Dan San
Libéré, délivré
Occupée par différents projets solos puis paralysée par la situation post-Covid, la formation à six têtes s’est reformée pour un troisième album, une petite décennie après Shelter. Un retour quelque peu postposé mais qui aura permis aux Liégeois de se redécouvrir… et d’explorer une nouvelle voie ! On en discute.
Les voilà de retour. Après sept ans d’absence, les représentants de la pop-folk sur la scène belge présentent Grand Salon. Un troisième album pour lequel le sextet s’est donné plusieurs défis : se montrer plus frontal, apporter davantage de lumière et réunir plusieurs époques. Les influences des années 70 côtoient des inspirations 80’s avec synthés et boîtes à rythmes (No One In The House). Les éternels mélancoliques y explorent une nouvelle palette sonore, sans pour autant dénaturer le projet. Le producteur français Yann Arnaud (Sparks, Phoenix, Air), déjà présent sur Shelter, est resté à leurs côtés.
Nourris par leurs nombreuses aventures et collaborations individuelles (The Feather, Condore, Pale Grey, Kowari, Sharko…), Jérôme Magnée, Thomas Medard, Maxime Lhussier, Leticia Collet, Damien Chierici et Olivier Cox réouvrent donc le chapitre Dan San, plus assuré·es que jamais. Le collectif aborde des thèmes plus intimes (la dépression sur 1994, les conséquences d’une maladie sur Awake et Father, Mother), touche pour la première fois aux histoires d’amour (Midnight Call) et appelle, tout le long, à vivre intensément et à saisir le moment présent. Un disque dans lequel Dan San ose se faire plaisir, revisite ses classiques et se laisse enfin aller.
Jérôme Magnée
Je crois qu'avec ce disque les gens vont plus facilement
ressentir les émotions que l'on essaie de faire passer.
Le disque est prêt depuis quelques années. Il fallait attendre le bon moment avant de revenir?
Thomas Medard: On a dû retenir un peu le bébé car tout le monde nous conseillait de laisser passer les sorties des gros groupes qui occupent toute la place. On n’avait pas non plus tous les visuels et les clips. On aime bien aller au bout des choses par rapport à ces aspects-là et s’en occuper nous-mêmes. On a profité de ce temps pour peaufiner chaque détail. Une fois qu’on avait tout, on a pu se jeter à l’eau.
Jérôme Magnée: Quand on a senti qu’on allait avoir beaucoup de temps devant nous, que ça n’allait pas reprendre du jour au lendemain à la sortie du Covid, on a levé le pied et on a réécrit des chansons. On est reparti en studio, on a commencé à tourner des clips en avance. On a modifié notre manière de fonctionner par rapport aux sorties précédentes et saisi cette opportunité pour tout retravailler.
TM: Si on n’avait pas eu toutes ces contraintes, le disque aurait été très différent, plus sombre et triste. Avant, c’était vraiment un disque de ballades, avec des chansons très lentes. C’était sans doute lié à l’atmosphère du moment. Quand on a senti que le vent changeait, que les choses reprenaient, on a commencé à écrire des chansons beaucoup plus solaires comme Midnight Call ou Lose My Mind. Elles ont amené une tout autre couleur au disque. Dans le futur, on a envie de continuer sur cette lancée plus solaire, avec des accords plus majeurs, donc plus lumineux.
Vous êtes partis pour la deuxième fois enregistrer à La Frette, un grand manoir près de Paris. Un endroit où de nombreux artistes sont passés (Jean-Jacques Goldman, Arctic Monkeys, Nick Cave). Ce studio mythique vous offre-t-il un son particulier?
TM: Une fois que l’on goute à La Frette, c’est difficile de refaire un disque ailleurs. Par rapport au style de musique que l’on fait, c’est l’endroit le plus approprié. Sur place, il y a plein de matériel des années 70 qui y est rassemblé, des tables de mixage avec des préamplis Neve, tous les instruments d’époque. Tout, là-bas, nous plonge dans un imaginaire qui renvoie à nos influences.
JM: Cela fait aussi du bien d’être loin de chez nous. C’est un lieu résidentiel en vase clos : on dort et mange sur place. On peut travailler jusque tard dans la nuit si on en a envie. On a l’impression de sortir de la réalité, comme si en l’espace de trois semaines, le temps n’existait plus. Il y a aussi une formidable cuisinière sur place, qui a plein d’histoires à raconter. Elle nous a par exemple confié qu’un des membres d’Arctic Monkeys avait caché une bouteille de whisky dans la maison avec un message. On a cherché longtemps mais je crois qu’elle n’existe pas!
