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par le Conseil de la Musique

Sarah Defrise

​​​​​​​Sings for Cathy

Stéphane Renard

Quand la plus explosive de nos jeunes sopranos célèbre la plus libre des mezzos, la grande Cathy Berberian, cela donne un étonnant CD qui enfile “a capella” les tubes de Berio, Cage, Pousseur et Bussotti. Pour oreilles en quête d’émotions vraiment très inhabituelles.

En avril dernier, Sarah Defrise aurait dû enregistrer à Flagey un second volume d’inédits de Joseph Jongen. Mais le Brexit et le Covid en décidèrent autrement, coinçant outre-Manche son pianiste britannique. Pas question cependant pour Sarah de louper son créneau de quatre jours à Flagey. « J’ai dû monter un projet en trois semaines. Comme je rêvais depuis toujours de faire un disque a capella en hommage à Cathy Berberian, j’ai foncé ! »

Immense mezzo-soprano américaine aussi à l’aise dans Monteverdi que Debussy, Berberian (1925-1983) « a été la première grande chanteuse lyrique à exploser tous les codes, s’enthousiasme Sarah. De plus, à une époque où l’on considérait que la musique contemporaine devait être quelque chose de très sérieux, elle a tout balancé par la fenêtre, avec humour et autodérision. » On comprend mieux, au vu du parcours atypique et un tantinet déjanté de Sarah, pourquoi la jeune soprano se sent « un si profond lien de parenté » avec son illustre modèle.

 

Sarah Defrise

Le mélange de mes deux passions, le chant et le théâtre, cela s’appelle l’opéra !

 

Car Sarah Defrise aurait pu être pianiste, instrument qu’elle commence à 4 ans, « mais, dit-elle, j’étais trop assoiffée de contacts pour ce métier de solitaire ». Elle aurait aussi pu devenir comédienne – « j’ai commencé le théâtre à 6 ans, un vrai coup de foudre ». Tout en ayant aussi très envie de chanter. Un passage par le Chœur de la Monnaie scellera l’évidence : « Le mélange de mes deux passions, le chant et le théâtre, cela s’appelle l’opéra ! ». Après des débuts en Clorinda à l’ORW, elle enchaîne les rôles les plus variés, tout en privilégiant des répertoires contemporains. En septembre 2020, le grand public la découvre pour de bon lors de la création à la Monnaie de Is this the end ? de Jean-Luc Fafchamps, premier opéra post-confinement dans lequel elle campe la Teenager. Un rôle à la mesure de cette soprano comédienne, à moins que ce ne soit une comédienne soprano, tant elle a la scène dans la peau et la voix de tous les possibles.

Vertiges vintage

Dire qu’elle s’éclate avec ce CD For Cathy est en-dessous de la réalité. Mélomanes frileux, s’abstenir. Les œuvres gravées ici, toutes “a capella” et dont Cathy Berberian fut la dédicataire, sont devenues pour la plupart des tubes du répertoire “vintage” – on n’ose plus dire contemporain – des années 1960. Entre les morceaux, Sarah a inséré de courtes interventions de Cathy Berberian, extraites d’une interview à Radio France en 1969. « C’est ma façon de rendre aussi hommage à sa propre voix », précise Sarah. En toute logique, à supposer qu’il y en faille une, le disque s’ouvre avec la Sequenza III de Luciano Berio, qui fut le mari de Berberian. Suivent les Phonèmes pour Cathy d’Henri Pousseur, « une pièce extrêmement difficile, relève Sarah. Quand Cathy l’a enregistrée, elle a fait à peu près n’importe quoi, ce qui a fort mécontenté Pousseur. C’était pourtant très brillant. Moi, je me suis contentée plus modestement de suivre la partition. J’ai réalisé la première version fidèle au texte ! », lâche-t-elle en savourant la prouesse. Incontournable aussi, le célèbre Aria de John Cage, que lui inspirèrent la mezzo et ses talents d’imitatrice, et auquel Sarah a couplé le Fontana mix, une bande électronique prévue pour être jouée avec des œuvres de Cage. Pour compléter le parcours : O, fragment de la Passion selon Sade de Sylvano Bussotti, que créa Berberian. « Une œuvre complètement déjantée, prévient Sarah, dans laquelle Cathy devait chanter trois personnages différents uniquement en changeant de voix. » Quant au dernier tour de piste, c’est à Sarah herself qu’on le doit, qui a composé et monté elle-même Stripsody, collage de sons “onomatopéïques” inspirés des BD, tels que “smash”, “bang” et on en passe. Cela peut faire sourire – et c’est tant mieux –, mais que l’on ne s’y trompe pas. Un tel enregistrement relève de la très haute voltige. Frissons garantis.


Sarah Defrise
Sings for Cathy 
Sub Rosa