Jeune groupe cherche local désespérément
Flambée des loyers, insalubrité, difficulté d’accès, nuisances sonores… Pour les artistes à l’étroit dans leur home studio ou souhaitant dépasser la case départ du “garage des parents”, la quête d’un lieu de répétition est semée d’embûches. Témoignages et bons plans…
«Mon conseil à un jeune groupe qui cherche un local de répétition ? Oubliez Bruxelles. Le prix des loyers, la mobilité, le parking, le voisinage peu friand de nuisances sonores, la sécurité… Tout y est trop compliqué. » David Bartholomé sait de quoi il parle. Depuis 1997, année de naissance de son projet Nose Kitchen, qu’il allait très vite rebaptiser Sharko, il a tout connu. « Une cave humide infestée de rats près de la gare du Midi partagée avec des groupes de death metal, un sous-sol près du canal dans le quartier Yser où on se les gelait, un local super bien équipé à Schaerbeek mais qui coûtait plus cher que mon appartement, un autre à Louvain-la-Neuve pour lequel j’avais signé un bail d’un an mais qui a été libéré après six mois par le propriétaire. Et je dois avouer que ça m’arrangeait car nous n’y allions quasi jamais. Je pensais aussi avoir trouvé l’endroit de rêve à Koekelberg. Un espace immense où nous pouvions répéter sans déranger personne. Génial à première vue. Sauf que pour y accéder, il fallait monter et descendre des escaliers, traverser un dédale de bureaux. Quand nous arrivions là pour répéter et que nous savions qu’il fallait refaire tout le chemin inverse à deux heures du matin avec tout notre matériel, la perspective n’était plus du tout réjouissante. » Pour préparer sa nouvelle tournée dans la foulée de son dernier et recommandable album We Love You David, Sharko a trouvé un refuge provisoire à Huy. « Notre batteur Olivier Cox fait des travaux de rénovation dans la nouvelle maison qu’il a achetée avec Juliette Wathieu, la fille de Marc Morgan. En attendant, ils vivent dans la demeure familiale où Marc avait aménagé un studio dans une annexe. Olivier y a entreposé sa batterie, notre guitariste Guillaume n’habite pas très loin et moi ça ne me dérange pas de faire la route. C’est une solution idéale pour le groupe mais c’est du court terme. On sait que nous allons devoir trouver un autre local de répétition d’ici quelques mois. » Quels critères vont le guider dans sa quête?
David Bartholomé – Sharko
Trouver un local où répéter, c’est à chaque fois une remise
en question de ton groupe. Ce n’est pas inintéressant.
« Avec notre budget et la situation du marché de l’immobilier, on ne peut pas s’offrir le luxe d’être trop difficile. Nous allons voir ce qui est disponible. Je ne chercherai pas à Bruxelles, car l’horizon y est bouché. Outre le prix du loyer, c’est l’accessibilité qui est la plus importante à mes yeux. Dès que tu as une batterie dans ton projet musical, ça implique un véhicule pour la transporter. L’idéal c’est de pouvoir se garer à proximité du local. Vu comme ça, les possibilités sont plus nombreuses en dehors des grandes villes. »
Tapis usés et boîtes à œufs
Les fameuses répétitions dans “le garage des parents” ou dans une sous-sol pourri aménagé avec un vieux tapis bouffé par les mites et des cartons servant habituellement à emballer les œufs, font partie de la mythologie rock and roll. Toutes les autobiographies culte (Dirt de Mötley Crüe, I Need More d’Iggy Pop, Life de Keith Richards, Slash du guitariste des Guns) ne manquent pas d’anecdotes sur cette étape préliminaire à toute carrière artistique. Cliché ou pas, l’image est toujours ancrée chez les artistes émergents. « La technologie permet aujourd’hui l’apprentissage musical et la création dans un home studio, analyse Maxime Wathieu, ingénieur du son et producteur au Wood, (studio d’enregistrement situé à Chênée qui loue aussi neuf locaux de répétition). L’artiste hip-hop qui bosse avec son laptop et l’auteur/compositeur qui crée au piano ou à la guitare peuvent tout faire dans leur chambre. Mais même pour eux, il faudra un jour passer par la recherche d’un local de répétition plus vaste pour préparer les prestations live. »
