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par le Conseil de la Musique

Lionel Meunier & Vox Luminis

Vingt ans sous les feux de la rampe

Dominique Simonet

Il aurait voulu être non pas un artiste mais chercheur en médecine ou basketteur. Et pourtant, voix de basse, Lionel Meunier dirige Vox Luminis, l’un des ensembles vocaux les plus appréciés dans le monde. Originalité du répertoire et qualité d’interprétation font sa réputation depuis vingt ans.

L’un des ensembles européens les plus rayonnants, Vox Luminis fête ses vingt ans cette année. Dirigé, depuis sa fondation en 2004, par le Français Lionel Meunier, cette formation basée à Namur et à Bruxelles cumule une discographie étoilée et une série impressionnante de tournées internationales, notamment aux États-Unis, où sa lumineuse musicalité est particulièrement prisée.

Alors que paraît le disque Himmelfahrt (Alpha/Outhere), deuxième enregistrement avec l’Orchestre baroque de Fribourg, Vox Luminis se lance dans une série de concerts anniversaire (Bozar, Festivals de Wallonie, etc.).

Poster de Michael Jordan

Le chant n’était pas la première destinée de Lionel Meunier, ni la musique d’ailleurs. Pour le même prix, avec son double mètre cinq, il aurait pu faire gardien de but façon Thibaut Courtois et sinon, au basket-ball, il n’aurait manqué aucun panier. « Mais quand j’ai vu Maurice André à la télévision, je me suis dit que je voulais faire ça ». Ça quoi ? 
Jouer de la trompette, pardi, Maurice André (Alès, 1933 – Bayonne, 2012) ayant été l’un des plus grands trompettistes classiques.
 

Lionel Meunier

Pour attirer le public, il n’y a que la qualité.


Le petit Lionel (12 mai 1981) a alors 5 ans. En ce temps-là, il y avait, à Clamecy, sa ville natale, un maire appelé Bernard Bardin, lui-même pianiste, qui voulait rendre la musique accessible à tous. « Je suis musicien aujourd’hui parce que, grâce à lui, l’accès à l’école de musique coûtait la même chose qu’une licence de football : entre 60 et 90 francs par an. Certaines décisions politiques ont permis que j’aie une très bonne éducation musicale dans une petite ville de province. Elles ont changé la vie du petit gamin qui avait des posters de Michael Jordan dans sa chambre. »

Une basse à Namur

De croches en rondes, Lionel Meunier se retrouve à l’Institut Royal Supérieur de Musique et de Pédagogie de Namur (IMEP), où il découvre sa voix de basse et se pique d’amour pour l’art vocal. 
Au diable la trompette et la flûte à bec, l’idée lui vient de constituer un ensemble international de chanteurs pour interpréter, à l’IMEP, le Stabat Mater de Domenico Scarlatti.

Sans le latin, sans le latin…

« La veille d’imprimer la brochure, je vais à la bibliothèque pour essayer de nous trouver un nom. Le latin reste une langue que l’on ne doit pas traduire lorsqu’on se déplace, explique Lionel Meunier. 
Le terme Vox est venu très vite et, par ailleurs, j’avais dans la tête une idée de son, une expérience auditive et, d’un seul coup, la lumière s’est imposée à moi. Vox Luminis, pas mal ! Un nom simple, court, imagé, facile à retenir, et donc je l’ai gardé. »

Si, outre l’enthousiasme, un terme doit caractériser les débuts de l’aventure Vox Luminis, c’est « l’innocence », poursuit le chef chanteur. « L’idée de départ est de bien s’entendre, ensuite de bâtir un son. Les trois premières années, on a fait ça gratuitement, comme étudiants. Naïveté, donc. On ne voyait que la vie de bohème. Amateurisme donc, aussi. On devient professionnel à partir du moment où l’on est payé. Nous, au début, c’était de l’artisanat, on se fringuait n’importe comment ! »

Avant l’ère du smartphone

« Nous répétions des jours entiers pour créer notre truc », se souvient encore, vingt ans plus tard, Lionel Meunier. « Nous avons eu la chance de commencer à une époque sans smartphone. Nous passions beaucoup de temps ensemble et on se parlait pendant des heures. L’émerveillement de créer quelque chose et rêver un impossible rêve. Ce qui est génial, c’est de continuer à rêver et d’avoir de plus en plus de chances de réaliser ces rêves ! »

Entre-temps, le succès est arrivé : 2017 est l’année de la consécration du groupe, avec des concerts à la Philharmonie de Berlin et de Cologne, ainsi qu’au festival Bach de Leipzig. Cette année-là, l’ensemble entre en résidence au Concertgebouw de Bruges, un contrat désormais prolongé jusqu’en 2027-2028. Dans ses projets classiques, il aligne dix chanteurs et un continuo, orgue, viole de gambe ou théorbe. Et Vox Luminis est devenu une petite entreprise.

