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par le Conseil de la Musique

Las Lloronas

Out of the Blue

Louise Hermant

Dans son deuxième album, le trio bruxellois se montre plus politique et engagé. Entre la montée de l’extrême droite et le changement climatique, les trois musiciennes tentent de revendiquer le droit au plaisir. Avec moins de slam et toujours plus d’harmonies, Las Lloronas présente un projet qui balance entre force et fragilité.

Installée dans un café bruxellois, Amber in ’t Veld, tout juste rentrée d’Espagne, vient de recevoir sa première copie physique de leur nouvel album, Out of the Blue. Entre ses mains, le travail des trois dernières années. Des années intenses, passées à tourner à travers l’Europe. Las Lloronas a enchaîné une septantaine de dates rien qu’en 2022. Leur réalité n’a aujourd’hui plus rien avoir avec celle des débuts. Sura Solomon, Amber in ’t Veld et Marieke Werner ne sont plus étudiantes en sociologie, ne jouent plus dans la rue. Le projet s’est depuis professionnalisé et fait connaître au-delà des frontières.

Alors, forcément, ce deuxième album s’écrit différemment. Le trio bruxellois se nourrit davantage d’images et d’expériences, recueillies lors de ses nombreux déplacements. Cela donne un côté plus atmosphérique et presque cinématographique, explique le groupe. On retrouve, par contre, toujours ces harmonies vocales bouleversantes et cette fusion du blues, du flamenco et des sons klezmer au centre de Las Lloronas. Un nouveau disque dédié à la tendresse humaine, au milieu des catastrophes et désastres.

Comment avez-vous abordé ce deuxième album ? On dit souvent que c’est le plus compliqué…
Marieke Werner : C’est une bonne chose de savoir qu’on n’est pas les seules à le penser ! On a dû trouver une manière de composer en tant que trio. On voulait que cela se fasse de manière horizontale entre nous trois. Il n’y a pas de règles dans notre manière de composer mais on se donne des rôles. On a tenté de donner davantage de place à une personne pour certaines chansons et puis de tout inverser pour d’autres. On a trouvé différents noms pour ces différents rôles : comme le berger ou le dictateur !
Amber in ’t Veld : C’est un processus très collectif. Une personne n’apporte pas une chanson et puis nous refile les partitions à apprendre. On travaille plutôt de manière intuitive. Mais il est vrai que travailler comme une organisation collective, c’est très compliqué. Voilà pourquoi on a trouvé un outil plutôt drôle pour s’y retrouver. On tente énormément de choses, on improvise beaucoup. Les chansons sont fragiles d’une certaine manière, comme il n’y a pas de lignes de basses ou de batterie. Tout est très subtil. On doit alors se montrer pointilleuses et prendre énormément de décisions.

Comme sur le premier album, vous continuez de mélanger les langues. On retrouve du français, de l’espagnol, de l’anglais et de l’allemand. L’anglais est votre seule langue commune. Comment parvenir à s’approprier une langue que l’on ne comprend pas ?
MW : Pour moi, c’est surtout que ça prend plus de temps pour retenir les paroles quand elles sont en espagnol ! Bien sûr, je ne suis pas aussi consciente de ce que je chante que dans ma langue natale, mais ça ne me dérange pas. Je sais ce que la chanson raconte, je me souviens de quelques mots. Il s’agit alors de suivre le flow de la chanson et d’écouter les autres.

Vous dites de cet album qu’il s’annonce plus engagé que le précédent. Dans Lonely Bird, vous évoquez frontalement la montée de l’extrême droite. El Calentamiento parle du changement climatique. Impossible, pour vous, de ne pas évoquer ces sujets qui font notre quotidien ?
MW : Je ne pense pas aux décisions politiques 24h/24. Mais je crois que les thématiques reflètent nos interactions avec le monde. D’une certaine manière, c’est une décision de partager ces textes, ces réflexions. Nos études en sociologie nous rendent sans doute très conscientes de toutes ces choses qui se passent autour de nous. On ressent le besoin d’alerter sur ce qu’il se passe.
AV : Si on se retrouve sur scène, derrière un micro, et que les gens nous écoutent, alors autant dire des choses qui concernent notre époque. Je sens une forme de responsabilité en tant qu’artiste dans un monde qui s’écroule. Écrire des textes et écouter de la musique me permet aussi de rester saine d’esprit.

Sur vos réseaux sociaux, vous avez d’ailleurs partagé cette phrase : « Le rôle d’un artiste est de rendre la révolution irrésistible » de Toni Cade Bambara. Qu’est-ce que cette citation évoque en vous ?
MW : Je trouve que c’est un message très inclusif. Dans le monde que l’on imagine toutes les trois, on se sentirait plus en sécurité, plus heureuses, plus comblées, plus saines. S’il est possible de faire passer cette vision d’un monde plus juste et équitable via notre art et que cela parvient à toucher les gens et les inspire à prendre part, cela peut avoir beaucoup d’impact. Dans notre musique et nos performances, l’écoute est cruciale car nos chansons sont très fragiles. On s’écoute de manière précise. Il faut qu’on embarque ensemble, qu’on se retrouve sur la même fréquence. Il faut aussi écouter le lieu et les gens autour. Si le public peut ressentir cette manière de faire, s’il retient cette qualité d’écoute dans un contexte politique, je crois que ça peut être puissant. Écouter l’autre, c’est essentiel.

Marieke Werner

On ressent le besoin d'alerter sur ce qu'il se passe.

On retrouve moins de slam sur ce disque que sur le précédent. La première fois que l’on en entend, c’est justement sur le très politique Lonely Bird. La meilleure façon de faire passer un message ?
AV : Je n’ai jamais essayé de chanter ce titre. Quand j’ai écrit la chanson, j’étais énervée, il était trois heures du matin. J’ai tout écrit en une fois, il y avait beaucoup de texte. Je crois que l’engagement social est très lié à l’histoire du slam. C’est une manière de montrer sa colère, d’aller droit au but. C’est aussi plus simple d’écouter quelque chose qui est dit que de suivre une mélodie.

Vous évoquez aussi des thématiques féministes, comme sur Run ou Tourbillon, un hymne à l’orgasme.
MW : Il n’y a pas d’agenda politique préconçu quand on écrit nos chansons. Ça fait partie de notre quotidien. Dans ce disque, on parle beaucoup d’affronter nos peurs. Les hommes en sont une. On s’imprègne de nos expériences en tant que femmes.
AV : La grande mission de notre génération est de mieux gérer la sexualité, pour les hommes et pour les femmes. Je crois qu’il y a beaucoup de douleurs et de traumatismes. C’est un sujet crucial. On ne parle jamais du plaisir féminin. Il y a un manque d’éducation à ce sujet, une grande peur d’assumer et une pression à la performance.
MW : Je crois que la représentation de la sexualité et du plaisir change doucement. Les femmes ont toujours été présentées comme des objets de désir pour les hommes. Le plaisir des femmes a toujours été lié à celui des hommes. Aujourd’hui, on revendique le droit au plaisir. On peut être responsable de son propre désir.


Las Lloronas
Out of the Blue
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