Stéphane Orlando-si, Orlando-la…
L’ouverture sans compromission
Issu d’une famille italienne, le musicien originaire de Tamines se fraie un chemin en créant des ponts : cinéma-musique, vidéo-musique, classique-jazz, etc. En marge de tout totalitarisme idéologique, il dit adorer « tous les moments charnières dans l’histoire ».
Compositeur en résidence à l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, il a été, pendant des années, pianiste attitré de la Cinémathèque à Bruxelles. Actuelle, sa composition est fondée sur une grande connaissance du passé classique, baroque, romantique ou moderne, et il entretient des rapports subtils avec la voix. Circonstance aggravante, Stéphane Orlando fréquente le jazz et les jazzmen !
Un ensemble de raisons qui donnent très envie de rencontrer ce jeune musicien enthousiaste. Dans la maison de plain-pied, sur les hauteurs de Jambes, la musique est partout. Tout au bout, Jessica Icket, sa compagne, travaille sur un grand piano Yamaha C6. Elle étudie le jazz avec Nathalie Loriers. À l’autre extrémité de la maison, un synthétiseur Studiologic SL88 Grand : une machine de pros reliée à deux haut-parleurs Yamaha format bibliothèque, au son clair.
« Là, il y avait un piano, mais on l’a vendu, indique Stéphane Orlando. Je rêve d’un Steinway, mais on verra. Le marché est horrible pour l’instant. Un C6 est déjà hors de prix. Neuf, on approche les 80.000 euros… »
Grand-père harmoniciste pour les Alliés
Né dans une famille italienne, ses parents sont arrivés en Belgique dans les années cinquante pour son père, soixante pour sa mère, « une famille où l’on appréciait la musique. En Sicile, mon grand-père maternel jouait de l’harmonica de façon traditionnelle. Durant la guerre, on le faisait monter sur les camions pour qu’il joue de son instrument. Son père, berger, faisait des instruments avec des herbes. »
Pour ne rien arranger, le père de Stéphane a créé un groupe de rock dans les années septante, avec ses frères et sœurs : « Ils étaient 9 ! Nous avons ainsi grandi dans le mythe que l’on peut réussir avec la musique ». Dans ce contexte, le jeune Stéphane accroche très vite à la musique. « J’ai très vite pigé ce qu’était un accord, une mélodie… ». Stéphane Orlando n’a pas dix ans quand il se met à composer, à l’académie, de petites pièces pour des collègues qu’il accompagne au piano, « et cela m’a permis de me rendre compte de l’importance d’un travail collaboratif pour la création ». « À neuf ou dix ans, j’ai assisté au mouvement lent du concerto de Mozart. Ça a été le déclic. Avec ce concerto, j’ai su tout de suite que j’allais devenir pianiste, compositeur, chef d’orchestre, et que j’allais travailler pour le cinéma. Je ne fais que ça depuis lors ».
Au conservatoire à quinze ans
Le musicien entre au Conservatoire de Mons dès l’âge de quinze ans, « avec un accord de mon école pour ne pas dépasser quarante demi-jours d’absence ». Comprenant que le garçon accrochait à la musique, son père le conduisait d’une école à l’autre. Lorsqu’il est admis, en 2022, comme compositeur en résidence à l’OPRL, pour lui, c’est « l’aboutissement d’un rêve d’enfance, et j’espère le point de départ de beaucoup de pièces pour orchestre ». Avant ça, Stéphane Orlando estime avoir eu « beaucoup de chance de travailler avec l’Ensemble Musiques Nouvelles. Jean-Paul Dessy croit en la jeunesse, il donne une chance aux jeunes et il n’y en a pas beaucoup comme ça ».
La chance, ça se saisit, voire se provoque. Pendant le grand confinement, grâce au soutien du Centre d’Art Vocal et de Musique Ancienne de Namur (CAV&MA), et de son directeur Jean-Marie Marchal, Stéphane Orlando a créé un film-opéra, The Smile, d’après le poème de William Blake. Investissant le Théâtre de Namur dans ses moindres recoins – « c’est devenu un personnage à part entière » – il a conçu une narration autour de la soprano Morgane Heyse. « C’est l’histoire d’une fille qui répète toute seule, perdue, dans ce théâtre. Des fantômes apparaissent. Sont-ils là ou sont-ce des fantasmes ? Et ça prend un peu de temps pour comprendre ce qui lui arrive », sourit le compositeur.
