Peet
Tout bon!
Faut-il encore présenter Pierre Mignon ? Visage bien connu des buveurs de rimes “noires-jaunes-rouges”, le fraîchement trentenaire fait aujourd’hui figure de valeur sûre (et de pilier !) d’une classe hip-hop belge toujours bonne élève. Il revient donc bercer notre hiver avec Todo Bien, dix nouvelles tracks qui lui ressemblent et qui fleurent bon le rap, cuisinées dans le confort cosy de son home studio bruxellois.
Si notre dernière rencontre remonte à même pas deux ans, son souvenir semble ancré dans un autre temps. À l’époque, Peet – échappé du trio Le 77 – publiait ce qu’il considérait alors comme son premier véritable album. Et c’est dans un aquarium de verre post-Covid, dans les locaux d’Universal, que nous échangions alors sur ce nouveau départ de carrière en solitaire. Presque deux ans et trois doses de vaccin plus tard, l’ambiance a bien changé. Et cette fois, c’est chez lui que monsieur Mignon nous convie. Flemmard de qualité oblige, rendez-vous est pris peu après midi.
Peet
Moi, je suis quand même un bon flemmard de qualité.
Disons d’emblée que les années passent et semblent glisser sur les épaules de Peet, qui arbore toujours ce même sourire de petit garçon – d’aucuns diront de “sale gosse”. Pourtant, notre hôte revient à peine du grand froid canadien avec la goutte au nez. Il s’y est produit sur plusieurs scènes québécoises, entre deux matins enneigés. « Là, je suis bien, je suis posé… Il y a un moment dans ta carrière où tu trouves TA recette. Pour moi, c’était Mignon. À l’époque de Mecman, j’avais déjà la recette, mais je cuisinais moins bien (sourire). Là, je reviens d’une tournée de six dates au Canada, ce qui me fait dire que l’album dure dans le temps, et c’est une idée qui me plaît. On y retournera en mai, cette fois j’espère avec un full band (batterie/basse/clavier/saxo), comme pour la release à l’AB. »
Une parenthèse américaine qui fut aussi, et surtout, l’occasion d’étrenner quelques rimes extraites de son nouvel LP Todo Bien, annoncé pour février. Un album des plus réussis, bardés de jolis invités et de petits mots justes, où l’on découvre un peu plus encore la personnalité du grand Peet.
Cet album porte le même nom qu’un de vos titres sortis en 2020, qui parlait de confinement, du bonheur de jardiner et de la nostalgie des tournées avec les copains du 77. C’était une autre vie, mais peut-être l’humeur était-elle semblable?
J’ai toujours aimé les titres courts. Simples et pas trop explicites. Mignon (son premier LP donc, – ndlr), c’est mon nom de famille, Pepper (du nom d’un précédent EP, – ndlr), c’est le nom de mon chat… Todo Bien, j’ai toujours aimé cet état d’esprit. J’aime aussi le nuancer, comme dans le film La Haine. Ce côté “jusqu’ici tout va bien, mais le plus important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage…”, comme dans OKOK. Le label n’était pas super chaud au départ, ils trouvaient ça étrange de titrer en espagnol, mais j’ai réussi à les convaincre… Mais oui, la vie a pas mal changé depuis. J’ai arrêté de bosser à la pizzeria et dans l’Horeca l’été dernier. Je l’annonce dans l’intro : « Jusqu’ici tout est OK, demain j’arrête le clocking… » Le “clocking”, c’est quand tu pointes avec ton doigt en arrivant au travail.
Un boulot, ça structure, ça impose des horaires… Vous ne craignez pas que cette nouvelle liberté influe sur votre créativité, étouffe votre inspiration ou change votre manière de travailler?
La quasi-totalité de Todo Bien a été réalisée avant que je ne démissionne. Il est donc impossible de savoir si cela aura une influence pour l’instant mais ce sont des questions qui m’ont traversé l’esprit. Je crois que c’est une autre forme de pression. Tu ne travailles plus dans des restaurants, c’est vrai, mais tu dois pouvoir justifier et conserver ton statut d’artiste. Moi, je suis quand même un bon flemmard de qualité et ce nouveau rythme de vie me permet d’être plus tranquille. Maintenant, j’ai tout le loisir de me poser pour écrire ou m’enfermer au studio.
La quête de l’Amour a toujours été l’une de vos inspirations majeures, mais là aussi on lit entre les rimes l’annonce d’un changement.
C’est en effet un autre grand changement dans ma vie : je ne suis plus célibataire. Donc, forcément, cela a eu pas mal d’impact sur ma plume et mon inspiration. Je ne suis plus obligé de sortir chaque week-end à la recherche de l’amour, je sors d’ailleurs beaucoup moins aujourd’hui. Et les rares fois où je le fais, mon état d’esprit est totalement différent. Plus besoin d’être sans arrêt à l’affût, de guetter sans cesse de droite à gauche… C’est vrai que le sujet revient moins souvent que sur mes projets précédents.
Le duo avec Primero, Gentil, est l’un des titres les plus réussis de cette nouvelle moisson. Est-ce que vous avez l’impression d’être trop gentil?
