DAVID NUMWAMI
Entre la lune et les étoiles
Dixit la petite biographie obligeamment fournie par son service de presse, il est un “grand perfectionniste” et un “immense rêveur”. Nous ajouterons qu’il gère cependant fort bien son agenda et qu’il s’applique à pouvoir n’en faire qu’à sa tête. Après deux singles, et bientôt trois, l’album va encore se faire attendre. Mais à 26 ans, à côté d’études en philo avec option musicologie, il affiche déjà un parcours que d’aucuns qualifieraient de “dingue”.
S’il y en a un qui semble ne pas avoir trop de mal à prendre… son mal en patience, c’est bien David Numwami. Au contraire, dirions-nous presque: chanteur, auteur, multi instrumentiste et producteur, il se définit comme casanier, “hyper” casanier même. Alors ne pas devoir sortir de chez lui le contente plutôt pas mal. « Ça me laisse plein de temps pour enregistrer, mixer. Et comme je ne suis pas toujours à l’aise dans des contextes sociaux, c’est assez parfait pour moi. Faire une carrière depuis la maison, je trouve ça trop bien ! C’est comme si j’étais agoraphobe, ce que je ne suis pas, et que le jour où je prends enfin le courage de sortir de chez moi pour faire des courses, je me rends compte qu’il n’y a personne dans les rues. C’est génial ! »
Les concerts, les tournées ne vous manquent pas trop ?
C’est dommage pour les concerts, parce que j’adore en faire, mais en même temps, rester chez moi me permet d’avoir un certain calme dans la tête, une sérénité. Je fais tout depuis la maison. Alors c’est chiant, parce que je ne gagne pas d’argent, mais ça reviendra bien un jour.
Entretemps, vous avez reçu un trophée, le Red Bull Elektropedia Award dans la catégorie “Fresh On the Scene”. Ce qui est assez amusant considérant que ça fait quand même quelques années maintenant que vous montez sur les planches!
Je trouve ça assez cool de l’avoir reçu, c’est un peu comme un éternel recommencement. Comme si le simple fait de changer de nom me permettait de boire à la fontaine de jouvence. Ce qui est aussi le cas : on est toujours nouveau, on est quand même censé se réinventer. Il y a bien sûr quelque chose de paradoxal à recevoir ce trophée quand on voit d’autres artistes qui sont réellement “Fresh On the Scene”. Mais au final, je trouve ça assez beau, c’est un peu comme une réincarnation, c’est sans fin. Je dois avoir sept vies et là, je suis peut-être à la troisième. Ou la quatrième ?
David NumwamiL’émerveillement... j’essaie tout le temps de l’attraper au vol,
dès que je peux !
C’est en tout cas avec Le Colisée qu’on vous a découvert, mais y a-t-il eu quelque chose avant ?
J’ai joué dans des groupes quand j’étais à l’école, mais c’est tout, et je n’ai jamais rien sorti.
Un bon souvenir, Le Colisée ?
Au fond de moi, j’aime me dire que ce n’est pas un souvenir, qu’on va recommencer. Mais oui, c’était vraiment génial. Au début, pendant un an et demi, deux ans, j’étais tout seul. Et puis j’ai demandé à des amis de jouer avec moi, des amis de toujours, on était à l’école ensemble. Je connaissais l’un d’eux depuis nos six ans. C’est quand même le rêve d’être avec ses amis tout le temps, d’être même obligé de les voir parce qu’il fallait répéter. Et puis, comme groupe qui débute, de se retrouver dans des contextes souvent très marrants, à devoir dormir chez l’habitant, dans une roulotte, des trucs comme ça. C’est un peu comme continuer l’adolescence jusque très tard. J’ai adoré ça ! Et puis musicalement, j’ai l’impression qu’on n’avait pas trop de limites, on se marrait tout le temps.