Situés au premier étage du bâtiment qui abrite le Wood Studio, les neuf locaux de répétition sont tous occupés. « On fonctionne avec la formule d’un bail immobilier d’un an, poursuit Maxime. Chaque room est insonorisée et équipée de plancher. L’artiste ou le groupe qui a signé le bail peut bien sûr la mettre à disposition d’un autre projet. C’est plus rentable. Il y aussi des musiciens jouant dans plusieurs groupes qui s’organisent entre eux pour partager une seule location. C’est notamment le cas des membres de Pale Grey et de Dan San. Pour eux, comme pour Roscoe qui a souvent travaillé ici, c’est devenu une sorte de QG. »
Du groupe punk à la fanfare
Les photos, les vidéos et les commentaires publiés sur le site du Wood rappellent qu’on est déjà très loin “de la cave humide près de la gare du Midi”. Achetés et rénovés par l’ingénieur architecte Raphael Wynands, le studio Wood et ses locaux de répétition sont tout confort. « Les salles de répétition sont louées sans matériel technique mais on s’y sent bien. Il y a une cuisine commune équipée, des distributeurs de boissons, un coin pour chiller, un garage situé juste en-dessous avec accès privé à l’étage. Avec les neuf rooms et le studio, ça fait beaucoup de monde qui gravite ici. Ça crée une émulation. Les artistes vont fumer une clope ou boire un coup ensemble. Ils mettent des post-its sur les murs. “Groupe recherche bassiste”, “Ampli Marshall à vendre”, “Cherche un van”, “Local libre de telle à telle date”. Le studio d’enregistrement est indépendant des espaces de répétition, ce sont deux activités différentes, mais il y a forcément des échanges qui se font entre musiciens. Chanson folk, rock, pop, hip-hop… Tous les styles sont représentés. On a eu aussi du punk avec Cocaine Piss… et même une fanfare. »
La loi de la débrouille
Aucune plateforme ne répertorie les locaux de répétition en Fédération Bruxelles-Wallonie. Pour rechercher un lieu où poser ses amplis, c’est la loi de la débrouille. « On fait une recherche sur Google, on va sur des sites immobiliers de type Immoweb. Mais rien ne vaut le bouche-à-oreille », note David Bartholomé. À Bruxelles, Les Glacières, vaste bâtiment situé dans le quartier Ma Campagne à Saint-Gilles, ont vu passer des centaines de groupes. Dédale de couloirs, pièces sous-terraines pour la plupart, locaux semi-équipés à la demande, practice room individuelle pour des musiciens n’ayant pas la possibilité de pratiquer chez eux leur instrument (la trompette, trombone, saxophone) à cause des voisins, control room visant une clientèle plus électro (DJ’s, producteurs, mixeurs, …). Bail d’un an, d’un mois, voire location à l’heure… Les options sont multiples et se négocient. Le lieu est culte mais ne convient pas à tout monde. « Personnellement, je trouve ça anxiogène car tu répètes entre quatre murs sans jamais voir la lumière du jour. Mais à Bruxelles, c’est un incontournable, tout comme les studios de répétitions Novanois à Schaerbeek », poursuit David.
Sharko n’a jamais souhaité investir dans un bâtiment sur le long terme. Au contraire de Puggy, par exemple. Les trois membres de la formation pop ont acheté une maison dans le quartier de l’avenue de la Couronne à Ixelles et l’ont transformée pour y stocker leur matériel, répéter et enregistrer des maquettes. Un bon plan, d’autant que dans l’attente du nouvel album de Puggy, le bassiste Romain Descampe et le batteur Egil “Ziggy” Franzen y ont posé les bases de plusieurs collaborations, notamment avec Charles ou Lubiana.