Pour The Smile, « mes influences étaient dans la musique de la Renaissance et la musique baroque, et la charnière entre les deux. En fait, j’adore tous les moments charnières dans l’histoire ». À notre époque, il est servi !
Amoureux des bons publics
« On s’est bien fait plaisir avec ce film, mais on n’a pas réussi à le vendre », doit-il constater. Comme plein de musiciens de tous bords en Belgique, Stéphane Orlando s’interroge : « Nous sommes tellement coupés du public qu’on veut retrouver des liens. Le fait est que, juste après-Guerre, c’était un outil marketing de dire qu’on faisait table rase, qu’on repartait de zéro. Mais le public n’a pas suivi sur la longueur. Il y a toujours trop d’idéologie liée à la création contemporaine. Aujourd’hui, c’est l’inverse : l’idéologie veut que tout se vaut, donc on peut faire n’importe quoi, n’importe quand ».
« Mes valeurs, ce n’est pas ça. Une œuvre, c’est la même chose depuis le début de l’humanité : une pièce qui s’adresse à un auditeur qui a des attentes. Ces attentes, il faut les comprendre, ou pour les satisfaire, ou pour les rompre et créer la surprise. » Comme écrire pour orchestre de chambre et trio de jazz. Après avoir collaboré avec le bassiste André Klenes et le saxophoniste-flûtiste Manuel Hermia, c’est avec le trio du saxophoniste Stéphane Mercier qu’il se lance dans le String Theory alpha Project.
Du jazz ou du classique ? Les deux mon colonel !
Tous deux ambitieux, ils envisagent de faire quatre albums. Ce n’est certes par rien d’amener vingt personnes sur scène, soit seize cordes et un vibraphone classique, plus le trio de Stéphane Mercier avec Dave Redmond, contrebasse, et Darren Beckett, batterie. « Stéphane m’a fait écouter l’album Focus du saxophoniste Stan Getz avec cordes. Getz a réussi à prendre le meilleur des deux mondes. Cela synthétisait ce que j’avais envie de faire avec Stéphane: écrire autant du jazz que du classique, que l’on sente les influences et que, finalement, on ne sache plus si c’est du jazz ou du classique! ».
« Et la vraie question : comment intégrer l’improvisation dans tout ça ? C’est fascinant comme question, on cherche des solutions. » Il est vrai que Stéphane Orlando est rompu à l’improvisation. En novembre, cela va faire exactement vingt et un ans qu’il joue du piano devant des films muets à la Cinémathèque de Belgique, à Bruxelles. « J’ai commencé assez jeune, dit-il, et c’est là que je suis vraiment devenu improvisateur. Vous découvrez le film avec le public, parfois sans comprendre les sous-titres quand ils sont écrits en cyrillique par exemple. »
Marathon d’improvisation
Certains films, comme Naissance d’une nation (1915) ou Intolérance (1916) de David Wark “D.W.” Griffith, font plus de trois heures, « durant lesquelles il faut avoir les idées qui vont avec. C’est là qu’on apprend vraiment ce qu’est un développement d’idées… Sinon, vous êtes mort après une heure. » Que dire du Napoléon d’Abel Gance (1927), qui fait trois cent trente minutes.
Ce qu’il acquiert au fil du temps, Stéphane Orlando le transmet à de nombreux élèves depuis le début des années 2000. Enseignant notamment au Conservatoire de Mons et à l’Institut de Rythmique Jaques-Dalcroze à Saint-Gilles, il dit « partir toujours de l’élève, de son bagage, de ses goûts et de ses aspirations, pour lui faire parcourir un bout de chemin vers la compréhension du moment musical : comment créer un univers sonore prenant et comment saisir l’instant en son sein. Cela demande de puiser dans l’histoire de la musique, tous styles confondus, dans l’analyse musicale, parfois dans la paléographie ou l’organologie, pour apporter des notions d’harmonie, de contrepoint, de construction mélodique, d’arrangement ou d’orchestration, etc. ».
Avec sa fibre pédagogique, on le dit adoré de ses étudiants. Essayant de faire jouer le plus souvent l’élève en en disant le moins possible pour ouvrir le champ d’expérimentation, il « guide l’apprentissage en jouant au piano, en un processus de questions-réponses ».
« Je m’amuse assez bien, je dois dire ! ».