Do it yourself
Partant de là, comment “la suite” s’est-elle mise en place ? On y trouve quand même Flavien Berger, Nicolas Godin, Frànçois and The Atlas Mountains, Charlotte Gainsbourg, Sébastien Tellier…
En fait, ça a commencé avec François (François Marry, le chanteur de Frànçois and The Atlas Mountains, ndlr). Le groupe s’était installé à Bruxelles, je crois qu’ils ont dû nous voir en concert et qu’ils ont bien aimé. Petit à petit, on est devenus amis, à un moment ils cherchaient un claviériste-guitariste |et ils m’ont demandé de les rejoindre. C’est vraiment à partir de là que le reste est arrivé. J’ai joué à Paris et quand quelqu’un cherchait un musicien, je ne sais pas pourquoi, on me le demandait à moi. Mais c’est vraiment grâce à François et Maurice, son bassiste, qui, eux, étaient fans de plein de trucs casse-gueules, pour le coup. Je ne pense pas que Charlotte m’aurait contacté sur la base du Colisée.
Vous pratiquez le home studio, vous vous formez sur le tas à des programmes de montage, tout ça est très DIY, à l’image du clip accompagnant Beats! Quel est alors le lien avec vos études de philosophie?
Je crois qu’il n’y en a vraiment aucun ! Le DIY, c’est quelque chose que je fais depuis très longtemps, depuis avant les études. J’ai découvert GarageBand à 14 ans, et j’ai toujours enregistré des petits trucs dessus, très, très pourris au début, et puis j’ai commencé à comprendre l’outil. Au départ, je m’étais inscrit au Conservatoire en guitare classique. J’avais suivi quelques cours pendant les vacances, en stage. Je savais que j’allais faire de la musique plus tard, en tout cas que j’allais essayer, mais en ayant peur de n’être capable de jouer que de la guitare. C’est en me disant que je ne voulais pas être bon que dans un truc que finalement j’ai fait la philo. Avec du coup l’impression d’être bon à rien ! C’est vrai… C’est un peu la science de tout et n’importe quoi, on peut faire de la philosophie tout ce qu’on veut. Et on va y retrouver un peu de droit, des mathématiques, de la littérature… Pour moi, c’était comme un fourre-tout qui était intéressant et qui n’obligeait pas à choisir. Aujourd’hui, j’ai l’impression que ces études ont changé ma vie, m’ont rendu heureux. Je ne suis pas certain de me souvenir de ce que j’ai appris, mais ça m’a vraiment rendu super heureux. Et ça a réellement cassé toutes les certitudes de l’adolescence: j’y suis arrivé en me disant « yes, je vais comprendre le monde », et je suis sorti de philo cinq ans après en me disant « pff, je ne comprends vraiment rien ». Et je ne comprendrai jamais rien ! Mais ça m’a mis dans une sorte d’état d’émerveillement permanent pour tout.
C’est comme en musique ?
Oui ! Je vais entendre, je ne sais pas, Ariana Grande à la radio, je vais me dire que c’est génial, et puis je vais entendre Death Grips sur Internet et je vais me dire que c’est génial ! Ça m’a peut-être mis dans un état où je suis juste attentif à la beauté de chaque truc. Et même en recherche active de l’émerveillement: j’essaie tout le temps de l’attraper au vol, dès que je peux !
Se mettre la pression
L’album, intitulé Blue mixtape, était prévu pour février ?
Ce ne sera pas pour février. Avec le virus, on a retardé la sortie de mon troisième morceau (après Le Fisc de l’Amour et Beats !, ndlr). Avec Joseph (Joseph Meersseman, son manager, ndlr), on s’est dit que c’était préférable. Et surtout, j’ai depuis avancé sur plein de titres. Du coup, je suis quand même assez infernal pour lui, parce que j’arrête pas de changer les morceaux, d’en rajouter, d’en enlever. Je crois que j’ai commencé cet album il y a quatre ans ! C’était déjà un grand pas pour lui de pouvoir dire « ok, on fixe ça en février ». Et puis comme on s’est dit qu’avec le virus, on pouvait un petit peu déplacer cette sortie, ça m’a ouvert une porte et je pouvais encore écrire… Il n’y a pas longtemps, j’ai appelé Joseph pour lui dire que ça ne s’appellerait plus Blue mixtape mais juste Blue, et je crois que ça va être un double album!
Et là maintenant, il déprime à fond!
Il ne le montre pas trop (rires). Non, mais il m’a dit « essaie, essaie d’enregistrer ». Si je ne suis pas prêt pour un double album, au moins j’aurai assez pour un album normal. Ce sera courant 2021, j’espère vers septembre, ce qui me laissera le temps de sortir encore quelques morceaux avant.
