Lupo Spaccaro
Réincarnation
Tête pensante du groupe Commander Spoon, le saxophoniste Pierre Spataro se métamorphose en Lupo Spaccaro le temps d’un projet solo. Entre jazz cosmique, funk futuriste et envies électroniques, l’artiste entame une véritable quête initiatique. Bande-son d’une vie tiraillée entre l’Italie et la Belgique, l’œuvre rapièce les déchirures du passé, tout en acceptant l’éventualité d’une réincarnation animale. Loup, y es-tu ?
Ne dites plus Pierre Spataro, mais Lupo Spaccaro. « C’est un personnage fictif », prévient le musicien au moment de dévoiler les quatre premiers morceaux de son projet solo. « Cet alter ego fait, bien sûr, référence au loup mais surtout à sa dualité. L’animal est réputé solitaire. Pourtant, le plus souvent, il vit en meute. » Totalement en phase avec l’identité de son double à fourrure, l’artiste poursuit son explication en s’appuyant sur Birthmarks, l’un des titres annoncés au casting du EP. « Il y a une dizaine d’années, je me suis initié à la médecine chinoise chez une vieille dame. Un jour, je lui ai montré une tâche de naissance sur ma jambe droite. En la voyant, elle m’a dit que c’était la trace d’une vie antérieure. À l’époque, je faisais justement un rêve récurrent : j’étais un loup et ma patte arrière restait coincée dans un piège. C’est un peu mystique. Mais depuis, je nourris une fascination pour cette bestiole. » Au-delà du rêve, le nouveau nom de scène de Pierre Spataro entretient des connexions à la réalité. Ces derniers mois, l’animal s’est en effet éloigné de la meute. Après ses aventures collectives avec Commander Spoon, des collaborations aux côtés de Reinel Bakole et Kuna Maze ou un travail d’arrangeur pour Oxmo Puccino, Kaaris, Benjamin Epps et autres stars du hip-hop de passage en session à la RTBF, le saxophoniste a pris la tangente. « Au lendemain de la crise sanitaire, j’ai voulu changer d’air et voir du pays. Pendant deux ans, j’ai circulé entre Amsterdam, Londres, Bruxelles et le Sud de la France. Mon EP résulte de cette période d’errance à travers le continent. »
Pierre Spataro
J’avais besoin de prendre du temps pour moi,
de mener ma barque, sans me perdre en chemin.
Agent double
Les sentiments éparpillés au carrefour de ces métropoles européennes, Pierre Spataro entame alors, à son insu, une véritable quête initiatique. Enfant de l’immigration sicilienne, témoin de l’industrialisation et de son inexorable déclin, le Carolo s’est construit dans un entre-deux. « Spaccaro, c’est juste une distorsion de mon nom de famille, indique-t-il. En italien, le verbe “spaccare” peut signifier “fêler, couper en deux”. C’est aussi une expression utilisée pour dire “Ça défonce, c’est super !” Là encore, il y a une dualité… » Engagé dans un trip introspectif, il rassemble aujourd’hui les pièces de son puzzle personnel dans des compos instrumentales aux vertus apaisantes. « Ce disque parle de moi. Il porte un regard ouvert sur le monde et offre de multiples perspectives au départ d’une même situation. »
Souvent perçu comme un saxophoniste, Pierre Spataro s’affirme ici en multi-instrumentiste, compositeur et touche-à-tout éclairé. « J’ai tout imaginé en solo. Puis, je me suis entouré d’autres musiciens pour optimiser la proposition. J’ai demandé à ShunGu de m’épauler à la production. Lorenzo Ola Kobina (Commander Spoon) a rejoué mes parties de clavier, tandis que Jeremy Debuysschere (Jean-Paul Groove) s’est chargé des lignes de basse. » En quatre titres, boostés par un saxophone protéiforme, l’enregistrement évoque les esthétiques défendues par des enseignes comme Big Dada, Warp ou Brainfeeder. Héritier du jazz intergalactique de Sun Ra, Lupo Spaccaro vogue aux confins d’un funk rétrofuturiste, de beats hip-hop et d’une myriade de pulsations électroniques. Avec ce disque, mixé à Londres au cœur du studio Pink Bird (Alfa Mist, Nala Sinephro), Pierre Spataro opère une mue artistique : une métamorphose déjà entrevue lors de ses interventions sur Motherless Father, le dernier album de Lefto. « Je reste ouvert aux collaborations, assure le cerveau des opérations. Mais là, j’avais besoin de prendre du temps pour moi, de mener ma barque, sans me perdre en chemin. » Mieux encore : il semble parti dans la bonne direction.