S’il continue à interpréter le Stabat Mater de Scarlatti – « notre madeleine de Proust depuis vingt ans » –, l’ensemble se distingue par l’originalité de son répertoire. « Au départ, le CD était une carte de visite pour vendre un concert comme le Schütz, par exemple1. Pourquoi ne pas faire tous les grands Bach ? Il y en a déjà tellement de versions ! Par contre, avec Hammerschmidt2 ou le Requiem3 
de l’an dernier, là, le CD aide. Des gens l’écoutent, sont touchés, et des programmateurs sont preneurs de ce répertoire moins couru. Le Deutsches Barockrequiem est programmé à Bozar l’an prochain. »

Bach, malgré tout

En chicanant un peu, on objectera qu’il y a tout de même quelques cantates de Bach dans le catalogue de Vox Luminis4. Oui, mais une seule du bon Jean-Seb, toutes les autres provenant de membres de sa nombreuse famille. Quant au nouvel album, Himmelfahrt : Bach, Telemann (Outhere/Alpha), il présente bien l’Oratorio de l’Ascension (Himmelfahrt) BWV 11 de Jean-Sébastien Bach, « et c’est le moins enregistré ! », lance Lionel Meunier. Quant à la cantate Ich fahre auf zu meinen Vater (“Je pars rejoindre mon Père”) de Telemann, c’est bien simple, elle n’a jamais été chantée ni enregistrée : première mondiale donc.

Cet album est le second que Vox Luminis enregistre avec le très réputé Orchestre baroque de Fribourg. Leur première collaboration, Biber : Requiem (Outhere/Alpha) date de 2021 et met en scène 
Heinrich Biber, Johann Joseph Fux, etc., « pas un truc bateau, genre deux ensembles qui se réunissent pour donner leur version d’un classique. Après 20 ans, nous faisons notre premier disque de Noël, avec Schütz et Hammerschmidt. Mais sans l’Oratorio de Noël de Bach, malgré tout l’amour que j’ai pour lui », conclut Lionel Meunier.

Une vie de sacrifices

Avec un parcours phonographique quasi sans faute, Lionel Meunier et Vox Luminis n’ont jamais été tant demandés. « Je viens juste de recevoir une invitation pour Taïwan et la Corée du Sud dans le taxi », celui qui menait le chef chanteur à notre rendez-vous. D’où ce constat légèrement teinté d’amertume : « La vie de musicien est une belle vie, mais c’est une vie de sacrifices. On sacrifie beaucoup sur son temps libre mais aussi sur sa vie de famille. Une vie impossible sans la passion ».

Malgré l’année anniversaire de son ensemble, Lionel Meunier est parvenu à préserver du temps pour sa femme et leurs deux jeunes enfants durant les vacances scolaires : « Je n’aurais jamais imaginé un été libre pour le passer avec ma famille ! Et quand on répète, c’est à Malonne, à huit cents mètres de la maison ». Car, du travail, il y en a toujours. « Pour attirer le public, il n’y a que la qualité. Il faut toujours trouver de nouveaux concepts mais la qualité et le don de soi au maximum, ce sont des choses que le public ressent. »

Alors, oui, au fil de ces vingt ans au sein d’un même ensemble, une certaine routine s’est installée, « mais elle consiste aussi à appliquer certaines recettes qui fonctionnent. Et il n’y a jamais de routine sur scène. J’adore ça, je suis comme possédé ! ».

1Musicalische Exequien, Heinrich Schütz, Ricercar, 2011

2Ach Jesus stirbt, Andreas Hammerschmidt, Ricercar, 2020

3Ein Deutsches Barockrequiem, Ricercar 2023

4Bach : Kantaten, Ricercar, 2019