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par le Conseil de la Musique

RIVE

Ondes de choc

Luc Lorfèvre

Quatre ans après Narcose, Juliette Bossé et Kévin Brieuc se métamorphosent sur Collision, un deuxième album se nourrissant d’une rupture sentimentale vécue par la chanteuse du binôme bruxellois. Avec sa production épurée, ses arrangements dream pop et une voix mixée en avant, RIVE prend le large et assume sans ambiguïté ses envies de toucher un plus large public tout en se démarquant des codes traditionnels de la chanson française.

RIVE

La chanson Rêver Grand, sortie en amont de votre nouvel album, montrait déjà clairement une volonté d’être plus accessible. Cette démarche est-elle une réaction à votre premier album Narcose paru en 2019 ?
Juliette Bossé : Le terme “collision”, qui donne son titre au disque, n’a pas été choisi au hasard. Il renvoie à ce que je chante dans la plupart des morceaux. La collision racontée ici, c’est une rencontre entre deux personnes que tout oppose. Après la passion amoureuse et l’exaltation des sentiments, la relation se révèle destructrice mais elle débouche aussi sur une transformation, une redécouverte de soi et une réappropriation de sa propre existence. C’est une expérience que j’ai vécue personnellement et qui m’a complètement bouleversée. Elle nourrit tout le disque. Collision se termine avec Dictaphone, un morceau dont j’ai enregistré le texte à l’instant même où je rompais et où je plongeais dans la peur de l’inconnu. Rêver Grand, qui ouvre l’album, évoque, pour sa part, mes envies de liberté. J’ai écrit toutes ces chansons et je les ai interprétées de manière frontale. J’étais obligée, c’était comme un remède pour moi. Ça avait donc du sens de mettre la voix plus en avant dans le mixage. Plus qu’une réaction à Narcose ou à une démarche commerciale, cette volonté d’être plus direct est surtout liée à la thématique du disque et à son intimité.

 

Juliette Bossé

Un projet musical avec une chanteuse, ça a toujours une connotation particulière.
Je ne me cacherai plus derrière mes instruments.
Je serai au milieu de la scène et je vais devoir trouver ma place.

 

Kévin Brieuc : Sur Narcose, les textes de Juliette étaient plus imagés. L’auditeur pouvait les interpréter en fonction de sa propre expérience. Quand on a commencé à travailler sur Collision, Juliette sortait d’une rupture amoureuse. Sur les premières chansons qu’elle a écrites pour ce disque, elle se dévoilait comme elle ne l’a jamais faut auparavant et je trouvais ça très beau. Aujourd’hui, et pas seulement dans le monde de la musique, les gens ont l’habitude de tout déballer sur les réseaux sociaux et ça se fait souvent de manière superficielle et irréfléchie. Les textes de Juliette sont profonds. Nous avions envie qu’ils soient entendus dans le cadre de notre projet artistique. On a très vite fait le choix de ne plus se cacher. Musicalement, nous avons mis moins de couches. On adore les orchestrations, elles sont toujours présentes sur Collision, mais de manière plus épurée que sur Narcose.

Cette volonté d’ouverture s’illustre également dans le mixage de Collision qui a été confié à Lionel Capouillez, connu pour être derrière les productions de Stromae. Comment la connexion s’est-elle faite ?
K.B. : Comme ce fut le cas pour Narcose, nous avons tout enregistré à deux. Nous avons le sentiment d’avoir beaucoup progressé au niveau de nos productions. C’est une étape de la création que nous maîtrisons et pour laquelle nous travaillons Juliette et moi en parfaite complémentarité. Par contre, nous souhaitions faire appel à quelqu’un d’extérieur pour le mixage final afin de mettre en valeur la voix de Juliette. Notre manager, Julien Farinella, connaît bien Lionel Capouillez. Au début, on n’y croyait pas trop, c’est une grosse pointure et il est beaucoup demandé. Mais il s’est montré très disponible pour RIVE. Lionel a compris très vite ce que nous voulions et ce qu’il pouvait apporter à nos chansons. Il les a dynamisées sans jamais dénaturer notre travail à la production et sur les orchestrations. Ce qu’il a fait sur la voix de Juliette est impressionnant. Dans nos collaborations, nous avons toujours fait très attention à l’aspect “humain”. Et tout a parfaitement collé entre nous. On a travaillé à distance mais il était toujours réactif et à l’écoute.

Comment avez-vous réussi à éviter le côté plombant qu’on retrouve généralement dans les albums évoquant des ruptures sentimentales ?
K.B. : Pendant le confinement, nous étions bloqués chez nous à faire de la musique. Juliette sortait tout juste de sa rupture. Les chansons qui sont nées durant cette période étaient des ballades composées au piano, forcément tristes et mélancoliques. Quand le monde s’est rouvert, nous sommes partis dans des compositions plus pop, plus lumineuses et plus rythmées. Collision mélange ces deux atmosphères. Sole Rosso avec son refrain feel good, Amour et ses sonorités électro/pop ou Rêver Grand sont sortis au cours de cette deuxième phase de travail. Par rapport à Narcose, le piano et la voix sont davantage mis en valeur, mais on a aussi gardé le côté électro qui fait partie intégrante de RIVE. On a toujours aimé mélanger l’approche organique avec des basses et des rythmiques électro plus prononcées. Les sons qu’on entend dans des titres comme Imprudence ou Dans Tes Yeux sont plus inspirés des productions hip-hop de Damso ou d’Odezenne que de la chanson française. On ne fait pas du hip-hop mais on en écoute beaucoup.

