La Maison poème
Comme on est bien chez soi
Les mots et les sons de la langue française ont pris leur quartier à Saint-Gilles. Et ils ont trouvé, à l’anciennement “Théâtre Poème”, une adresse à partir de laquelle se déployer. Le projet conjoint de deux structures, Midis de la Poésie et FrancoFaune, s’ancre donc aujourd’hui dans un bâtiment à l’histoire prolifique. Par l’accompagnement et la diffusion d’artistes émergents, la désormais Maison poème veut prolonger, et amplifier, le rayonnement de cet espace de rencontres protéiformes. Visite guidée des lieux.
Le rez-de-chaussée de la nouvelle Maison poème (avec une modeste minuscule au mot «poème») et sa salle arrière, reprise telle qu’elle préexistait, murs de briques bruts, jauge intime d’environ 80 personnes, abritent depuis quelques mois des formes émergentes, créations, résidences, diffusion. Ici s’imbriquent, s’intriquent ou simplement se soutiennent, se renforcent, se succèdent, scène musicale et scène littéraire, francophones. Cette vision de la poésie au sens large a peut-être participé à convaincre le Conseil communal de Saint-Gilles, propriétaire du lieu, de choisir les deux structures associées pour faire revivre l’ancien Théâtre Poème : la première association a été fondée en 1949, la seconde en 1994.
« Nos activités marchent bien ensemble et ne se frottent pas trop non plus. Et on a l’habitude de travailler avec des partenaires, il y a plein de choses que l’on sait déjà. D’autres à apprendre – comme le montant des charges en fin d’années », rit Céline Magain, co-directrice de FrancoFaune. Elle tient à souligner, à propos du dépôt de dossier, l’énorme travail fourni en amont par Mélanie Godin, la directrice des Midis de la Poésie.
L’arrière-maison, ancienne écurie au toit à double pente, abrite la salle de spectacle, sans prétention, nichée au cœur d’un îlot intérieur. L’entrée cochère ouvre le passage menant à la cour et donne, à droite, accès à la maison néo-classique. « Quand les portes sont grandes ouvertes, cette entrée devient une extension de l’espace public », remarque Florent Le Duc, l’autre co-directeur de FrancoFaune, une structure qui était jusque-là nomade.
Énergies transversales
Maison poème ? « L’appellation a quelque chose de chaleureux, commente Florent Le Duc, à l’image de la réalité du bâtiment. Les bureaux des Midis au premier, Facir (Fédération des Auteur·rices, Compositeur·rices et Interprètes Réuni·es, – ndlr) et FrancoFaune sous les toits… et la salle comme excroissance de la maison. »
Mars 2022, le lieu retrouve vie, « avec auditions et ateliers préparatoires du festival FrancoFaune, puis, en mai, durant le Parcours d’artistes de Saint-Gilles, grâce aux ateliers de la poétesse Laurence Vielle. Dès 2021, les demandes sont arrivées de partout : résidences, diffusion, théâtre, musique, poésie, littérature, radio, créations sonores… précise Céline Magain, on a des résidences en continu. »
Le 11 septembre, s’est déroulée l’ouverture officielle avec une fête de rue. L’événement a rassemblé des publics divers que le croisement des genres, littéraire et musical, devrait concourir à élargir encore, « et se voir renforcé par les activités de médiation culturelle, explique Florent Le Duc, créant du lien avec les voisins, le quartier… ». Et aussi les écoles. Ce qui fait par ailleurs sens avec un pan moins connu de l’aventure du Théâtre Poème. « On ignore généralement que les comédiens qu’on voit jouer le soir au Théâtre Poème ont parfois joué le matin un autre spectacle dans un établissement scolaire », raconte la quatrième de couverture du livre de Monique Dorsel qui y retrace l’histoire des Jeunesses Poétiques, qu’elle a fondées en 1962 sur le modèle des Jeunesses Musicales. Ces Jeunesses Poétiques ont amorcé la création en 1967 du Théâtre Poème, par la comédienne et son mari Émile Lanc. Elle y déposera ses textes (création, art, écriture, pensée) dans cette maison de la rue d’Écosse, construite à la fin du 19e siècle.
Des multiples manières d’habiter une maison
Le couple de fondateurs a bien dû connaître le nom de l’habitant précédent, le sculpteur Léandre Grandmoulin (1873-1957), professeur à l’Académie royale de Belgique mais qui enseignait également à l’Académie de Saint-Gilles. Là-même où, plus tard, se forme Émile Lanc, sculpteur d’avant-garde, scénographe, metteur en scène, concepteur de décors, mais aussi traducteur des poètes du Moyen Âge et fondateur d’une collection littéraire au Théâtre Poème.
Un Mensuel littéraire et poétique présente jusqu’en 2009 l’agenda touffu, prestigieux, de ce théâtre dirigé par Monique Dorsel. À son propos, le journaliste et écrivain Jacques De Decker disait : « Elle n’a jamais ciblé un public, trop convaincue que la bonne parole peut être servie partout, et que l’esprit souffle où il veut. Cela l’a amenée à transformer une banale maison bruxelloise en quartier général de la poésie dont les amoureux de la littérature se passent l’adresse comme un mot de passe. » Et depuis 1962, l’endroit a vu passer des centaines d’auteurs – et d’autrices, corrige un petit papier collé sur le tableau en plexi les listant, suspendu dans le passage d’entrée.
Une deuxième mouture, baptisée alors Poème 2, s’est éteinte début 2021, faute de subsides. La comédienne et metteure en scène Dolorès Oscari y avait impulsé une programmation davantage attentive à l’exploration des genres, focus sur les auteurs belges francophones vivants. Ouvrant ainsi la voie aux habitants suivants ?
De l’intérieur de l’îlot vers la rue – et le reste du monde –, l’esprit souffle et soufflera, augmenté du son, grâce à ces cogestion, programmation et expertise inédites entre les Midis de la Poésie et FrancoFaune, grâce à ce croisement fertile qui ouvre d’emblée vers autre chose, « multiplie les impacts, élargit les réseaux mis en commun au service de l’endroit, tout en continuant chacun nos activités », synthétise Florent Le Duc. Un lieu d’expérimentation artistique, d’expérimentation de gestion, avec sa propre identité : quel poème !, cette maison.