Après avoir répété, à leurs débuts, dans le grenier de leur local scout à Braine-l’Alleud, les membres de Girls In Hawaii ont eu l’opportunité de profiter d’une magnifique pièce inoccupée d’un bâtiment communal à Bruxelles. À sa grande époque, Ghinzu avait quant à lui déniché un lieu rare. Soit un ensemble de bureaux en parfait état mais inoccupés, que la bande à John Stargasm a transformé en résidence musicale privée. « Je suis artiste, pas entrepreneur ou gestionnaire, répète David Bartholomé. De plus, je n’ai pas besoin en permanence d’un local de répétition. En amont, il y a tout un travail de création que je fais seul chez moi. C’est au moment d’aborder la phase d’enregistrement d’un album et le live, que je commence mes recherches d’un espace approprié. L’avantage de cette formule, c’est qu’elle est moins onéreuse et qu’elle entretient la dynamique d’un groupe de rock. Ça fait partie de la vie de trouver des bons plans, de gérer un budget, de rester en mouvement. Partir à la recherche d’un local de répète, c’est à chaque fois une remise en question qui n’est pas inintéressante car elle permet de se forger de l’abnégation et de tester le moral des troupes. »
Les musiciens classiques et les projets jazz voient les choses différemment. Le classique a accès aux locaux des académies et aux écoles de musique. En jazz, il y aussi plus de souplesse dans les répétitions. « Notre guitariste Guillaume Vierset joue dans différents projets jazz, pointe encore David Bartholomé. À la veille des concerts, il retrouve les musiciens dans un salon. En jazz, les répétitions se limitent souvent à des lectures de partitions et des prises de notes. Les musiciens connaissent les thèmes principaux et le spectre de leur instrument. Après ce briefing, ils rentrent chez eux, relisent leur partition, répètent chacun de leur côté et se retrouvent ensemble le soir du concert pour improviser. »
La résidence, ultime test
Autre formule qui peut s’avérer intéressante, celle de la résidence organisée dans une salle de concert ou un centre culturel. Si la formule est proposée par plusieurs lieux subsidiés par la Fédération Bruxelles-Wallonie qui l’ont intégré dans leur contrat-programme, elle n’est pas toujours aussi gratuite qu’on ne le pense. « Dans la plupart des cas, si tu souhaites répéter dans des vraies conditions de concert, avec gros son et jeu de lumières, il faut payer les techniciens “maison” qui vont assurer l’installation, le fonctionnement, le démontage, voire la sécurité », rappelle le chanteur-bassiste de Sharko. Il faut aussi tenir compte des concerts programmés en soirée afin de trouver des dates qui ne t’obligent pas à interrompre ta résidence si celle-ci s’étale sur plusieurs jours. Dans le cas contraire, il faut remballer tout le matériel, le stocker sur place et remonter le lendemain. Néanmoins l’investissement peut se justifier en cas d’une création ou d’une release party d’un album. »
La belle trajectoire du Zik-Zak
Sans le moindre subside Annick Botson, qui gère la salle Zik-Zak à Ittre, a lancé avec succès des résidences d’artistes. « Nous nous sommes vite rendu compte qu’il y avait une demande de musiciens qui n’étaient pas basés à Bruxelles ou qui n’avaient envie de faire trop de kilomètres. On propose des résidences de deux ou trois jours dans notre salle de concert qui a une capacité de 300 personnes. C’est idéal pour préparer la “générale” avant une tournée comme l’a fait notamment chez nous le groupe Behind The Pines. En répétant dans une salle équipée, les musiciens peuvent imaginer le public devant eux et prendre leurs repères sur scène, ce qui n’est pas possible dans un local de répétition où ils vont se marcher sur les pieds. C’est aussi l’occasion de tester dans des conditions réelles le light-show, le son de façade, le décor, les éventuelles projections ou chorégraphies, l’entrée sur scène, le placement des instruments… Le Zik-Zak demande 150 euros par jour et 250 euros pour deux jours. Le tarif est dégressif. Le groupe peut venir avec ses propres techniciens mais les membres de notre équipe, tous professionnels, sont à leur disposition moyennant défraiement bien sûr. »
Outre la convivialité et le confort technique de la salle, les artistes venant en résidence au Zik-Zak disent apprécier la facilité d’accès, le parking et la sécurité des lieux. « Nous accueillons des groupes confirmés ou émergents. En résidence, on a des styles de musique qui ne correspondent pas à ce qu’on programme comme concerts et tout se passe très bien. Les infos pratiques sont sur notre site zik-zak.be, mais c’est surtout par le bouche-à-oreille que les réservations ont lieu. Nous venons également d’introduire une demande de subsides pour installer des locaux de répétition dans un bâtiment annexe au Zik-Zak. Si ça passe dans le cadre de notre nouveau contrat-programme, nous pourrions y accueillir des artistes dès 2024 à des tarifs extrêmement avantageux. Cette démarche a du sens dans notre projet et il y a une demande de la part des artistes. »