Même si c’est cliché, peut-on considérer Collision comme un album thérapeutique ?
J.B. : Pour moi, il l’est clairement. J’avais besoin d’écrire sur cette expérience pour mieux la comprendre et la surpasser. Entre l’écriture et la sortie du disque, j’ai eu le temps de surmonter cette rupture. C’est derrière moi aujourd’hui mais je suis consciente qu’avec la promotion du disque et les concerts à venir, certaines blessures risquent de se rouvrir.

 

Kévin Brieuc

On ne fait pas du hip-hop, mais on en écoute beaucoup.

 

Vous serez désormais trois sur scène. Pourquoi ?
J.B. : Louan Kempenaers, qui est multi-instrumentiste, nous accompagne sur scène. Je continue à jouer du piano et de la guitare mais l’idée est que je me concentre davantage sur l’interprétation. Ça renforcera le côté frontal des textes. La dynamique va complètement changer. Pour moi, il y a aussi un vrai enjeu en tant que femme. Un projet musical avec une chanteuse, ça a toujours une connotation particulière. Je ne me cacherai plus derrière mes instruments. Je serai au milieu de la scène et je vais devoir trouver ma place.

À la sortie de Narcose, votre engagement sociétal et féministe était particulièrement marqué. Il semble plus discret sur Collision.
J.B. : Je suis féministe depuis mon adolescence. Pendant de nombreuses années, y compris au début du lancement du projet RIVE, je me sentais isolée dans mon engagement. Aujourd’hui, je constate que tout le monde s’est emparé de ces questions. C’est une très bonne chose, je me sens moins seule. Je continue bien sûr à m’intéresser au féminisme. Je lis, je parle, j’interviens dans le débat, mais je m’efface progressivement, comme si je me disais que la relève était assurée. Ceci dit, dans l’album, je relate le vécu d’une passion amoureuse de mon propre point de vue de femme. Pour moi, le fait d’avoir pris moi-même la décision de mettre fin à cette relation et de reprendre ma liberté, c’est un acte féministe. Nous vivons encore dans une société où la notion de couple est valorisée alors que l’image d’une femme seule fait encore peur.

Avec le recul, comment analysez-vous ce qui s’est passé autour de la sortie de votre premier album en 2019 ?
J.B. : Ce premier album nous a permis d’énormément tourner. On a joué dans la plupart des festivals en Fédération Wallonie-Bruxelles et nous avons aussi touché d’autres marchés francophones comme la Suisse, la France et le Québec. Nous avons aussi eu l’opportunité d’aller en Chine et au Brésil. C’était un peu inespéré de confronter nos chansons à autant de publics différents.
K.B. : Nous venions de nulle part, les gens ne savaient pas qui nous étions et on ne connaissait pas grand monde dans le milieu musical. Narcose a été non seulement une belle vitrine pour présenter notre projet mais il a aussi débouché sur des belles rencontres. La Suisse Sandor, le pianiste français Sofiane Pamart, le trompettiste québécois Jipé Dalpé qui ont collaboré à Collision sont des artistes qu’on a rencontrés sur la route en présentant Narcose.

Avez-vous le sentiment que votre projet a été bien compris dès le départ ?
J.B. : Oui. RIVE est un duo. Kévin et moi avions tout fait à deux sur ce premier disque et nous étions à deux sur scène pour le présenter. Les gens ont aussi compris qu’en live, comme sur disque, il y avait un aspect électro important dans notre musique. La force de notre projet réside aussi dans les contrastes entre nos deux personnalités. La tournée nous a permis de souligner ces contrastes. Kévin avec son jeu de batterie très puissant, moi avec mes accords de guitare en arpège et ma voix douce.

RIVE est passé par la phase des concours comme F. Dans Le Texte et les Franc’Off. Mais par la suite, votre parcours a semblé plus atypique, à tel point que les médias ont toujours eu du mal à vous cataloguer.
K.B. : Au lancement du projet et même avec la sortie de Narcose, nous ne nous sommes jamais posé ce genre de question. Chanson française, chanson électro, chanson alternative ? On ne se positionne pas. Ce qui nous a particulièrement touchés, c’est qu’en découvrant notre premier album, les programmateurs et les médias nous disaient : “ce que vous faites ne ressemble à rien de ce qui se fait en français”. C’était très stimulant.
J.B. : RIVE a aussi saisi toutes les opportunités, même celles qui ne rentraient pas a priori dans le parcours classique. Si on te propose d’aller jouer en Chine ou au Brésil, tu y vas. Ces tournées, peu habituelles pour un projet francophone, ont été des réussites. Nous avons été bien accueillis là-bas. Le plus dur, c’est de repartir. Au Québec, en Suisse et même au Brésil, on a réussi à se créer un réseau. Ça pourrait nous plaire d’y retourner ou de faire d’autres choses sur place.

Avez-vous aussi créé des amitiés avec d’autres artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles ?
J.B. : De manière générale, on suit de près ce qui se fait dans la Fédération. Je me réjouis de voir aussi pas mal de copines qui, après avoir déjà eu une expérience dans d’autres projets collectifs, se décident à se lancer en solo. Je pense notamment à Aucklane, à Oberbaum ou à La Maja (le nouveau projet d’Olympia Boyle, ex-Faon Faon, ndlr). Avec elles, nous discutons des enjeux plus propres aux femmes musiciennes.

Comment envisagez-vous la suite pour RIVE ?
J.B. : On aime jouer et on espère pouvoir enchaîner les dates dans de bonnes conditions. Nous avons aussi très envie de repartir à l’étranger pour rencontrer d’autres publics. Parallèlement à RIVE, Kévin et moi sommes rentrés dans le projet Musique et Cinéma initié par la Wallonie-Bruxelles Musiques. On travaille ensemble sur des musiques pour illustrer des podcasts, des documentaires ou des films. L’image a toujours eu beaucoup d’importance dans RIVE, ça a du sens d’aller dans cette direction.


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