Tout ça nous ramène à ce que les Inrocks avaient écrit à propos de ce futur album : « Depuis le temps qu’on l’attend, ça a intérêt à être bien ! » Alors oui, vous avez le temps d’écrire de nouveaux morceaux, mais ne vous mettez-vous pas aussi une sacrée pression dans la mesure où le public va attendre toujours plus de votre part?
Ben… Je ne sais pas exactement à quel niveau je me mets une pression, Comme je n’ai pas de label, je ne pense pas que des gens ont des attentes financières vraiment fortes à mon égard. Et moi, je me dis que financièrement, je trouverai toujours un moyen de m’en sortir. J’écrirai des textes… Donc ce n’est pas vraiment ça qui me fait peur. La célébrité ? Ça fait quand même des années que je travaille avec des gens qui sont célèbres, ou que je les côtoie, et ça n’a pas l’air si terrible comme truc, la célébrité… À mon avis, c’est plus une pression que je me mets sur la qualité : j’ai juste envie que ce soit bien.
Et le concept d’album?
Au départ, une partie de moi, je pense, n’est pas très attirée par le format album. Je n’ai pas vraiment grandi avec ça, j’étais plutôt à télécharger des morceaux sur eMule ou LimeWire, sans même savoir sur quels albums ils se trouvaient. Déjà, il y a quelque chose de pas très naturel pour moi dans l’idée de faire un album. Avec Le Colisée, nous avons juste sorti des EP. C’est comme si l’EP était pour moi un format un peu plus compréhensible, et c’est cool comme longueur. J’ai du mal à écouter des albums, je me déconcentre vite. Après, je vais quand même faire un album, au moins une fois, je vais essayer, je n’ai rien à perdre. Mais une dizaine de morceaux, ça ne me semble pas assez pour vraiment exprimer quelque chose d’exhaustif, pour aller au bout d’une idée, d’une esthétique ou d’une narration. Et en même temps, paradoxalement, je trouve que c’est un peu trop pour aller au bout d’une esthétique, surtout si on travaille sur des morceaux qui ont un son hyper précis, hyper particulier, en utilisant par exemple une seule boîte à rythmes ou un seul synthé pour tout un album comme Soulwax a pu le faire récemment (Deewee sessions vol. 01, en hommage au EMS Synthi 100, ndlr). C’est peut-être pour ça que je suis attiré par le format double album, je vais aller au bout d’un truc avec 20 morceaux, et puis voilà !
Beaucoup de groupes ou d’artistes se posent aussi la question du premier album, de l’importance qu’il peut avoir.
Ah mais je n’ai pas envie de décevoir. Je ne sais pas qui, en fait… Déjà moi, je suppose. Je n’ai pas envie de devoir jouer pendant un an des morceaux dont je ne suis plus très fier. Donc oui, il y a quand même une part de moi qui se met “une pression artistique”. C’est comme s’il fallait que dans deux ans, je puisse réécouter ces morceaux et me dire “ah oui, c’est cool quand même”. Le Fisc de l’Amour, qui est sorti il y a quelques mois, je l’ai enregistré il y a plus de deux ans ! Et deux ans après, je l’ai réécouté, et je le trouve toujours chouette, ça le fait. Le titre que je vais sortir en janvier, Téma, je crois que je l’ai enregistré même avant Le Fisc de l’Amour, il y a peut-être trois ans, et en le réécoutant, je me suis dit « ben oui, il est cool ». Pour moi, c’est quand même comme s’il y avait cette forme d’exigence, les morceaux doivent tenir au moins deux ans et demi, trois ans… Si au bout de ce temps, ça ne me paraît pas possible, je le jette ! Et encore, Téma, qui est fini depuis tout ce temps, je l’ai envoyé au mastering hier matin parce qu’il y avait toujours des petites choses qui me faisaient mal aux oreilles. Il faut que j’arrive à me dire que c’est vraiment fini, qu’il faut sortir le truc ! Ça doit vraiment être lié au fait que je travaille chez moi !
David Numwami
Je suis complètement déconnecté de… de tout en fait!
