à lire sur son site Lasemo.be) en dit long sur sa démarche. « Quand on dit “durable”, on pense souvent à l’environnement, précise le directeur du LaSemo. Mais pour nous, il n’y a pas de festival “durable” sans ajouter d’autres enjeux sociaux, économiques et culturels. L’idée, c’est de tenir compte de tous ces paramètres pour mettre sur pied un événement répondant aux besoins du public sans pour autant compromettre la possibilité aux générations futures de répondre aux leurs. »

Guerre des labels

De nombreux festivals se déclarent “éco-responsables”. C’est sans doute vrai et très encourageant. Mais la réalité est qu’il n’y a pratiquement aucun contrôle sur la fiabilité et la qualité de certains labels verts. Pour le public, c’est difficile de s’y retrouver. C’est comme dans un supermarché : un produit “vert” n’est pas forcément bon pour l’environnement. La Commission européenne dénombre pas moins de 230 labels différents de durabilité et 100 pour l’énergie verte. Certains sérieux, d’autres trop contraignants sur un plan économique pour y adhérer ou pour l’expliquer au public. Il y aussi le greenwashing. Voulu ou inconscient. Vous vous demandez encore pourquoi les publicités des constructeurs automobiles montrent un SUV, ultra polluant tout le monde est d’accord, roulant dans une belle forêt ou dévalant une pente montagneuse ? Toutes les études de marketing montrent que le simple contexte environnemental va créer chez le consommateur l’impression que le produit est plus écologique. Regardez maintenant les visuels de certains festivals et consultez la liste de leurs sponsors. Il y a parfois de flagrantes contradictions éthiques.

Le festival le plus proche de l’objectif “100% durable” serait forcément de taille modeste. Public et artistes y viendraient à pied, à vélo ou en transports en commun équipés d’une batterie rechargeable à l’énergie solaire. La musique serait jouée avec des instruments acoustiques ou amplifiée grâce à cette même énergie solaire. Mais alors “légèrement” amplifiée pour ne pas perturber de ses nuisances sonores la faune. Chaque visiteur viendrait avec sa gourde remplie d’eau, utiliserait des toilettes sèches, se passerait de son smartphone (pollution numérique) et repartirait chez lui avec ses déchets. Il éviterait aussi de marcher sur l’herbe afin de ne pas faire de mal à la flore et aux milliers d’insectes qui gambadent sur le sol. Bon, on arrête… « Le festival le plus durable, c’est le festival qui n’existe pas, reconnaît Samuel Chapel. Mais ne pas organiser de festivals est bien sûr un non-sens car ceux-ci répondent à des besoins culturels et sociaux. Et puis quelles seraient les alternatives ? Rester chez soi pour regarder Netflix, organiser un barbecue en invitant des potes qui vont aussi se déplacer, partir en minitrip à Paris, ne plus voir personne ? Ce n’est pas mon modèle de société non plus.»

La mobilité, problème n°1

Si le décret wallon relatif aux déchets a fait beaucoup parler de lui, il ne doit pas se résumer au seul combat éco-durable à mener. Relayée par l’aile française de Music Declares Emergency, une association ayant pour but de sensibiliser le monde de la musique à la sauvegarde de l’environnement, une étude menée lors du Printemps de Bourges révèle que 80% de l’impact environnemental du festival est dû aux moyens de locomotion du public ainsi que des artistes et de leur matériel. À côté de cela, l’alimentation (8%), l’énergie (7%), la communication (2%) et les déchets (1%) sont presque anecdotiques. Vu comme ça, un festival urbain, de type Nuits Botanique ou Couleur Café, pouvant s’appuyer sur un meilleur réseau de transports en commun, aura toujours une empreinte carbone inférieure à un événement organisé dans un cadre bucolique “au milieu de nulle part” ou un événement de masse comme Tomorrowland qui attire un public étranger venant en avion. « Chaque festival a sa spécificité mais la mobilité représente clairement le premier enjeu environnemental. Comme pour les déchets ou la malbouffe, il n’y a pas une solution idéale mais bien un ensemble d’alternatives à mettre en place. Pour réduire le nombre de voitures, il faut augmenter le nombre de choix pour les festivaliers. Camping, covoiturage, navettes vers les grandes villes ou les grandes gares, parkings vélos sécurisés et munis de bornes de rechargement, partenariats avec des sociétés de transports en commun… On a aussi lancé une formule ludique de circuit groupé en vélo. C’est le public qui décide comment il va se rendre au festival, comment il va se comporter et ce qu’il va consommer sur place. Il ne faut pas le culpabiliser mais le sensibiliser, c’est aussi notre mission. C’est du bon sens. », conclut Samuel Chapel