Thomas Medard
C’est un disque que l’on n’aurait pas pu faire il y a dix ans.
Diriez-vous que les lieux influencent votre musique?
TM: Ce serait certainement différent ailleurs. Il faut s’imaginer qu’il y a des micros partout, tout est câblé. On peut enregistrer à tout moment ce que l’on veut, où l’on veut. Pendant qu’on était tous les deux en train d’enregistrer des voix dans le sous-sol, les autres musiciens étaient dans le grand salon. Ils commencent à jouer, on va les voir et on les rejoint. Le producteur trouve ça chouette et propose d’enregistrer. On n’avait même pas besoin de bouger. Un moment de pure distraction peut devenir une chanson, de manière très naturelle et fluide.
Et ce moment a donné le nom du disque?
TM: Oui, c’est ça. Quand on a fini d’enregistrer ce petit interlude musical, notre producteur nous demande comment il doit nommer la session. L’un de nous a alors répondu : « “grand salon”, on trouvera un titre plus tard. » On ne l’a jamais changé et c’est même devenu le titre de l’album. Ça incarnait vraiment l’ambition du disque, ce moment de partage entre le groupe.
JM: Le disque est nourri de plein d’influences à travers différentes époques. Les grands salons, ce sont aussi les lieux au 18e siècle dans lesquels se rencontraient tous les musiciens, auteurs, compositeurs, mécènes. On a le sentiment que ce disque, c’est un peu ça aussi, un partage d’influences, qui se nourrissent les unes les autres.
Sur ce troisième album, quelles directions aviez-vous envie de prendre?
TM: Il y a peut-être deux lignes directrices. Dans notre disque précédent Shelter, il y a un côté folk et surtout indie. Cette fois, on voulait aller vers quelque chose de plus intemporel et moins niche. Et au niveau des textes, on voulait moins se cacher derrière des métaphores, où l’on ne comprend pas directement le sens de la chanson. On voulait quelque chose de plus clair et limpide et se dévoiler davantage.
JM: Pour ma part, j’avais très envie qu’une partie des chansons puissent être jouées piano-voix, ou guitare-voix. Qu’elles puissent fonctionner toutes seules, sans 40 pistes de production. Ça se rapproche aussi de notre intention avec les textes : aller droit au but. Il y a une volonté d’être plus honnête, avec moins d’intellectualisation. Et pourtant, c’est plus compliqué de faire des chansons simples que des chansons très chargées.
Ne plus se cacher, cela demande une certaine assurance. Cela vient avec le temps?
TM: C’est un disque que l’on n’aurait pas pu faire il y a dix ans. Le titre Hard Days Are Gone, on l’aurait mis à la poubelle directement. Parce qu’on ne l’aurait pas assumé, on l’aurait caché derrière des couches de voix, des harmonies, des violons. On aurait remis une couche de mélancolie sur la mélancolie. Là où, aujourd’hui, on a envie de s’éloigner de ça.
JM: Avant, il y avait une forme de pudeur dans notre démarche artistique. C’est difficile de se défaire de ça. Mais je crois que c’est nécessaire. Déjà vis-à-vis de soi-même, sinon on n’avance pas. Et aussi pour ceux qui vont écouter la musique. Il y a une forme de sincérité qui en découle. Je crois que les gens vont plus facilement ressentir les émotions que l’on essaie de faire passer.
Hard Days Are Gone rappelle inévitablement les Beatles. Une inspiration assumée?
JM: Ah bon, quoi ? C’est vraiment la première fois qu’on nous le dit ! (rires) C’est totalement assumé et une forme d’hommage. À l’écriture de la chanson, je ne pensais pourtant pas trop à ça. D’ailleurs, j’ai l’impression que si je la joue en piano-voix, ça ne va pas tellement ressembler à John Lennon. En la travaillant en groupe, on l’a accélérée, on a pris le refrain d’une autre chanson. Toujours dans l’optique de lâcher prise, de se décomplexer de certaines choses, on s’est dit tant pis, on y va à fond. On l’a fait écouter à notre producteur, il se trouve qu’il est super fan des Beatles. En studio, il a proposé que l’on enregistre les voix comme le faisait John Lennon. Il a pris un gros enregistreur à bandes, qui crée un très court écho sur la voix. John Lennon faisait ça car il n’aimait pas sa voix. Et nous, on a fait ça car on aime bien la voix de John Lennon. On a aussi enregistré la batterie avec une cabine Leslie, comme les Beatles le faisait.
TM: C’était trop chouette à faire. On était vraiment comme des gosses ! C’est exactement le genre de trucs qu’on n’aurait jamais fait il y a plusieurs années.
Dan San
Grand Salon
Odessa