Le plus amusant, c’est que Téma est un peu une histoire d’obsession !
Le texte est assez simple : je suis dans mon lit, en train de regarder des photos de quelqu’un sur Internet. Ça parle juste de ça, ne pas savoir, regarder une personne sans but en fait, avant de s’endormir… (rires) Bon, là, je me casse la tête à écrire un texte et je le détruis en expliquant super mal !
Qu’est-ce qui est déjà sûr et certain quant à cet album ? Qu’est-ce qui ne changera pas, dans votre tête ?
La sortie de Téma en janvier 2021, et puis après, rien n’est clair mais volontairement. C’est aussi une des raisons pour lesquelles je suis indépendant, en tout cas pour l’instant : j’ai envie de pouvoir m’adapter à ce qui se passe. Par exemple, on avait prévu de sortir Le Fisc de l’Amour et puis Téma. Entretemps, j’avais commencé à travailler sur Beats! et je trouvais qu’il allait être mieux comme deuxième morceau, parce que Téma a quelque chose de beaucoup plus mélancolique. Joseph m’a dit « essaie de le finir », je l’ai fini, on était à la bourre, et on l’a sorti sur YouTube une semaine après avoir fini le clip. Pour moi, il y a quand même une volonté de travailler comme ça : en m’adaptant à ce qui vient. Je pense que c’est ça qui réalise l’équilibre entre le fait de sortir des “vieux” morceaux, ou de prendre du temps pour enregistrer, et de rester “frais” parce que j’essaie de ne pas voir plus loin que deux mois. J’ai des morceaux qui sont prêts à sortir, mais j’ai envie de ne pas savoir dans quel ordre. Quelque part, je peux me permettre ça aussi parce que j’ai Joseph qui assure mes arrières.
Vous faites un peu un duo !
Oui, où moi je suis le mec dans la lune qui essaie de faire ce qu’il veut comme il veut, et lui le mec un peu plus conscient, qui s’assure que je ne fais pas trop de conneries. Je trouve qu’on fait un duo assez intéressant, “good cop/bad cop”, où ce que j’apporte d’instabilité est contrebalancé par sa stabilité à lui. On a monté un label à deux, The Ffamily. Pour l’instant, on va sortir mes trucs, et puis ce serait cool, disons dans deux ans, de pouvoir sortir d’autres artistes.
Vous auriez donc ce truc de l’éternel adolescent dont il est question dans « Beats ! » ?
Oui, je pense que c’est un mélange entre le fait d’être dans la lune et d’être resté un peu trop chez moi. Je suis complètement déconnecté de… de tout en fait ! J’ai 26 ans, mais ma maman est quand même encore toujours en train de me demander quand j’aurai un boulot ! « Quand est-ce que tu feras un vrai travail ? Tu vas faire ça encore pendant combien de temps, tes petits morceaux dans ta chambre ? » C’est vrai, je fais aujourd’hui la même chose que quand j’avais 15 ans : je me lève le matin, j’ouvre mon ordi, je fais de la musique, j’écoute de la musique, si je vois quelqu’un, on parle de musique… C’est juste qu’il y a l’école en moins. Parfois je me vois dans la salle de bain avec ma copine, en train de me teindre les cheveux, et je me dis : « On est vraiment des gamins ! »
En même temps, n’est-ce pas aussi un peu ça qui nourrit votre inspiration, qui donne des couleurs pop à vos morceaux ainsi que ce petit quelque chose de décalé et qu’il faut donc préserver ?
Oui, au fond j’y tiens, à cette forme de légèreté. C’est même peut-être un refuge : je vais dans ma tête parce que le monde extérieur est super dur. En même temps, maman a peut-être raison. Je lui dis « oui mais je joue à Coachella »… Et elle ne sait pas ce que c’est, elle s’en fout ! Elle ne savait pas du tout qui était Charlotte Gainsbourg ! Et c’est assez cool : ça m’empêche de faire trop le malin.
David Numwami fait partie de la caravane belge invitée cette année à l’Eurosonic. Lequel sera, doit-on vous rappeler pourquoi, virtuel. Son showcase sera donc “numérique”. En savoir plus : www.esns.nl