Marc Danval
Bien connu des auditeurs de la RTBF, gastronome, fan de jazz, poète, auteur, irréductible collectionneur, Marc Danval mène une vie trépidante et prolifique.
De l’univers du jazz, du spectacle et de la littérature, il a rencontré à peu près tout le monde. Son seul regret, à 84 balais : ne pas avoir pu être pianiste de jazz.
On ne raconte pas Marc Danval, il se raconte bien tout seul, il est assez grand pour ça. 84 balais, bon pied bonne oreille, surtout la troisième, « celle qui entend tout ce que les autres n’écoutent pas »… Rendez-vous sur La Première de la RTBF, tous les samedis, à 14 heures, La Troisième oreille donne à entendre tout ce que le cabaret, le café-concert, le club de jazz a fait de mieux, surtout en disque 78 tours déniché aux Puces, place du Jeu de Balle à Bruxelles…
Collectionneur impénitent, sa maison natale de la rue Vilain XIV, à Ixelles, débordait de disques, partitions, photos, documents, livres. Lorsqu’il a décidé de déménager dans le quartier de l’Université – « dans un appart’ avec ascenseur, à mon âge canonique, tu comprends... » -, il a fallu créer un fonds Marc Danval à la Bibliothèque Royale… Douze mille disques 78, 45 et 33 tours, deux mille partitions, dont de nombreuses illustrées par René Magritte ou Peter de Greef, des affiches de Paul Colin...
Conférencier, poète (Parmi moi seul, 1983), auteur d’ouvrages sur Sacha Guitry, Robert Goffin – avocat, poète, mélomane, on y revient -, Toots Thielemans, Marc Danval (Ixelles, 18 février 1937) n’a peut-être plus la mémoire pour jouer au théâtre du Parc ou des Galeries, comme il le fit longtemps, mais « tu me demandes ce qui s’est passé en 43, je te le dis ! ».
Sacha le majestueux
C’est tout de même plus tard, en 1954, que le jeune homme, alors âgé de 17 ans, rencontre pour la première fois Sacha Guitry (1885-1957), « un homme que j’admire toujours, un des hommes les plus drôles du XXe siècle, dont on aurait bien besoin maintenant ». Le Théâtre du Parc, où il est engagé à l’année, a l’exclusivité des pièces de l’auteur franco-russe. Son directeur, Oscar Lejeune, arrange un rendez-vous chez Guitry, à Paris. Lorsque le majordome annonce « le jeune homme de Bruxelles », l’auteur répond : « Un jeune est l’avenir. J’ai rendez-vous avec l’avenir, qu’il entre ! ».
« Ce fut un éblouissement total, se souvient Marc Danval. Moi qui suis arrivé là les jambes flageolantes, je me suis trouvé devant un homme d’une gentillesse à tomber par terre. Il était majestueux, mais d’une très grande simplicité, et pas du tout prétentieux comme les veaux ont voulu le faire croire. »
Ses toutes dernières représentations en tant qu’acteur, Guitry les donnera à Bruxelles, durant une semaine, malgré un état de santé inquiétant. Un soir, il fait une petite crise cardiaque sur scène, à la suite de quoi le chef machiniste fait baisser le rideau. « Ce qu’il ne fallait évidemment pas faire. Par après, Sacha lui a tendu un billet de mille balles en lui disant "voilà, monsieur, pour la peur" ». Constamment drôle malgré sa santé défaillante, lui qui fumait une quarantaine de cigarettes par jour répliquait : « Je suis désolé, je ne peux pas fumer plus ».
Si le comédien belge n’a jamais joué Nono, il a nommé son chat ainsi. « Il me regarde d’ailleurs maintenant. » Guitry est pour beaucoup dans sa passion pour le théâtre, qui mena Marc Sevenants à prendre le pseudonyme de Danval, pour se différencier de parents connus. Fils et petit-fils de virtuoses et pédagogues, Fernand et José Sevenants, il aurait tout aussi bien pu devenir pianiste. « Musicien, mon grand-père s’était très bien occupé de moi au point de vue piano. Mon père, que j’adorais, était excessivement jaloux. Il avait une terreur que je devienne aussi brillant que mon grand-père, au point de fermer le piano à clé pour que je n’y touche pas. Le seul regret de ma vie, ne pas avoir été pianiste de jazz, ça, je l’ai toujours sur l’estomac. »
Chauffeur de Boris Vian...
Tombé par hasard sur tout l’œuvre romanesque de Boris Vian, en solde dans une librairie du Sablon, Marc Danval dévore L’écume des jours, L’arrache-cœur, L’herbe rouge... « Je lisais toutes ses chroniques dans le magazine Jazz Hot, il me faisait crouler de rire. » Quelques semaines plus tard, dans un bistrot à Saint-Germain, Marc Danval croit reconnaître l’auteur des chansons Faut rigoler, Place Blanche, Blouse du dentiste, écrites avec Henri Salvador.