Le sentiment que certains en profitent ? Oh oui, ça m’arrive. Mais je ne pense pas pour autant que ça me porte préjudice. D’abord parce que j’ai la capacité de m’entourer de gens bienveillants. Ensuite, parce que j’arrive plutôt bien à repérer les personnes qui voudraient abuser de ma gentillesse. Si je capte, je coupe court. Je suis gentil, mais pas naïf. Encore récemment, un fan est venu me parler de beaucoup trop près, il était à quelques centimètres de mon visage, et ça m’oppressait. J’aurais facilement pu le recaler mais ce n’est pas mon style, j’ai préféré prendre sur moi et voilà… Donc oui, je suis un gentil, mais faut pas me pousser dans les orties. Sinon, je pique, c’est mon côté scorpion.
Verre en main est peut-être le meilleur morceau de Todo Bien. Un titre sombre et à la production ciselée, qui vous amène sur des sentiers musicaux que vous n’aviez jamais vraiment foulés. Et une thématique qui revient plusieurs fois au fil de l’album.
C’est un thème qui me tenait vraiment à cœur. Parce qu’on a beau en rigoler et picoler, il y en a plein parmi nous qui sont totalement paumés. J’ai vu beaucoup de potes se noyer là-dedans, ça reste un problème majeur de notre génération. Le fait de travailler dans le secteur Horeca n’arrange rien non plus. Un tas de gens autour de moi jonglent entre un boulot dans un restaurant et l’envie de faire quelque chose d’autre de leur vie à côté. Si tu es une personne un peu influençable, qui aime faire la fête, tu peux très vite sombrer. Pas forcément picoler dès le réveil, ça non, mais plutôt prendre de mauvaises habitudes.
Vous vous êtes déjà dit que vous aviez un problème avec l’alcool?
Dans les soirées, tu ne me voyais jamais sans un verre en main. Servi dès mon arrivée, rempli jusqu’à ce que la fête soit finie… En studio aussi, vu que tu y passes des heures à bosser, ça peut rapidement s’installer. Donc oui, à un moment, je me suis dit qu’il fallait lever le pied, que j’avais peut-être un petit souci. Et je me reconnais dans ce track-là à une certaine période de ma vie. Parfois, le fait d’avoir bu m’a poussé à faire des choses dont je ne suis pas fier. J’en parle dans le morceau Déjà fait : « Je veux plus demander pardon, à cause de la boisson ».
Il y a aussi beaucoup de rap sur ce disque.
C’est vrai. Sur Mignon, l’humeur était davantage à chanter. En plus, on s’était enfermé dans un studio avec plein de monde pour bosser les morceaux, ajouter de la musicalité et enrober l’album. Pour Todo Bien, ça ne s’est pas du tout passé comme ça, même si j’ai composé l’album avec mes musiciens. J’ai fait la plupart des prod’ moi-même mais on les peaufinait ensemble. PH Trigano et Thomas Sega ont également mis leur touche sur certaines pistes. Pour le reste, j’ai fait appel à quelques beatmakers comme Stab sur Smooth 2.0, Phasm sur Karma, Thumez sur Bekane, etc. Ces deux derniers morceaux devraient d’ailleurs faire pas mal de bruit sur scène et c’est aussi quelque chose dont j’avais envie avec ce disque.
À l’époque de Mignon, vous nous aviez dit ici-même que Morgan serait de tous vos projets. Et on retrouve pas mal d’invités sur Todo Bien, mais aucune trace de votre éternel complice.
C’est vrai… J’ai menti ! (rires) Mais, en réalité, les choses se sont faites naturellement. Il n’y avait évidemment aucune volonté de ne pas travailler avec Morgan, qui était occupé sur son projet et qui habite d’ailleurs toujours ici avec moi. Il se trouve que j’avais déjà un titre avec Roméo (Smooth 2.0) et ce track avec Primero (Gentil) que j’aimais beaucoup. Puis il y avait Déjà fait, dont j’avais composé les refrains et le premier couplet, et pour lequel je cherchais un artiste afin de terminer le morceau. Je suis un peu réservé avec ça, je n’aime pas trop embêter les gens, venir demander… Mais JeanJass était motivé donc je n’ai pas hésité.
Ça donne d’autres couleurs au son et ça varie les plaisirs.
JeanJass, c’est quelqu’un que j’écoutais quand j’ai commencé à écrire de la musique. Au même titre que Caballero, ce sont des gars qui m’ont inspiré. Je pense que c’est important aussi d’aller chercher d’autres feat. J’ai pas mal exploré en Belgique jusqu’à maintenant et ça pourrait être bien d’aller chercher de nouvelles collabs en France… D’autant que je vais continuer d’y tourner. Au Québec aussi j’ai croisé des producteurs qui m’ont fait un instru que j’adore. Morgan ou Zwangere Guy, ce sont des artistes avec qui je pourrais presque faire des mini-projets de 5 titres. Et je préfère faire ça que les retrouver sur chacun de mes disques. Mais on rebossera ensemble, c’est certain.