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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Jean-Luc Fafchamps

Here’s the Woman!

BERNARD VINCKEN

Here’s the Woman!, le deuxième volet du “pop requiem” Is this the end?, est présenté à la Monnaie en cette fin avril. “Pop”? On sort de l’opéra traditionnel pour parler à tout le monde de sujets d’aujourd’hui. “Requiem”? Le sujet en question, c’est la mort… Avec également deux disques coup sur coup chez Cypres, l’actualité du compositeur est dense.

Quelle aventure! Le projet lui-même est ambitieux – Is this the end? est un opéra en trois parties – et fait preuve d’une rare résilience. Le 9 septembre 2020, Dead little girl chancelle face au décès inopiné de Patrick Davin. Ouri Bronchti reprend au vol la direction musicale de ce premier volet qui se joue trois jours plus tard… devant une salle vide (cause Covid) mais est “livestreamé” pour un public invité dans les recoins invisibles de l’institution. Le #1 se fait ainsi “live-filmed opera”, réinventant sa forme entre musique, théâtre et cinéma. Un an et demi plus tard, le #2 s’apprête à nous cueillir (du 21 au 24 avril à la Monnaie) et le C… est toujours là, bousculant les agendas (des chanteurs, de l’orchestre, des chœurs, de la costumière, de l’éclairagiste… et du programmateur confronté à trois saisons à écraser en deux) et imposant le CST (au moins, on peut y être). Here’s the Woman! joue à nouveau de la structure formelle: ce qu’on voit (les chanteurs – parfois sur scène, parfois invisibles – ou les projections sur le triptyque d’écrans) et ce qu’on entend (avec une diffusion sonore en relief, qui spatialise les sons et donne à entendre une absence plus vraie que présence). Ces techniques, souvent sophistiquées et aux mains d’artisans aussi habiles que discrets, se jouent ainsi de nos perceptions, comme Jean-Luc Fafchamps se sert de l’art de composer pour titiller les limites de notre mémoire, cette machinerie complexe qui oublie autant qu’elle retient, sélective selon l’impact émotionnel et l’utilité perçue.

Si l’idée de départ est de s’éloigner de la mythologie, des sujets sérieux de l’opéra traditionnel, c’est tout de même de mort dont il est question dans Is this the end? La mort dans son imminence, ce moment où elle se profile mais n’advient pas, cet état modifié de conscience qui flotte dans le temps comme dans l’espace. Dans les années 70, des musiciens fureteurs explorent les limites de la perception, aidés d’hallucinogènes, d’un bus coloré nommé Furthur et de maîtres philosophico-chamans. Aujourd’hui, le compositeur et le librettiste, Éric Brucher, s’inspirent des Thanatonautes (Bernard Werber) et d’Ubik (Philip K. Dick) autant que des recherches de Steven Laureys (neurologue à l’Université de Liège) sur les états limites de conscience dans le coma, la méditation ou la transe. L’imaginaire rejoint ainsi la science dans une expérimentation esthétique, sur un thème qui nous importe (où la spiritualité s’est dégagée de la religion) et dans un traitement qui nous ouvre à la fantaisie et à l’émotion.

Les trois volets de l’opéra sont autonomes mais liés et chacun donne voix à un des personnages. Dans le #1, The little girl erre dans les limbes, y croise des fantômes, un Homme et une Femme, a ses humeurs: Sarah Defrise y est virtuose. Dans le #2, The Woman, en partance pour la lumière (le tunnel, l’amour profond) y croit toujours, mais s’interroge: pourquoi cela ne se passe-t-il pas comme prévu? Le chant d’Albane Carrère, modal et rond, est l’axe que les deux autres voix entourent comme une hélice d’ADN. Si les choses ici se décantent, c’est peut-être le #3, où la voix d’Amaury Massion (The Man) deviendra centrale, qui apportera la résolution…

Ce début d’année, c’est aussi deux parutions discographiques pour Jean-Luc Fafchamps. «Pour avoir joué mes quatuors un peu partout, c’est eux qui les connaissent le mieux»: l’ensemble MP4 et le compositeur ont présenté ce disque jalon à Flagey le 11 avril, avec la création d’Autoportrait en expirs, pièce construite autour du souffle. Pour Albane Carrère, dans la lignée des Folk Songs de Berio, le compositeur part du texte turc Le cœur dans un bocal (où un médecin s’interroge sur ce qu’a bien pu vivre celle à qui il appartenait) pour réviser une de ses pièces ou travailler des chansons d’amour, récentes (Birkin, Fontaine, Bashung…) et… désordonnées.