Danval : « Vous êtes Boris Vian ? »
Vian : « On ne peut rien vous cacher... »
Danval, un rien flagorneur : « Je crois que vous allez être l’un des grands écrivains du vingtième siècle. »
Vian, au barman : « Monsieur, vous ne voulez pas appeler une ambulance pour ce jeune homme qui ne m’a pas l’air bien ? »
Bien plus tard, Robert Goffin invite Vian dans la villa Guillaume Tell, qu’il possède à Genval. « Une fille de chez Gallimard m’a appelé pour me dire qu’il s’emmerdait là et me demander de faire quelque chose, se souvient Marc Danval. Ma secrétaire s’est fait passer pour celle de Raymond Queneau et a appelé à Genval pour dire qu’on avait besoin de Boris Vian d’urgence à Paris. Quand Boris demande à Robert qui va le conduire à la gare du midi, ce dernier répond : "téléphone à Danval !". J’ai été le chercher, il est rentré à Paris, je ne l’ai jamais revu. Entre-temps, j’ai reçu une carte-postale où il avait écrit : "Je te rassure tout de suite, je vais très mal". Il était comme ça. »
...et de Jean Cocteau
Précurseur de l’écriture sur le jazz (Jazz-Band, 1922 ; Aux Frontières du Jazz, 1932), Robert Goffin (1898-1984) est aussi un homme du monde artistique, qui invite chez lui Paul Eluard ou Jean Cocteau. « Le hasard fait que je rencontre Goffin avec Cocteau place Flagey. Ils sortaient de l’INR (1). Je conduis Cocteau chez Goffin, rue du Lac, et il m’invite à manger. Il demande qu’on aille chercher du boudin au Sarma. Infect ! Et Cocteau, qui était la gentillesse même, dit à Goffin : "Je n’ai jamais mangé un aussi bon boudin." Et moi, je lui glisse à l’oreille : "Est-ce que vous n’avez pas écrit que les poètes étaient des menteurs ?". C’est quelqu’un dont j’ai absolument tout lu, que j’aime aussi comme illustrateur. »
Après l’avoir coursé pendant des années, Marc Danval vient d’acquérir un dessin il y a quelques mois. « Je suis content, j’ai un original de Cocteau. » On comprend qu’il se réjouisse doublement, le dessin, représentant le profil classique, est dédicacé à Fud Candrix, génial saxophoniste et chef d’orchestre belge (1908-1974), à l’origine, qui l’eût cru, de la vocation de Manu Dibango. Dessin, qui plus est, réalisé sur une carte du club Le Bœuf sur le Toit, créé en 1936 à la Porte de Namur à Bruxelles par un autre grand chef d’orchestre de l’époque, Stan Brenders.
Louis et les laxatifs
Ce n’est pas du boudin - « je l’avais approché de près, j’étais ébloui et me foutais de ce qu’il y avait dans mon assiette » - qu’il y a à la table de Robert Goffin recevant ni plus ni moins que le roi du jazz. « Viens à la maison, il y a quelque que tu aimes bien », dit l’avocat-poète à Marc Danval un beau matin. Dès le seuil de porte, ce dernier entend « une voix reconnaissable entre mille. Quand je suis arrivé, éduqué à l’américaine, il s’est levé et m’a dit : "Louis Armstrong, New Orleans, Louisiana". Pendant tout le repas, il n’a parlé que de ses pilules purgatives. Et non seulement il en parlait, mais il en offrait ! Je l’ai gardée derrière une molaire pour ne pas l’avaler. »
Pas déçu pour un sou, Marc Danval avait rencontré l’un des génies musicaux du XXe siècle. « Pour moi, il avait tout inventé. C’est lui qui avait mis fin à la polyphonie, et j’aimais bien sa manière de chanter. Génie à l’état pur, les Hot Five et les Hot Seven, c’est ce qu’il a fait de mieux. Hello Dolly, c’est bien gentil, mais l’introduction de West End Blues est à tomber par terre ! »
Doyen de la RTB
Le genre de musique que l’on peut entendre chaque samedi, début d’après-midi, dans l’émission La Troisième oreille. Ce que l’on sait moins, c’est que son présentateur, programmateur et producteur fait de la radio depuis soixante ans. « Des amis comédiens m’ont dit qu’avec ce métier, j’aurais mon nom en haut de l’affiche, mais que j’allais gagner 12000 francs par mois. Je suis devenu vert. » C’est comme cela que Marc Danval est entré à ce qui s’appelait alors Radio Luxembourg, dont le siège était, logiquement, à Luxembourg. « La vie au Luxembourg dans les années soixante, c’était pas de la tarte, hein vieux ! Je vivais à l’hôtel tellement les apparts à louer étaient sinistres, avec des choux fleurs sur le papier peint. J’ai loué une chambre à l’année, avec salle de bains, fallait pas plus. »
RTL Belgique, RTL France, INR, RTB, tout s’est enchaîné. Émission originale s’il en est, La Troisième oreille a commencé en 1990, elle a donc plus de trente ans. « Je suis le joyeux doyen de la RTB, lance-t-il, on ne m’appelle pas "Monsieur le Doyen", comme à la Comédie française, et ça me fait chier. Comédie française dont j’ai failli faire partie, d’ailleurs. »
(1) Institut national de radiodiffusion, ancêtre de la RTBF, de la VRT et de la BRF (Belgischer Rundfunk, en allemand)