Elsa de Lacerda & Pierre Solot
The Times They Are A-Changin'
Printemps 2020, premier confinement. Elsa de Lacerda est violoniste, Pierre Solot pianiste. Sur fond de discours politiques qui divisent la population en essentiels et non-essentiels, leur métier est questionné. C’est dans ce contexte qu’est née l’idée de Change.
Le confinement ferme les portes mais ouvre les discussions ! Les parents d’Elsa l’ont bercée de chants révolutionnaires à l’âge où d’autres apprennent Frère Jacques. Elle fait alors découvrir à Pierre une vidéo d’archives, une foule emboîtant la voix de Zeca Alfonso sur Grândola, vila morena, un chant devenu l’hymne des commémorations de la Révolution des Œillets. Ce frisson partagé révèle un intérêt commun pour la politique, comprise dans son sens premier : la gestion de la cité. Mais surtout, il fait émerger la conscience que la musique, à diverses époques, a tenu un rôle concret et rassembleur, qu’elle en fût un appel à la révolution ou à la résistance.
Pierre Solot
Faire un disque c’est aller contre l’éphémère,
c’est l’idée de fixer quelque chose.
Confié à l’inspiration de différents compositeurs, le projet des deux interprètes allie ainsi création contemporaine et questionnement historico-politique. Le duo a sélectionné onze mélodies emblématiques, chacune faisant écho à des mouvements ou changements de société. Ces mélodies ont ensuite été distribuées entre dix compositeurs, avec un cahier des charges minimaliste : la formation bien sûr (violon-piano), le respect d’un temps donné (les morceaux n’excèdent pas 7 minutes chacun) et, surtout, la nécessité de faire apparaître la mélodie (que l’on reconnaîtra clairement ou discrètement selon les arrangements). Cette dernière donnée est très importante, car c’est de la mélodie que viendront la réminiscence et l’envie, la possibilité, de questionner le présent : qu’en est-il de ces combats aujourd’hui ?
Les textes sont absents des créations car « la question de la parole est problématique : on entendra des mots sur le disque, mais prendre en compte tous les textes donnait un caractère trop hybride et explicite. L’absence de voix a du sens dans la logique de réminiscence et pour le chemin que ça oblige à faire ».
Les thématiques explorées brassent volontairement large et abordent des combats pas tout à fait achevés, exposés à la lumière du présent : luttes socialistes, apartheid, révolution chilienne, mais aussi causes LGBT et féministes. « C’était important pour nous d’inclure des compositrices au projet, les femmes étant moins bien représentées dans le métier. » C’est ainsi qu’on trouvera la toute jeune Apolline Jesupret revisitant l’éminence El pueblo unido jamás será vencido, son inspiration côtoyant celle de l’incontournable Jean-Luc Fafchamps avec une relecture de Ain’t Got No, I Got Life de Nina Simone. Un exercice pour lequel il a par ailleurs demandé à Elsa de troquer son violon pour l’alto, afin de s’approcher au plus près du grain de voix dans la chanson originale.
Et ce ne sont pas les seuls grands écarts du disque. Si chaque univers a confronté les interprètes à des défis techniques, le voyage entraînera aussi l’auditeur dans une matière multiple et stimulante. L’hétérogénéité se met ici au service d’un propos rassembleur.
On pourra ainsi, au choix, déambuler dans la diversité du disque ou alors en extraire des morceaux particuliers, pour les savourer au gré de l’envie… ou de la découverte d’un répertoire. La modernité du propos prend aussi corps dans le geste de l’enregistrement. « Quand on joue une musique en concert, ça vit et puis ça disparaît. Faire un disque c’est aller contre l’éphémère, c’est l’idée de fixer quelque chose. Le disque existera comme un jalon dans un parcours musicien mais aussi dans un parcours humain et historico-politique. (…) Je crois aux projets nécessaires. Redécouvrir ces chants montre que la musique est essentielle ».
Sorte d’anti-tabula rasa, voici un disque qui vient remuer les braises de l’engagement et aussi poser un geste de mémoire, au creux d’une époque où ces derniers sont aussi souffrants que nécessaires.
Elsa de Lacerda – Pierre Solot
Change
Cypres